• Ah que coup coût !

    Ah que coup coût !

    « Un petit sondage auquel je me suis livré a révélé : "Le sexe, ça me dégoûte (20 %), ça m'angoisse (30 %) ou ça ne vaut pas le coup (ça ne vaut pas le coût ?)." Globalement, il m'a semblé que 50 % de la population serait favorable à la mort du sexe. »
    (Boris Cyrulnik, dans son livre Sous le signe du lien, paru en 1989 aux éditions Pluriel)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Difficile, à la lecture de ce « petit sondage », de ne pas accuser le coup, quant au fond, et le coût, quant à la forme. Car enfin, les esprits dans le coup ne manqueront pas de faire valoir que la graphie valoir le coup est seule reconnue par les ouvrages de référence : « Valoir le coup : valoir d'être tenté ; avoir de l'intérêt, de la valeur. Ça ne vaut pas le coup de se déranger. Un spectacle qui vaut le coup » (Robert), « Valoir le coup, valoir la peine qu'on va se donner pour l'obtenir » (Larousse), « Valoir le coup (familier). Valoir la peine » (TLFi), « Ça ne vaut pas le coup » (Hanse), « Allez-y, ça vaut le coup » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Mais de quel coup parle-t-on au juste ? Là est toute la question, tant le choix entre les quatre cents proverbiaux embarrasse. On pense, selon le contexte, au coup de pinceau : « Il y a beaucoup d'autres personnages, mais ils ne valent pas le coup de pinceau » (Louis-Narcisse Baudry Des Lozières, 1809) ; au coup d'œil : « Va, ton sort ne vaut pas le coup d'œil qu'il te coûte ! » (Lamartine, 1830) ; au coup de sifflet : « C'est un faucon qui suit le vent et qui ne vaut pas le coup de sifflet qu'on donne pour le rappeler » (Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, 1835) ; au coup de poing : « Tous ces gens-là sont des lâches, qui ne valent pas le coup de poing » (Ponson du Terrail, 1866) ; au coup d'aile : « L'argument ne vaut pas le coup d'aile » (Raoul Lafagette, 1891) ; au coup de dés (1) : « L'affaire vaut le coup de dés » (Georges de La Fouchardière, 1930) ; au coup de reins (si tant est que la chose soit encore pratiquée), dans le registre grivois : « Valoir le coup. Expression employée par l'homme, à l'égard de toute femme qui, n'étant pas belle, a cependant quelque chose qui plaît : Elle vaut le coup, c'est-à-dire : elle mérite qu'on la baise au moins une fois » (Alfred Delvau, 1864) ; beaucoup moins, convenons-en, au coup de fusil qui, selon le lexicographe Gaston Esnault, tient pourtant la corde, depuis que Vidocq, qui en connaissait un rayon en argot des voleurs, a évoqué dans ses Mémoires (1829) les méthodes crapuleuses de fausses veuves promptes à détrousser les prêtres qui leur semblaient « valoir le coup de fusil (c'était leur expression) » (2). La métaphore est moins incongrue qu'il n'y paraît : ne lit-on pas dans la traduction française des Voyages en Guinée (1793) de Paul Erdmann Isert que bécasse, perdrix et autre menu fretin (si l'on me permet cette comparaison...) n'ont guère de succès auprès du chasseur africain, qui « ne les estime pas valoir le coup » ? (3) Elle ne fait pas l'unanimité pour autant. Que l'on songe à cet extrait d'un poème de Jean-François-Benjamin Dumont de Montigny, composé vers 1729 : « On fit bâtir un pont de bois de telle sorte / Que, pour le construire, il en coûta beaucoup, / Et qui, disons le vrai, n'en valoit pas le coup » (L'Établissement de la province de la Louisiane). S'agit-il d'une allusion au coup de fusil des chasseurs ? Bien malin qui pourrait l'affirmer à coup sûr... Toujours est-il que valoir le coup (de fusil) est attesté, en parlant d'une proie (au propre comme au figuré), comme variante populaire de valoir la peine (qu'on s'y intéresse) (4).

    Coup de chance, l'Académie établit le même parallèle entre valoir le coup et valoir la peine, mais en partant d'un postulat différent : « C'est dans son sens général d'“entreprise limitée, audacieuse et rapidement conduite” que coup est ici employé, lit-on sur son site Internet. On parle d'un coup d'éclat, de génie et, dans la langue familière, on utilise les expressions être sur un gros coup, faire les cents [sic] coups ou encore, dans la langue populaire, ça vaut le coup, “cela vaut la peine de se déranger, c'est intéressant”. » Et elle ajoute : « Ce n'est donc pas la métaphore financière (comme [on pourrait le croire] en pensant à la graphie coût) qui prévaut ici, mais plutôt celle de l'effort, de l'action. » Grande est en effet la tentation, en raison de la proximité du verbe valoir, de substituer à coup l'homophone coût, notamment dans des contextes où il est question d'argent : « Moyennant vingt sols, on pourra se promener toute la journée dans tout ce musée [le Louvre]. Cela vaut le coût » (Paul Souday, 1917), « C'est cher, mais ça vaut le coût » (Pierre Daninos, 1986), « La différence en vaut le coût » (Jean Delisle, 2003).

