• Il y en a de belles...

    Il y en a de belles...

    « Il y a-t-il un médecin près de chez vous ? »
    (paru sur corsematin.com, le 30 juin 2016) 

     
     

    FlècheCe que j'en pense


    Il y a des jours comme ça, où l'on ferait mieux de ne pas se promener sur la Toile. En l'espèce, cela m'aurait évité de tomber sur ce titre indigeste, résultat du télescopage entre la construction déclarative et la construction interrogative du gallicisme il y a.

    Rappelons à toutes fins utiles qu'audit tour impersonnel ne correspondent que deux formes interrogatives conformes aux règles de la syntaxe : y a-t-il... ? (avec inversion du pronom sujet et insertion d'un t euphonique, encadré par des traits d'union, pour éviter le frottement entre les voyelles a et i) et, dans le registre familier ou oral, est-ce qu'il y a... ?, à l'instar de ces exemples prescrits par les meilleurs spécialistes de la langue : « Y a-t-il quelqu'un ici ? Y a-t-il des acheteurs dans la salle ? Quel mal y a-t-il à cela ? Qu'y a-t-il de nouveau ? N'y a-t-il rien de nouveau ? » (Dictionnaire de l'Académie), « Où y a-t-il une pharmacie ? Qu'est-ce qu'il y a ? » (Robert illustré), « Quel grand mal est-ce qu'il y a à prendre le frais la nuit ? » (Molière, cité dans le Littré). Las ! c'est une troisième solution qui a été choisie par notre journaliste − celle, bien connue de la langue populaire, consistant à marquer l'interrogation en laissant le sujet à la place qu'il occupe dans la phrase déclarative tout en le reprenant par un pronom placé après le verbe : Ça va-t-il ? C'est-il pas malheureux de voir ça ? Il viendra-t-il ? (il étant alors souvent prononcé i).

    Le procédé est ancien et nombreux sont les auteurs à y avoir eu recours dès lors qu'il était question de faire parler des personnages du peuple : « Et combien il y a-t-il de jours de cela ? » (Xavier de Montépin, La Comtesse Marie, 1859), « Qu'il y a-t-il encore ? » (René Bazin, Baltus le Lorrain, 1926). Ce qui est surprenant, c'est son utilisation, en dehors de tout souci d'imitation, dans la presse écrite : « Pourquoi il y a-t-il un mais ? » (La Croix, 1886), « Il y a-t-il eu simple incident de route ou amerrissage ? » (Emmanuel Bourcier, Paris-Midi, 1928), « Qu'il y a-t-il sous la burqa ? » (Élie Arié, dans une chronique parue sur lemonde.fr, 2011), « Notre [journaliste] a voulu comprendre pourquoi il y a-t-il autant de grandes surfaces dans ce pays ? » (TF1), « Pourquoi il y a-t-il plus d'étoiles filantes en été ? » (Le Parisien), « Sur 180 pilotes engagés combien il y a-t-il de femmes ? » (Télé Star), « Il y a-t-il des bébés-volés argentins en France ? » (France Inter) « Il y a-t-il des vérités indiscutables ? » (sujet de philosophie publié sur le site cyberprofs.com), et jusque sous des plumes averties, d'hier et d'aujourd'hui : « Qu'il y a-t-il de plus mechant que la papauté ? » (Pierre Jurieu, 1681), « Aussi [...] il y a-t-il alors une affluence considérable » (Dictionnaire des dictionnaires, 1890 ; il s'agit là d'un cas d'inversion en dehors de l'interrogation), « Car il y a-t-il rien qui vous élève Comme d'avoir aimé un mort ou une morte ? » (Damourette et Pichon, 1934, citant [correctement ?] un vers d'Apollinaire), « Il y a-t-il autour de nous un événement qui [...] ? » (Michel Foucault dans Le Magazine littéraire, 1984, cité par Goosse) (*). C'est-y grave, docteur ? Avouez qu'il y a de quoi en faire une maladie.

    Pour ce qui est des médecins corses, je ne saurais dire, mais pour ce qui est des grammaires françaises, mon diagnostic est établi : tout porte à croire qu'il y a bel et bien pénurie.


    Remarque 1 : L'Académie précise sur son site Internet que les graphies avec apostrophe sont tout aussi incorrectes : « On n'écrit pas y'a-t'il ?, parce que ni le y ni le t ne sont des formes résultant d'une élision : le t n'est pas la forme élidée du pronom te, mais une lettre euphonique que l'on emploie pour éviter un hiatus disgracieux. On se gardera bien, en revanche, d'omettre les traits d'union qui signalent que les différents éléments de ce groupe forment une unité sonore. » (rubrique Dire, ne pas dire, 2017).

    Remarque 2 : Goosse voit plutôt une hypercorrection dans le redoublement du pronom impersonnel il : « Comme il y a est souvent prononcé [ia] dans la langue familière, un y a tout à fait régulier est remplacé par il y a » (Le Bon Usage, 2011).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Y a-t-il un médecin près de chez vous ?

     

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