• Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !

    Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !

    « Brexit : L'Ecosse pourrait opposer son veto. »
    (paru sur lefigaro.fr, le 26 juin 2016)   

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Thomas n'y va pas par quatre chemins : « Veto est un mot latin invariable, qui signifie "je m'oppose". Par conséquence, opposer son veto est considéré comme un pléonasme. » Même vent de réprobation observé du côté d'André Cherpillod : « Opposer un veto est un pléonasme fort courant chez les présentateurs du journal télévisé », de Jean-Pierre Colignon : « Rigoureusement, opposer son veto est un "superbe" pléonasme (= opposer son "je m’oppose (en latin)") [...], même s'il est considéré comme de plus en plus anodin » et de Bruno Dewaele : « J'en étais resté, pour ma part [...] à mettre son veto, à seule fin d'éviter ce que n'importe quel latiniste – pas même distingué – ressent comme un pléonasme ».

    Un pléonasme, vraiment ? Littré, que l'on ne peut soupçonner d'avoir perdu son latin, n'y trouve pourtant rien à redire : « Il se dit de l'action des tribuns qui opposaient leur veto à un décret quelconque » (à l'article « intercéder » de son Dictionnaire). Pas plus que Hanse (« on oppose son veto à quelque chose »), le TLFi (« mettre, opposer son veto à »), le Petit Robert (« mettre, opposer son veto à une loi ») ou le Dictionnaire historique de la langue française (« opposer un, son veto à »). Girodet lui-même, qui n'a pas la réputation d'être laxiste, trouve cette condamnation excessive : « Contrairement à ce qu'affirment quelques grammairiens, l'expression opposer son veto ne peut être considérée comme vraiment très incorrecte » (sans doute n'aurait-il pas démérité en se montrant plus explicite). Il faut dire que le tour, attesté depuis la Révolution (1), perdure sous plus d'une plume respectable : « Deux fois déjà il avait arrêté, en y opposant son veto, l'effet des mesures énergiques décrétées par l'assemblée » (Alphonse de Lamartine), « Les tribuns [...] opposèrent leur veto » (Prosper Mérimée), « Des dignitaires pontificaux [...] opposaient leur veto aux caprices d'un roi temporel » (Charles Baudelaire, traduisant Poe), « Hernani naquit du dépit qu'inspira à l'orateur le veto opposé par Charles X à la représentation de Marion Delorme » (Pierre Larousse), « Mentana, et le veto opposé au désir des Italiens de parfaire leur unité » (Albert Dauzat), « Afin de donner sans retard aux peuples menacés un moyen d'opposer leur veto radical à la politique périlleuse des gouvernements » (Roger Martin du Gard), « Mais la comtesse [...] avait opposé son veto » (André Maurois), « Le représentant de la France a opposé un veto aux tentatives de mettre sur pied une administration centrale » (Raymond Aron), « Il était couru que la Haute Autorité de l'audiovisuel [...] opposerait son veto » (Jean Dutourd), « Le roi [...] oppose son veto » (Max Gallo), « Quand Paris et Londres y opposèrent leur veto » (Amin Maalouf), etc. (2) ; et jusque sur le site Internet de l'Académie française : « Comme censeur des théâtres, il opposa son veto aux représentations du Mariage de Figaro » (dans la biographie de Jean-Baptiste-Antoine Suard), « Les amis de La Harpe craignaient qu'on ne lui opposât le veto royal » (dans celle de Jean-François de La Harpe). Voilà, convenons-en, qui mérite que l'on y regarde de plus près.

