• Deuxième / Second

    Voilà pourtant une distinction qui me tenait à cœur : celle qui prétendait réserver l'usage de second aux seuls cas où l'énumération ne comporte que deux éléments.

    Ainsi, je me rappelle l'optimisme de feu Maître Capello qui préférait parler de la Seconde Guerre mondiale plutôt que de la Deuxième Guerre mondiale, parce qu'il n'en espérait pas une troisième ! De même était-on fondé à évoquer le Second Empire mais la Deuxième République.

    Et voilà que, d'une phrase lapidaire, l'Académie réduit tous mes efforts de subtilité à néant : « L’unique différence d’emploi effective entre deuxième et second est que second appartient aujourd’hui à la langue soignée, et que seul deuxième entre dans la formation des ordinaux complexes (vingt-deuxième, etc.). » Et Joseph Hanse d'insister : « Jamais la langue n'a fait couramment entre les deux la distinction que des théoriciens ont voulu établir et qui est respectée par certains. » Pour preuve, ces exemples trouvés chez des auteurs qui n'ont pas pour habitude de jouer les deuxièmes (ou les seconds) couteaux : « Le premier qui vit un chameau / S'enfuit à cet objet nouveau ; / Le second approcha ; le troisième osa faire / Un licou pour le dromadaire » (La Fontaine) ; « j'en arrive à me demander si [...] une femme assez adroite pour cacher un second amant à un premier en le logeant dans un bahut, n'en cache pas au second un troisième, en le fourrant dans un coffre à bois » (Courteline) ; « Je bois une seconde gorgée [de thé] où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième m'apporte un peu moins que la seconde » (Proust). Il n'y aurait donc nulle obligation de se renseigner sur la taille d'un immeuble avant de pouvoir affirmer habiter au deuxième plutôt qu'au second étage ! Ni sur l'ampleur d'une fratrie avant de pouvoir s'adresser au deuxième plutôt qu'au second enfant.

    Les mots second et deuxième ont exactement le même sens, à savoir « qui vient immédiatement après le premier élément dans une succession ou une hiérarchie ». Il se trouve juste — ironie de l'histoire — que second (emprunté du latin secundus, suivant) est apparu... en premier dans la langue française, au XIIIe siècle soit une bonne centaine d'années avant son concurrent deuxième, lui volant ainsi la vedette dans la plupart des expressions figurées (seconde chance, second degré, second lieu, second lit, second mariage, seconde nature, second plan, second rang, second rôle, second souffle, second violon, seconde vue, état second, de seconde main, causes secondes, etc.) et des emplois substantivés (le second du navire mais un deuxième classe).

    Pour autant, second et deuxième étant interchangeables (sauf dans les locutions figées ci-dessus et dans la formation des ordinaux composés), rien n'empêche ceux qui le désirent de continuer à faire cette utile distinction (entre suites comportant plus ou moins de deux éléments), par souci de précision et d'élégance. Un raffinement « tout arbitraire », selon Littré, mais qui devrait ravir Maître Capello !

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    Remarque 1
    : Il est plaisant de relever que, à l'entrée « février », l'Académie écrit dans la huitième édition de son Dictionnaire : « second mois de l'année », mais « deuxième mois de l'année », dans la neuvième. À croire qu'il est difficile de se débarrasser du poids de la théorie...

    Remarque 2 : Dans sa Grammaire des grammaires (1822), Girault Duvivier apporte une précision intéressante :

    « Second, Deuxième. On dit également le premier, le second, le troisième, le quatrième, etc., et le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième, etc.

    Mais il y a cette différence que le deuxième fait songer nécessairement au troisième, qu’il éveille l’idée d’une série, et que le second éveille l’idée d’ordre sans celle de série. On dira donc d’un ouvrage qui n’a que deux tomes : voici le second tome, et non pas le deuxième ; et de celui qui en a plus de deux : voici le deuxième tome, ou si l’on veut, voici le second tome. »

    En synthèse, il convient bien de recourir à second quand la série se limite à deux éléments, mais il est possible de recourir indifféremment à deuxième ou second quand elle en comporte davantage. Subtile nuance !

    Remarque 3 : Les anciens ordinaux prime (premier), tiers (troisième), quart (quatrième) et quint (cinquième) fleurent bon l'archaïsme : « Le prime vent du soir » (Maurice Genevoix) ; Le tiers livre de Rabelais ; « Achevons cette quarte bouteille » (Théophile Gautier).

    Deuxième / SecondDeuxième / Second

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'expression second souffle est pourtant d'usage beaucoup plus courant.
    (Film de Jean-Pierre Melville et film d'Alain Corneau)

     

    « Accord avec un sujet singulier ayant un sens plurielAbsent / Présent »

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