• Ou l'un ni l'autre

    « Vous n'avez pas besoin de vêtements formels ou même d'avoir un chauffeur. »
    (publicité pour la nouvelle Renault Mégane)



    FlècheCe que j'en pense


    Entendu aujourd'hui à la télévision, ce message publicitaire doublement suspect au regard de la syntaxe. D'une part, ou (comme ni) ne peut coordonner que des éléments de même nature et de même fonction grammaticales (1) : « On peut dire : Un garçon intelligent ou travailleur (mais non Un garçon intelligent ou qui travaille beaucoup). On peut dire : J'enverrai une lettre ou je téléphonerai (mais non Pensez à la lettre ou à téléphoner) », confirme Girodet.

    D'autre part, l'emploi de la conjonction ou hors du sens affirmatif est incorrect, nous disent les spécialistes de la langue. Dans une proposition négative (ou de sens négatif), c'est en effet ni qui est censé jouer le rôle de coordonnant (2). Comparez : (phrase affirmative) Il devrait parler à son père ou à sa mère → (phrase négative) Il ne devrait pas parler à son père ni à sa mère. Vous pouvez l'approuver ou le blâmer Vous ne pouvez ni l'approuver ni le blâmer.

    Seulement voilà, force est de constater avec Grevisse que « ou s'introduit de plus en plus à la place de ni ». Le phénomène, attesté chez les meilleures plumes, n'est, du reste, pas récent : « Pas un seul petit morceau / De mouche ou de vermisseau » (La Fontaine), « Monsieur, j'ai grande honte et demande pardon / D'être sans vous connaître ou savoir votre nom » (Molière), « Ce n'est pas que Chimene escoute leurs souspirs, / Ou d'un regard propice anime leurs desirs » (Racine), « Je n'ai pas daigné ôter mon chapeau à leur cercueil ou consacrer un mot à leur mémoire » (Chateaubriand), « Mais, ce n'était plus un grand homme ou un grand poète dont je visitais le séjour favori ici-bas » (Lamartine), « Je n'ouïs jamais parler d'une telle ou impatience ou irrésolution » (Balzac), « Personne n'a le pouvoir de les faire pleurer ou rire » (Mauriac), « Ni Dion, ni Spartien ne sont de grands historiens, ou de grands biographes » (Yourcenar).

    Le recul de ni paraît à ce point généralisé en français contemporain que d'aucuns se demandent si l'intéressé n'est pas voué à disparaître, à l'instar de neïs (remplacé par même) et de néant (remplacé par rien) autrefois employés en corrélation avec ne dans la négation.
    Le première classe Ornicar, où qu'il soit, attendra : c'est le soldat Nini qu'il faut sauver fissa !

    (1) Selon Hanse, « la langue classique hésitait moins que la nôtre à coordonner avec et (et aussi avec ou, ni, mais) des compléments qui n'étaient pas de même nature grammaticale (noms, adjectifs, pronoms, infinitifs, propositions complétives) : J'en suis persuadé et que de votre appui je serai secondé (Molière). Je le souhaite fort et de pouvoir remettre en train mon commerce de la poste (Sévigné). Le Roi craignait le poids des affaires et de manquer d'un homme capable de l'en soulager (La Rochefoucauld). Certaines de ces asymétries restent courantes ou possibles aujourd'hui ; on dit sans hésiter : C'est un élève intelligent, mais qui ne travaille pas (adjectif + relative). Il demanda son chemin et s'il était loin (nom ou pronom + interrogation indirecte). Etc. ».

    (2) Autrement dit, ni ne peut s'employer en français moderne sans ne ou autre mot négatif (non, sans).

    Remarque 1 : À l'inverse, ni s'est employé (aux XVIe et XVIIe siècles) avec le sens de « et » dans des phrases affirmatives représentant une négation atténuée : « Je serois bien fasché que ce fust à refaire, / Ny qu'elle m'envoyast assigner la premiere » (Racine), « Et voit-on, comme lui, les ours, ni les pantheres / S'effraier sottement de leurs propres chimeres ? » (Boileau) ou dans des propositions comparatives d'inégalité, où la négation est implicite : « Patience et longueur de tems / Font plus que force ni que rage » [c'est-à-dire : plus que ne font la force et la rage] (La Fontaine). Ce tour est aujourd'hui considéré comme archaïque.

    Remarque 2 : Concernant la règle d'accord après deux sujets coordonnés par ou, voir le billet Ou.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Vous n'avez pas besoin de porter un costume ni même d'avoir un chauffeur (ou Vous n'avez pas besoin de costume ni même de chauffeur).

     

    « Une syntaxe au poil ?Une histoire de blé »

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  • Commentaires

    1
    Juliette
    Mercredi 22 Janvier 2020 à 10:37

    Bonjour,

    En parlant d'avoir besoin, j'ai un doute. Doit-on dire "J'ai besoin de plus que me rafraichir" ou "J'ai besoin de plus que de me rafraichir" ?

    Merci pour votre réponse

    Meilleures salutations

      • Vendredi 24 Janvier 2020 à 09:20

        Ni l'un ni l'autre, selon moi.
        On dira, selon le sens : J'ai besoin de me rafraîchir davantage ou J'ai besoin de boire plus que de me rafraîchir.

    2
    Chambaron
    Mardi 31 Janvier 2023 à 11:40
    Chambaron

    Concernant la ponctuation avec ni, pouvez-vous confirmer que la virgule est malvenue avant cette conjonction "de coordination". Comme dans le cas des autres conjonctions de ce type (mais , ou, donc, car et même et), on assiste à une prolifération de ce ces virgules qui "cassent" justement la coordination.

    Quel est votre avis ?

      • Mardi 31 Janvier 2023 à 15:23

        Selon Girodet :
        1/ Pas de virgule quand ni... ni... unit deux verbes, deux noms, deux adjectifs, deux adverbes : Ce garçon n'est ni sot ni paresseux.
        2/ Virgule facultative quand ni... ni... unit deux propositions ou quand on veut, par un effet stylistique, isoler l'un des éléments.
        3/ Virgule obligatoire quand il y a plus de deux fois niIls ne sont ni lâches, ni stupides, ni dénués de culture.
        4/ Quand ni n'est pas répété, jamais de virgule (Il n'a pas de camarades ni d'amis), sauf s'il y a rejet d'un sujet après le verbe (Je n'étais pas là, ni vous non plus) ou si l'on veut isoler un élément pour des raisons stylistiques (Il n'a plus de crainte, ni d'espoir d'ailleurs).

      • Chambaron
        Mardi 31 Janvier 2023 à 18:48
        Chambaron

        Un grand merci pour votre réponse rapide et circonstanciée. Cela correspond à ma pratique comme relecteur-correcteur. Je dois régulièrement élaguer les textes et à la longue on finit par avoir des doutes. Difficile d'expliquer aux auteurs que leurs manuscrits sont surponctués.

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