• Apposition

    Certains syntagmes sont formés d’un nom mis en apposition à un autre nom. C'est le cas de danseuse étoile, film culte, produit phare, mot clé, prix choc, roman fleuve et autres combinaisons plus ou moins audacieuses dont se délecte la langue publicitaire.

    Force est de constater que l'on se délecte beaucoup moins et que l'on hésite beaucoup plus, dès lors qu'il est besoin d'écrire ces mots pièges (j'ose le s) au pluriel. Jugez-en plutôt :

    HanseLarousseRobertBescherelle
    des prix choc des mesures(-)chocs des prix choc des prix(-)chocs
    des mots clés des mots-clés des mots-clés des mots(-)clés
    ? des films(-)cultes des films cultes des films(-)cultes
    des voyages éclair des voyages(-)éclair des visites éclair des voyages éclair(s)
    des remèdes miracles des médicaments miracle des solutions miracle des médicaments miracles
    des ventes records des chiffres record des chiffres record(s) des prix records


    Devant l'arbitraire de ces positions, l'avis de l'Académie s'imposait. Et la règle qu'elle nous soumet vient balayer bien des certitudes, au risque de paraître suspecte...

    « Au pluriel [...], le nom apposé varie uniquement si on peut établir une relation d'équivalence entre celui-ci et le mot auquel il est apposé. Ainsi, on écrira Les danseuses étoiles regardent des films culte, car si l'on considère que les danseuses sont des étoiles (elles ont les mêmes propriétés qu'elles, elles brillent de la même façon), il est évident que les films ne sont pas des cultes, mais qu'ils font l’objet d'un culte. »

    Il faut croire, vous en conviendrez, que ce qui s'énonce clairement... ne s'interprète pas de façon uniforme !

    Que retenir de pareille cacophonie ?

    1. Qu'il est préférable de ne pas abuser de ce genre de formules.

    2. Qu'en la matière il n'existe pas de règle mais des critères subjectifs. L'usage est d'autant plus flottant que le choix de sens est laissé à la libre appréciation de celui qui s'exprime... et que la plupart des dictionnaires (y compris celui de l'Académie) ont une fâcheuse propension à faire la part belle au masculin singulier dans les exemples proposés !

    3. Que le nom en apposition prend d'autant plus facilement la marque du pluriel qu'il est assimilable à un adjectif épithète (l'équivalence « qui sont des » est implicite) plutôt qu'à un complément du nom. Ainsi les pluriels des cellules cibles (des cellules qui sont autant de cibles), des mots clés (ou clefs), des romans fleuves, des idées forces, des postes frontières, des dates limites, des arguments massues (la position de Robert paraît isolée), des maisons mères, des invités mystères, des projets phares, des questions pièges, des usines pilotes, des bénéfices records (la position de Larousse paraît isolée), des visites surprises, des appartements témoins, des formules types, etc. semblent faire l'unanimité. En revanche, je rejoins Hanse à propos des prix choc et des voyages éclair, car, dans ce cas, il s'agit d'un tour elliptique qui suppose que les termes ne sont pas sur le même plan : des prix (de) choc, des voyages (à la vitesse de l') éclair, des nouvelles (qui relève du) bidon, des opérations (menée par un) commando, des négociations (qui ont la durée d'un) marathon, etc. Que n'a-t-il appliqué le même raisonnement – préconisé par l'Académie – à des remèdes (qui relèvent du) miracle et des films (qui font l'objet d'un) culte !

    4. Concernant le trait d'union, c'est affaire de goût. La plupart des ouvrages consultés ne prennent pas position, indiquant simplement « en apposition, avec ou sans trait d'union ». L'Office québécois de la langue française se mouille davantage, en précisant que « le trait d'union ne se justifie que s'il s'agit d'une expression lexicalisée, c'est-à-dire un groupe de mots considéré comme un mot composé. Comme l’acceptation de tels mots se fait graduellement, on observera souvent les deux formes, avec ou sans trait d'union ». Le plus sage (et le plus simple) est de suivre l'exemple de l'Académie, qui s'en passe dans tous les cas (même pour idée force et mot clef).

    Séparateur de texte


    Remarque 1 : Contrairement à un adjectif, un nom ne s'accorde pas mais peut prendre la marque du pluriel. Ainsi est-il inconcevable d'écrire des visites éclaires, sous le prétexte d'accorder en genre et en nombre le nom apposé (voir à ce sujet le billet Visite éclair(e)) !

    Remarque 2 : En apposition, plancher et plafond peuvent se prêter à deux interprétations : des prix plafonds / planchers (qui constituent des plafonds, des limites supérieures / des planchers, des limites inférieures) ou des prix plafond / plancher (qui sont au plafond / au plancher). Larousse, Bescherelle, Girodet et l'Office québécois de la langue française optent clairement pour la première.

    Remarque 3 : Le pluriel des « vrais » noms composés (avec trait d'union incontesté) fera l'objet d'un prochain article.

    Apposition

    (Illustrations Magali Clavelet, éditions Tourbillon)

     

    « Raz de marée / TsunamiÉchouage / Échouement »

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    1
    a322
    Dimanche 10 Janvier 2016 à 16:00

    Je m'oppose à "chocs". Des "prévisions chocs" (Valeurs Actuelles n° 4128, p.43) est un barbarisme : des prévisions ne sont pas des chocs, mais elles font choc.

      • Dimanche 10 Janvier 2016 à 19:10

        Nous préconisons aussi d'écrire, avec Hanse : des prix choc, des prévisions choc.

    2
    Pédant
    Samedi 3 Mars 2018 à 22:00

    Pourriez-vous svp vous prononcer sur le mot "tabou"?

    Il existe une manie actuellement, consistant à l'accorder en genre et en nombre quand il est employé en apposition. Exemple: "il n'y a pas de questions taboues".

    Celà choque profondément mon sens de la langue française. Mais je constate que cette hérésie se répand et même le Larousse semble savoir flanché sur ce point.

    Merci  de remettre les pendules à l'heure.

     

     

      • Mercredi 7 Mars 2018 à 19:41

        Vous trouverez ma réponse dans ce billet.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    3
    Straton
    Dimanche 22 Août 2021 à 09:26
    Straton

    Bonjour.

    Le Larousse et le Robert, sous la direction de M. Alain Rey, étaient devenus des dictionnaires de "descriptions" à l'affût des nouveaux mots à la mode, d'où une nouvelle édition chaque année (dites "mise à jour" qui "démonétisait" la précédente et relançait les ventes). 

    Or lorsque je fais une recherche pour savoir le bien écrire d'un mot ou d'une formule, je ne demande pas une description (ni une citation prise récemment dans un média), mais une prescription.

    Donc, pour moi, seuls sont valables les dictionnaires de "prescriptions" comme le Littré ou celui de l'Académie française, mais aussi des manuels comme le Bled ou le Bescherelle. 

    Cordialement.

    A.C.

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :