• Une question d'habitude

    « Samedi 11 novembre les Cournonsécois étaient présents, comme à l'accoutumé, pour commémorer le 99ème anniversaire de l'armistice de la guerre de 14-18. »
    (paru sur midilibre.fr, le 14 novembre 2017)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Contrairement à la locution à l'arraché, construite à partir de la forme masculine du participe passé de arracher (voir ce billet), la locution à l'accoutumée s'écrit avec -ée pour avoir été forgée (au XVIe siècle, semble-t-il) sur la forme féminine du participe passé de accoutumer : « Si j'aimois à l'accoustumée » (Philippe Desportes, 1573). Rien que de très logique pour qui sait, à l'instar de Louis-Nicolas Bescherelle, que le mot manière est ici sous-entendu : « À l'accoutumée, locution adverbiale et elliptique pour, à la manière accoutumée [= habituelle], et qui signifie, À l'ordinaire, comme on a coutume de faire » (Dictionnaire national, 1845) (1).

    Force est pourtant de constater, à la décharge des contrevenants, que l'hésitation sur la finale de notre locution est... coutume courante, et ce depuis belle lurette. Jugez-en plutôt : « [Ils] s'assirent, à l'accoustumé, souz ceste frescade [= ombrages frais] », mais « Il [...] n'eut responce autre qu'à l'accoustumée » (François de Belleforest, 1571 et 1579) ; « Tous ces ornemens furent employez à l'accoutumé », mais « Les cérémonies se firent à l'accoustumée » (Guillaume Marlot, vers 1643) ; « Ce dont je vous prie seulement est de laisser vos ordres touchant [...] mon quartier d'octobre que je tirerai à l'accoutumé », mais « Tout s'y passa à l'accoutumée, sans aucune innovation » (cardinal de Retz, XVIIe siècle). De là à prétendre que ces auteurs sont coutumiers du fait...

    La graphie, au demeurant, n'est pas la seule tranchée creusée par ladite locution pour nous faire trébucher. Nombreux sont ainsi les poilus de la langue à trouver des airs pléonastiques à son emploi avec la conjonction comme : « L'expression à l'accoutumée signifiant comme de coutume, comme d'habitude, il n'y a pas lieu de l'alourdir en la faisant précéder du mot comme, ce qui exclut l'envahissant "comme à l'accoutumée". N'est-il pas plus simple et plus rapide de dire tout bonnement comme d'habitude ? » s'interroge, avec quelque apparence de raison, Jacques Capelovici dans son Guide du français correct (1992). Même réserve chez Girodet : « Il est conseillé d'éviter comme à l'accoutumée et surtout comme d'accoutumée. » (2) D'autres, à l'inverse, ont coutume de voir dans cette combinaison un tour recherché : « À l'accoutumée précédée [sic] de la conjonction comme s'emploie à la place de comme d'habitude, dans la langue soutenue : Comme à l'accoutumée, il avait laissé passer l'heure » (Jean-Paul Jauneau, N'écris pas comme tu chattes, 2011). Après tout, n'est-elle pas attestée, elle aussi, depuis le XVIe siècle : « Les Hongrois pensans comme à leur accoustumee venir faire leur moisson dedans le païs de Baviere » (Nicolas Vignier, 1587), et jusque sous des plumes autorisées : « David jouait de la harpe devant Saül comme à l'accoutumée » (Voltaire), « Tout s'y passe comme à l'accoutumée » (Antoine-Vincent Arnault, cité par Littré), « Il poussait des soupirs, comme à l'accoutumée » (Georges Duhamel), « Laure, comme à l'accoutumée, était restée silencieuse » (Daniel-Rops), « Tout le monde meurt de faim, sauf, comme à l'accoutumée, quelques politiciens et quelques affairistes » (Jean Dutourd), « Péguy le refait à son usage, hardiment comme à l'accoutumée » (André Goosse), « Comme à l'accoutumée, Augustin d'Hippone cherche à concilier la faiblesse humaine et l'exigence de la foi » (Alain Rey), « Sainte-Beuve laissa paraître comme à l'accoutumée son caractère amer et acrimonieux » (Hélène Carrère d'Encausse) ? Avec pareilles cautions, Hanse a beau jeu d'observer que « l'expression vieillie à l'accoutumée [est] généralement introduite par comme ». L'Académie, quant à elle, n'y trouve rien à redire : « À l'accoutumée, à l'ordinaire. Il est arrivé en retard, comme à l'accoutumée », « Il était, comme à l'accoutumée, d'humeur coléreuse » (neuvième édition de son Dictionnaire [3]). Une fois n'est pas coutume...

    (1) En 1699, déjà, Abel Boyer nous mettait sur la voie : « In the usual manner, à la manière accoûtumée, à l'accoûtumée » (Dictionnaire royal français-anglais et anglais-français).

    (2) À en croire Étienne Le Gal dans Cent manières d'accommoder le français (1932), on ne se risquera pas davantage à écrire d'accoutumée en lieu et place de d'habitude.

    (3) On observera, au passage, que plus aucune mention d'usage ne figure dans la neuvième édition devant à l'accoutumée, encore présenté comme « familier » dans la sixième (1835), « vieilli » dans la septième (1878) et dans la huitième (1932). Il n'empêche, le tour ne se rencontre plus de nos jours qu'à l'écrit.

    Remarque 1 : La substitution, dans notre expression, d'un adjectif possessif à l'article défini est ancienne et assez répandue (à l'écrit s'entend). Témoin ces exemples, qui viennent s'ajouter à celui de Vignier déjà cité : « Les Ecclesiastiques [...] voulurent faire leur procession generale parmy la ville à leur accoustumée » (Jean-François Le Petit, 1601), « Je n'ay peu luy donner ceste lettre, par laquelle je veux respondre, quoy que couramment, à mon accoustumée, aux dernières lettres que j'ay receu de vous » (François de Sales, 1611), « L'Empereur ne manquerait pas de l'y acuser grievement et de le charger de calomnies à son accoustumée » (Eudes de Mézeray, 1646), « Vous le trouverez [un courrier extraordinaire], je m'assure, assez important pour donner à votre accoutumée une singulière application à la ponctuelle exécution de mes ordres » (Louis XIV, 1665), « Il ne me parla plus de moi pour cet emploi, mais d’ailleurs toujours à son accoutumée » (Saint-Simon), etc.

    Remarque 2 : Concernant la distinction entre commémorer et célébrer, voir ce billet.

       

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils étaient présents, comme à l'accoutumée (ou comme de coutume ou, plus couramment, comme chaque année), pour célébrer le 99e anniversaire de l'armistice de 1918.

     

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