• On a du mal à imaginer aujourd'hui la polémique démesurée qu'a suscitée l'essor du verbe baser.

    Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle. Baser, d'abord attesté en architecture (1504), est de plus en plus largement employé − bientôt même par d'excellents auteurs (Stendhal, Balzac, Hugo, Baudelaire, Duhamel, Gide, Cocteau, etc.). L'Académie cède à la pression en l'admettant dans son Dictionnaire en 1798... pour le bannir de l'édition de 1835, à la suite d'une campagne menée par quelques puristes qui tiennent le drôle pour un synonyme inutile de fonder. « S'il entre, je sors ! » s'écriera l'académicien et philosophe Royer-Collard. 

    De nos jours, l'Académie ne reconnaît que l'acception militaire du verbe baser, à savoir « installer dans une ou plusieurs bases (militaires) ».

    La flotte basée à Brest. Les troupes basées sur le territoire.

    Pour le reste, elle persiste dans sa condamnation : « [Le verbe baser] ne doit pas être employé au sens figuré. Il faut lui préférer Fonder, établir » (neuvième édition de son Dictionnaire, 1992).

    On peut légitimement se demander pourquoi les académiciens font preuve d'un tel acharnement (suspecteraient-ils une influence de l'anglais based on ?), quand Littré lui-même reconnaissait qu'il s'agit d'« un néologisme fort employé présentement et qui n'a rien de condamnable en soi », puisque régulièrement formé sur base comme fonder l'est sur fond. Hanse renchérit : « Baser, employé comme synonyme de fonder, a des ennemis irréductibles. Cet emploi n'est pourtant ni récent ni rare, même dans la langue cultivée ou littéraire, et l'on doit le considérer comme correct. »

    Pour autant, rien n'empêche l'usager soucieux d'éviter toute critique de recourir à fonder, d'autant que ce dernier possède certaines acceptions étrangères à baser. Il en est ainsi de : Fonder un foyer, une famille, une entreprise, un parti politique. Fonder sur quelqu'un de grands espoirs (= croire en ses possibilités).

    Dans le sens de « prendre pour base, pour fondement » et « s'appuyer sur », (se) baser et (se) fonder sont considérés comme synonymes – même si les puristes proscriront la formulation (se) baser sur « qui sent trop ses origines scientifiques » (elle appartient à la langue de l'architecture, de la géométrie et de la chimie, selon Georgin).

    Il a fondé (de préférence à basé) son argumentation sur des éléments invérifiables.

    Une relation fondée (de préférence à basée) sur la confiance.

    Sur quoi se sont-ils fondés (de préférence à basés) pour critiquer cette analyse ?

    On dira toutefois, avec l'adjectif fondé employé au sens de « légitime, justifié, mérité » :

    Ces remarques ne sont pas fondées (et non ne sont pas basées).

    Le bien-fondé d'une requête.

    Séparateur de texte

    Remarque 1 : La forme passive être fondé à (de préférence à de) signifie « avoir de bonnes raisons pour, être autorisé à ».

    Cet enfant est fondé à réclamer son héritage.

    Remarque 2 : Un fondé de pouvoir est une personne dûment autorisée à agir au nom d'une autre personne ou d'une société (Des fondés de pouvoir).

    Remarque 3 : Le magazine Vie et Langage a tenté d'établir une distinction entre les deux verbes, suggérant que, si l'on conçoit qu'une opinion puisse être fondée sur des preuves irréfutables (au sens de « s'appuyer sur », « être motivé, justifié »), « il est assez choquant de parler d'une "opinion fondée sur des ragots de bonne femme" ». Dans le cas où l'idée positive de soutien est absente, l'emploi de basé semble préférable. Ce qui donnerait ainsi toute sa légitimité à la phrase de Proust : « Du moins le plaisir n'était-il pas basé sur le mensonge » (À l'ombre des jeunes filles en fleurs).

    Baser / Fonder
    Steve Jobs avait co-fondé la célèbre marque à la pomme.
    (photo wikipedia sous licence GFDL by Matt Yohe)

     


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  • La confusion entre affabuler/affabulation et fabuler/fabulation est courante... parfois même entretenue par des dictionnaires peu scrupuleux (cf. Remarque 2).