    Veto est la première personne du singulier de l'indicatif présent du verbe latin vetare qui signifie, à en croire mon vieux Gaffiot, « ne pas laisser une chose se produire, ne pas permettre, faire défense, interdire ». À Rome, lorsqu'un tribun de la plèbe voulait s'opposer à la publication d'une loi, il employait cette formule, que Gaffiot traduit par « je fais opposition », Littré par « je défends », l'Académie par « je m'oppose, j'empêche », Alain Rey par « j'interdis » et d'autres encore (tels Jules Lermina et, plus récemment, les auteurs de La Culture générale pour les Nuls) par « je refuse ». Le veto, chacun l'aura bien compris, est « une déclaration de refus, une interdiction » (dixit Alain Rey), un « droit d'invalider par la protestation », à l'instar du privilège autrefois accordé aux nobles polonais (le liberum veto) ou, pendant la Révolution française, à Louis XVI. Or, il ne vous aura pas davantage échappé que le verbe opposer s'emploie correctement au sens figuré de « mettre en avant comme argument contraire » dans opposer un refus, une interdiction, une protestation : « Opposer un refus formel à une requête » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Non content de m'opposer un invariable refus » (Anatole France), « La préfecture de police [...] leur a opposé une interdiction absolue » (Claude Mauriac), « Il hochait la tête en souriant, comme s'il opposait une protestation modeste à une avalanche de compliments » (Marcel Aymé). Partant, je m'étonne de ce mauvais procès que l'on fait de nos jours à opposer un, son veto.

    Il n'empêche, nombreux sont les usagers qui, pensant se préserver de tout risque de redondance, ont pris la résolution de ne plus « opposer » leur veto à telle décision hasardeuse pour se contenter de le « mettre ». Se sont-ils seulement demandé, ces esprits curieux d'étymologie, en quoi mettre un refus, une interdiction serait de meilleure langue que les opposer ? Car enfin, pourquoi dirait-on « mieux » mettre son veto, ainsi que l'affirment les Thomas et consorts sans plus d'argument ? Parce que le verbe mettre correspond « mieux » au geste que Louis XVI accomplissait pour s'opposer aux idées nouvelles de la jeune République ? Il est vrai que le roi devait écrire de sa main le mot veto sur les textes qu'il souhaitait rejeter (l'exercice de cette prérogative lui vaudra d'ailleurs le sobriquet culotté de Monsieur Veto), comme le confirment les nombreuses attestations de apposer le, son veto dans les documents de cette époque (3). De là à supposer, comme certains ne manquent pas de le faire sur la Toile, que ledit tour aurait ensuite été déformé, par confusion paronymique, en opposer le, son veto, il y a un pas qu'aucun des ouvrages de référence que j'ai pu consulter n'ose franchir (4). Toujours est-il que Féraud note dans son Dictionnaire critique de langue française (1787) : « Apposer ou aposer n'est pas du beau style [...] il vaut mieux dire mettre qu'aposer le sceau. » Et nous voilà avec trois variantes sur les bras : apposer, mettre, opposer son veto, selon que l'on préfère insister sur le geste physique ou sur l'expression d'un argument contraire. Avouez qu'il y a(vait) de quoi perdre la tête.

    Alors, à la lanterne, opposer son veto ? Au petit jeu du retour aux sources, c'est prononcer un veto qui aurait dû tenir la corde : ledit tour ne présente-t-il pas l'avantage d'être plus conforme aux coutumes orales du droit romain, tout en admettant les emplois figurés actuels ?

    (1) « Si le peuple n'oppose son veto » (Camille Desmoulins), « Le roi pourra opposer son veto aux deux décrets » (Louis-Marie Prudhomme), « [Le roi] opposa son veto ou refus » (François-Xavier Pagès de Vixouze).

    (2) Et aussi : « Si le roi eût pu lui opposer un véto absolu » (Benjamin Constant), « Louis XVI opposa son veto aux décrets [...] contre les prêtres » (Louis Barré, dans son Complément du Dictionnaire de l'Académie, 1842), « J'opposais mon veto » (Victorien Sardou), « La Russie, l'Angleterre opposèrent leur veto » (Georges Clemenceau), « La Bourse des valeurs était la grande puissance internationale du monde moderne qui opposerait son veto aux entreprises guerrières » (Jacques Bainville), « Nous opposions notre veto à l'entrée de l'Allemagne dans le Pacte atlantique » (André-François Poncet, cité par François Mauriac), « Les tribuns opposent leur veto à la proposition » (Pierre Grimal), « J'oppose mon veto le plus formel » (René de Obaldia), « L'extravagant veto opposé par le ministre de l'Emploi et de la Solidarité à l'accord partenarial du Medef et de divers syndicats sur la réforme de l'Unedic » (Jean-François Revel), « Ottawa opposant son veto absolu » (Alain Peyrefitte), « La France et la Grande-Bretagne opposant leur veto » (Michel Mourre), « Ayant chacun le droit d'opposer leur veto à toute décision » (Édouard Balladur), « Un vote où le droit pour le roi d'opposer un veto suspensif [...] est décidé » (Jacques Julliard), « Opposant son veto à des propositions inconsidérées de dépenses » (Dominique Jamet), « Si nous opposions notre veto » (Jacques Attali), « Ces tribuns auront le pouvoir d'opposer leur veto au Sénat patricien » (Xavier Darcos), « Le romancier opposait un veto catégorique à une telle divulgation » (Luc Fraisse), « Gallimard oppose son veto » (Frédéric Badré).

