• Une histoire de blé

    « Les PME sont étouffées par les donneurs d'ordre géants, dirigeants et rentiers protégeant leurs émoluements. »
    (Henri de Bodinat, dans son livre Les Sept Plaies du capitalisme, paru aux éditions Léo Scheer)



    FlècheCe que j'en pense


    Girodet, qui n'a pas pour habitude de nous rouler dans la farine, est catégorique : « Ne pas écrire émoluement. » C'est que le mot, contrairement à la plupart des noms en -ment (dénuement, engluement, éternuement, remuement, etc.), n'est pas dérivé d'un hypothétique verbe émoluer (1), mais du latin emolumentum (lui-même issu de molere, « moudre ») qui se disait de la somme payée au meunier pour moudre le grain, d'où « avantage, profit, intérêt, gain ». Rien ne justifie donc ici la présence d'un e muet intercalaire. La faute est pourtant attestée de longue date (esmoluement, 1366), si l'on en croit le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy.

    Six siècles plus tard, force est de constater qu'il reste encore du pain sur la planche pour éradiquer cette lettre superfétatoire. Jugez-en plutôt : « [D'Alembert] juge insuffisants les émoluements que lui attribuent les libraires » (Jeanne et Michel Charpentier, L'Encyclopédie, 1967), « Gain, émoluement » (Guy Robert, Mots et dictionnaires, 1972), « Les émoluements des patrons du CAC 40 » (La Tribune), « leurs émoluements » (Le Monde), « les émoluements du chef de l’État » (Europe 1), « toucher de confortables émoluements » (Libération), « [les] émoluements dus au notaire » (Journal officiel du Sénat).

    L'orthographe, au demeurant, n'est pas le seul écueil que nous réserve ledit substantif masculin : il reste à traiter la délicate question du nombre. Les spécialistes s'accordent à dire de nos jours qu'émolument ne s'emploie plus au singulier que dans la langue juridique, pour désigner la part d'actif attribuée à un héritier, à un légataire universel ou à un époux commun en biens : Émolument de succession. Celui qui a l'émolument est tenu de payer les charges. C'est le pluriel qui s'impose dans l'acception générale de « rétribution, rémunération », que ce soit à propos d'un officier ministériel (huissier, commissaire-priseur...) pour un acte de son ministère ou, par extension, d'un employé, spécialement d'un fonctionnaire (2) : « [La Chambre] ne réduisait pas ignoblement les émoluments ministériels » (Honoré de Balzac), « Les émoluments des membres de la Commune étaient de quinze francs par jour » (Louise Michel), « Mopse, pour tous émoluments, longtemps vécut / De coups de pieds au cul » (Paul-Jean Toulet). Quelques rares plumes contemporaines s'évertuent pourtant à maintenir le sens étymologique dans des emplois au singulier : « La brodeuse acceptait de recevoir pour tout émolument des entrées de faveur au théâtre » (Claude Duneton), « À la fin c'est énervant / De manquer obstinément / De cette sorte d'émolument » (René de Obaldia), « Souvent il n'exige aucun émolument pour la célébration d'un mariage ou d'un enterrement » (Michel Onfray). Histoire de ne pas apporter trop d'eau au moulin du changement ?

    (1) Pour autant, le verbe émolumenter s'est dit autrefois au sens d'« acquitter l'émolument dû pour telle chose ».

    (2) L'usage distingue, selon le genre d'activité et la catégorie sociale de l'intéressé, entre : appointements (d'un employé), dividendes (d'un actionnaire), émoluments (d'un notaire, d'un avoué), gages (d'un domestique), honoraires (d'un avocat, d'un médecin), allocation (d'un chômeur), indemnité (d'un parlementaire), paie ou salaire (d'un ouvrier), pension (d'un retraité), prêt (d'un soldat), solde (d'un officier), traitement (d'un fonctionnaire), etc.


    Remarque 1 : Selon le Dictionnaire de l'Académie, le terme émoluments, dans son emploi administratif, désigne l'ensemble des sommes perçues par un fonctionnaire, comprenant le traitement proprement dit, soumis aux retenues légales, et les indemnités ou allocations diverses. Dupré ajoute que « l'usage actuel distingue nettement entre le traitement, calculé par mois ou par année, et les émoluments, rétribution correspondant à un travail donné et non à une période de temps ».

    Remarque 2 : On raconte qu'Alphonse Allais, lorsqu'il était journaliste débutant, avait pris l'habitude chaque mois de venir réclamer « [s]on appointement », car, disait-il en considérant les quelques billets fraîchement émoulus de l'enveloppe : « Je ne vais quand même pas déranger le pluriel pour si peu de chose ! » L'anecdote serait tout aussi savoureuse avec émolument.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Dirigeants et rentiers protègent leurs émoluments.

     

    « Ou l'un ni l'autreUn cheveu sec sur la langue ? »

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