• Besoin d'un coup de main ?

    « François Rebsamen n'hésite pas à taper à bras raccourci sur le Parti socialiste. »
    (Jim Jarrassé, sur lefigaro.fr, le 3 octobre 2014)



    François Rebsamen (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Oserai-je l'avouer ? J'ai bien cru que les bras allaient m'en tomber ! C'est que notre journaliste n'y va pas de main morte : le singulier, d'abord − Girodet ne précise-t-il pas qu'« on écrit à bras raccourcis (au pluriel) » (1) ? −, puis le choix du verbe : l'expression consacrée pour « se jeter sur quelqu'un pour le rouer de coups » et, au figuré, « l'accabler de reproches » n'est-elle pas tomber sur quelqu'un à bras raccourcis, ainsi que le note l'Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire ? J'en aurais donné ma main à couper. Il faut croire que je me trompais.

    D'une part, mon Petit Larousse illustré 2005 laisse le choix du nombre : « À bras raccourci(s), à tour de bras : avec une grande violence, en multipliant les coups. » Beaucoup s'étonneront sans doute, comme moi, d'apprendre que le singulier fut même longtemps la règle (dans les premières éditions du Dictionnaire de l'Académie et jusque dans le Littré, chez Molière, chez Voltaire, etc.), avant que le pluriel ne remporte haut la main le bras de fer engagé avec son concurrent au XIXe siècle.

    D'autre part, force m'est de constater que le choix du verbe s'est considérablement élargi au cours des siècles. Si tomber sur quelqu'un à bras raccourcis reste, de loin, la formule la plus répandue, on trouve également dans la littérature : « Frapper à bras raccourci, battre à bras raccourci » (Émile  Littré) ; « quand tous ces grotesques tapaient à bras raccourcis sur la république » (Émile Zola) ; « une crise qui le ferait (...) se précipiter à bras raccourcis sur les assistants » (Edmond Lepelletier) ; « Quand les Yankees sont prospères et en forme, ils cognent à bras raccourcis sur tout l'univers » (Maurice Larrouy) ; « j'aimais (...) foncer à bras raccourcis sur des bourgeois appartenant à mon milieu d'origine » (Daniel Guérin) ; « il se jeta à bras raccourcis sur les oiseaux » (Michel Le Bris) ; « J'ai sauté à bras raccourcis sur les premiers qui se sont présentés à moi » (Louis Gauthier). Aussi bien, la locution adverbiale se prête aux métaphores les plus audacieuses : « Tacite pense à bras raccourci » (Victor Hugo) ; « les horions pleuvaient sur eux à bras raccourci » (Henri Martin) ; « Le soleil cogne à bras raccourcis » (Yasmina Khadra) ; jusqu'à ce « jurant à langue raccourcie », brassé dans la bouche de Georges Brassens.

    La situation se révèle tout aussi confuse sur le front de l'étymologie, les fines lames de la langue ne s'accordant pas sur l'origine de notre expression : certains (dont Rey et Chantreau, réputés avoir le bras long) croient y voir une allusion non pas aux membres, mais aux manches qu'on retroussait avant de livrer combat (que l'on songe aux locutions « en bras de chemise » et « se retrousser les manches »), quand d'autres sont persuadés qu'elle ressortit au domaine de l'escrime.

    D'après mes propres recherches − et tant pis si d'aucuns m'accusent de jouer petits bras sur ce coup-là −, la première indication précise en la matière figure dans le Dictionnaire de Trévoux (1721) : « Bras raccourci. Terme d'escrime. Pousser à bras raccourci, c'est rapprocher son poignet du corps avant que d'allonger la botte. » N'en déplaise aux esprits chagrins, notre expression serait donc bien née une épée à la main... gauche, ainsi que le laisse entendre l'auteur du Maître d'escrime ou l'art des armes (XVIIIsiècle), qui lui consacre un chapitre entier, opportunément intitulé... « Du bras raccourci ». Nicolas Demeuse nous y apprend que : « la manière de tirer à bras raccourci est naturelle à quiconque n'a reçu aucun principe dans les armes ; en rapprochant toutes les parties du centre, l'individu qui n'a aucune idée de la force d'extension croit ajouter un nouveau degré à sa force naturelle en contractant les membres qui doivent agir (...) Dans les armes, on remarque que ceux qui tirent à bras raccourci ont été jusqu'à présent fort dangereux, vis-à-vis même des bons tireurs et des plus adroits (...) Si on lui met un fleuret à la main en le priant de faire usage de toutes ses forces pour porter un coup, on le voit foncer avec vivacité, et à bras raccourci, par de grands mouvements ». Marivaux, dans La Vie de Marianne (1740), s'escrime à livrer la même analyse − « [Le jeune homme] poussa à son tour ces misérables sur qui j'allongeais à tout instant et à bras raccourci des bottes qu'ils ne parèrent qu'en lâchant. Je dis à bras raccourci ; car c'est la manière de combattre d'un homme qui a du cœur et qui n'a jamais manié d'épée ; il n'y fait pas plus de façon, et n'en est peut-être pas moins dangereux ennemi pour n'en savoir pas davantage » −, laquelle est encore confirmée dans l'Encyclopédie méthodique (1786) : « II se trouve des personnes qui n'ont jamais appris à tirer des armes, & qui tirent rapidement à bras raccourci, en avançant toujours sur vous sans aucune mesure, ce qui serait fort dangereux, si on ne savait se garantir. » Nul besoin, convenons-en, de recourir aux effets de manches évoqués plus haut pour justifier l'origine de notre tour de bras.

    Il ne faudrait pourtant pas croire que seuls les béotiens, empoignant une épée pour la première fois, attaquent « en pliant et déployant successivement le bras pour frapper plus fort », selon la définition de Littré. Ceux qui tirent dans la position de la garde allemande le font  « souvent à bras raccourci », apprend-on dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

    L'expression aura ensuite quitté la piste d'escrime pour pénétrer l'usage courant non pas à fleurets mouchetés, mais à poings nus. Tel est en tout cas le constat de Jacques Babinet (XIXe siècle), cité par Alphone Karr : « Un homme a donné à telle époque un coup de poing sur la tempe à un autre homme, et il l'a tué net ; cependant le poing, au moment du coup, n'était séparé de la tête que par un espace égal à sa propre épaisseur. Le coup de poing le plus dangereux est un coup de poing à bras raccourci » − entendez : de près, avec les bras repliés. Après tout, n'est-ce pas là l'attitude un tantinet « bourrine » de nos Gaulois gavés de potion magique, lorsqu'il leur prend l'envie de s'attaquer aux Romains sous la houlette de leur chef... Abraracourcix ?

    (1) Le pluriel est également de mise chez Grevisse (« Frapper à bras raccourcis »), chez Thomas et chez Bescherelle.

    Remarque : On notera que le Robert illustré 2013 a accueilli à bras ouverts la variante se jeter sur qqn. à bras raccourcis, quand le Larousse électronique préfère le tour tomber sur qqn. à bras raccourci(s), assurément plus répandu.


    Voir également le billet À bout de bras.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il n'hésite pas à taper à bras raccourci (ou, plus couramment, à tomber à bras raccourcis) sur le Parti socialiste.

     

    « Mauvaises herbesUn billet tout de biais »

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