    (3) « Apologie du veto apposé par le roi au décret des 16 et 29 novembre 1791 », « Le roi pouvoit apposer son veto sur les décrets d'urgence » (Rapports des séances de l'Assemblée nationale et des communes de Paris, 1792), « S'il est de bonne foi, [le pouvoir exécutif] ne sauroit se dispenser d'en donner une preuve, en reconnoissant qu'il a été trompé par ceux qui lui ont conseillé d'apposer son veto au décret des émigrés » (Révolutions de Paris, 1792), « Mais pouvois-tu [...] apposer ce veto sur un décret dont dépendoit ma sûreté ? » (Le Procès de Louis XVI, 1795), « On agita si le roi auroit le droit d'apposer son veto aux arrêtés du Corps Législatif » (Histoire de l'assemblée constituante de France, 1797), « Apposer le veto sur un tel acte [législatif], c'est lui refuser le caractère qui seul constitue la loi » (Essai historique et critique sur la Révolution française, 1815), « Le roi apposa son veto au décret contre les émigrés » (Chateaubriand, 1844).

    (4) L'analyse des textes de l'époque plaiderait plutôt pour la thèse inverse, dans la mesure où, d'après mes recherches, les premières attestations de opposer son veto datent de 1789, quand celles de apposer son veto (et de mettre son veto) leur sont postérieures de... deux ans. En comparaison, exercer le veto et prononcer le veto se sont dits, à propos des Polonais, respectivement dès 1735 et 1775.

    Remarque 1 : Veto est traditionnellement présenté comme un mot invariable et orthographié sans accent, faute d'avoir été francisé. Mais ça, c'était avant 1990. Depuis lors, le Conseil supérieur de la langue française recommande d'utiliser la graphie véto et de lui donner la marque du pluriel... au risque (bien minime, il est vrai) d'une confusion avec l'homonyme véto, abréviation familière de vétérinaire. Quel que soit le choix effectué, le principal est de faire concorder graphie et pluriel : un veto, des veto ou un véto, des vétos.

    Remarque 2 : De la Révolution datent les néologismes vetotiser, vetotier : « Promettez-nous de sanctionner tous les bons décrets que vous avez vetotisés », « Un roi qui vétotise perd la confiance et l’amour des citoyens » (Jacques-René Hébert, cité par Michel Biard dans Parlez-vous sans-culotte ?) ; « Les fautes des patriotes sont plus funestes que tous les coups de chien des vetotiers » (cité par Marilia Marchetti). Littré, quant à lui, observe que les journaux de son époque « commencent à introduire, en parlant des affaires d'Amérique où le président a le veto, le verbe vetoer, opposer le veto ». Que voulez-vous, la langue appartient à ceux qui ont une raison de se... lever tôt !

    Remarque 3 : Dans un récent article (publié le 4 avril 2019 sur son site Internet), l'Académie apporte les précisions suivantes : « Apposer s'emploie essentiellement avec des noms concrets tandis qu'opposer peut s'employer avec des noms abstraits. Comme le nom veto désigne un droit reconnu par certaines constitutions au chef de l'État de s'opposer à la promulgation d'une loi votée par l'Assemblée législative et, par extension et par affaiblissement, une opposition, un refus ou une interdiction, c'est opposer un veto qu'il faut dire, (comme on dit opposer un refus, opposer une fin de non-recevoir)et non apposer un veto. »

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L’Écosse pourrait exercer son droit de veto (ou prononcer, mettre, voire opposer son veto).

     

    « Faire des bonds... de souscriptionDe l'intérêt du circonflexe »

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