    Empruntée du latin affabulatio, affabulation désigne au sens strict la moralité d'une fable (= la partie qui en explique le sens moral), puis par extension la trame d'un récit, l'intrigue d'une pièce. Quant au verbe affabuler, il signifie « agencer l'intrigue d'une œuvre ».

    Voici en deux mots l'affabulation de ce roman.

    Affabuler un récit (= organiser la trame du récit).

    C'est donc à tort, selon l'Académie, que l'on associe au couple affabuler/affabulation l'idée de rapporter les faits de manière infidèle, qui relève en fait de fabuler/fabulation : empruntée du latin fabulatio (« discours, conversation », puis « bavardages mensongers »), fabulation désigne en effet l'action de fabuler, c'est-à-dire d'inventer des histoires présentées comme vraies. On notera, du reste, que l'Académie donne pour définition de mythomanie : « Tendance à fabuler, à inventer des récits mensongers ».

    La fabulation caractérise certains états pathologiques.

    Toute cette histoire n’est que mensonges et fabulations.

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    Remarque 1 : On notera que le verbe affabuler est transitif direct (on affabule quelque chose) tandis que fabuler, dans son sens moderne, est intransitif (on fabule).

    Remarque 2 : Le Larousse illustré 2005 entretient la confusion, en proposant une définition spécieuse d'affabulation : « Arrangement de faits imaginaires, invention plus ou moins mensongère. » Arrangement de faits imaginaires pourrait convenir si l'on entend par là « arrangement des faits constituant la trame d'un ouvrage d'imagination », mais invention plus ou moins mensongère doit être réservé à fabulation si l'on s'en tient à la définition donnée par l'Académie.

    Remarque 3 : Un internaute, qui se fait appeler Archaon12, fait remarquer que « la distinction [entre affabulation et fabulation] n'est pas toujours facile et, dans certains cas, les deux [idées] se mélangent : par exemple, quand Choderlos de Laclos, dans sa préface des Liaisons Dangereuses, indique qu'il s'agit d'un véritable échange épistolaire dont il n'est que le compilateur et pas l'auteur, il fabule ses affabulations ». Plus justement, on dira, à propos de l'affabulation de son récit, que Choderlos de Laclos fabule, en ce sens qu'il prétend livrer une correspondance authentique.

    Par ailleurs, reconnaissons que la distinction n'est pas toujours aisée à l'oral : la fabulation se prononce comme l'affabulation.

    Remarque 4 : Le substantif fabulateur désignait autrefois un conteur, un auteur de récits, aujourd'hui une personne qui, consciemment ou non, invente des histoires qu'elle présente comme vraies.
    Curieusement, on ne trouve nulle trace du substantif affabulateur du côté de l'Académie.

    Affabuler / Fabuler
    Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos :
    fabulation et affabulation.

     


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  • Qu'on se le dise, les adverbes jadis et naguère ne sont pas synonymes ! Bien au contraire...

    Jadis est la contraction du vieux français ja a dis (du latin jam, « déjà », et de dies, « jour »), signifiant « il y a déjà des jours » et, par extension, « il y a longtemps, autrefois ».

    Naguère est la contraction de (il) n'y a guère (de temps), soit « il y a peu de temps, récemment ».

    On veillera donc à bien faire la distinction entre jadis, qui indique un passé lointain, et naguère, qui se situe dans un passé proche.

    Il fut mon ami, jadis.

    Au temps jadis.

    Cette entreprise, naguère si florissante, subit aujourd'hui la crise de plein fouet.

    Séparateur de texte

    Remarque : Antan signifie au sens propre « l'année d'avant » (du latin ante, « avant », et annum, « année »). On l'emploie aujourd'hui uniquement comme complément du nom avec le sens abusif de « autrefois », « jadis » (Les coutumes d'antan) alors qu'il devrait être considéré comme leur antonyme : antan (il y a peu de temps) s'oppose à jadis (il y a très longtemps).

    Mais où sont les neiges d'antan (= d'autrefois, plus vraisemblablement que de l'année passée) ? [vers de François Villon, extrait de la Ballade des Dames du temps jadis, évoquant l'inexorable fuite du temps].

    Jadis / Naguère

     


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