    Le phénomène n'est pas nouveau. En 1936, déjà, Pierre Lagarde s'interrogeait en ces termes : « On connaît l'expression populaire : "Ça ne vaut pas le coup." On l'écrit toujours ainsi. Mais (et nous posons la question à M. Abel Hermant, et surtout au populiste M. André Thérive) ne serait-il pas plus logique d'écrire : "Ça ne vaut pas le coût ?" » (Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques). Réponse indirecte et tardive de l'un des intéressés : « Pour ma part, je crois bien que, sans y penser, j'aurais écrit cela ne vaut pas le coup, confessait Abel Hermant en 1939 à une correspondante plaidant en faveur de la graphie avec coût, qu'elle interprétait comme "cela ne vaut pas ce que cela coûte". [...] Supposez un homme de main, à qui l'on propose un mauvais "coup" aléatoire ou dont il juge le bénéfice insuffisant. Ne dira-t-il pas : "Non merci ! Cela ne vaut pas le coup" ? » La graphie valoir le coût est-elle pour autant incorrecte ? Si l'auteur des Chroniques de Lancelot ne la condamne pas explicitement, d'aucuns, arguant que valoir et coûter sont synonymes, lui trouvent des airs pléonastiques ; l'argument, quand il ferait illusion lorsque valoir s'entend au sens de « correspondre à (une certaine valeur) », ne tient plus dans le cas qui nous occupe, où le verbe signifie « être suffisamment utile, intéressant pour légitimer (quelque chose), mériter (un effort, un sacrifice) ». D'autres − dont Boris Cyrulnik ? − n'y voient qu'un clin d'œil orthographique : « Le petit des Roulures a injurié publiquement la belle Laure d'Arlon. Il a été traduit devant les juges. Coût : 16 francs. Le petit des Roulures a dit en souriant : "Ça vaut le coût" » (journal humoristique Le Frou-frou, 1901), « Le jeu de mots "ça vaut le coût" [...] fait référence à l'expression "valoir le coup", mais ici avec la connotation de l'argent (le coût) » (Delphine Jégou, 2015). Cette vision, que favorise l'homophonie entre coup et coût, est trompeuse à plus d'un titre. D'abord, parce qu'elle donne à croire que la notion d'argent serait étrangère à la graphie valoir le coup. C'est évidemment faux : « Perdre encore une pièce de vingt sous pour ne voir que la moitié du spectacle, cela ne vaut pas le coup » (Richard O'Monroy, 1895), « Pour quelque argent, pour quelques sous, il risque sa vie. [...] Ça ne vaut pas le coup − comme on dit − le mauvais coup... » (Maurice Prax, 1923), « La station [spatiale] n'est pas rentable, voilà, finalement ça ne vaut pas le coup, [...] la dépense dépasse le gain » (Céline Minard, 2007). Ensuite, parce qu'elle évacue d'un coup de balai les emplois figurés du mot coût (dépense en temps, en effort, etc. et pas seulement en espèces sonnantes et trébuchantes) : « Un secret vaut le coût humain de son dévoilement » (Marc Wetzel, 2000). Enfin, parce que valoir le coût existe de longue date, indépendamment de valoir le coup. Qu'on en juge : « Lorsqu'on ne trouve rien dans la succession, [...] on fait faire un procès-verbal qui constate que cette succession manque d'objets, ou que ce qu'il y a ne vaut pas le coût d'un inventaire » (Eustache-Nicolas Pigeau, 1779), « Ce n'est point vous qui avez [rédigé ce papier] : vous avez signé, vous avez payé, répandu, expédié, mais c'est un vieux porte-plume à vos gages qui a pondu cet œuf-là. Je vous préviens que vous êtes volé. Cela ne vaut pas le coût » (H. Marchais, 1885), « Le minerai n'est pas riche et ne vaut pas le coût de l'exploitation » (Pierre Sauvaire de Barthélémy, 1899), « [Condillac] dit que "la chose coûte parce qu'elle a une valeur", c'est-à-dire que l'acheteur consent à en donner un certain prix, parce qu'il estime qu'elle vaut le coût, parce qu'il lui attribue une valeur égale à son coût » (Bertrand Nogaro, 1944), « Un bien qui, à leurs yeux, ne valait pas son coût » (Les Cahiers français, 2003), « Quels textes valaient le coût du support (papyrus ou parchemin) ? » (Rémi Brague, 2014). Aucun jeu de mots, convenons-en, dans ces exemples où coup ne saurait être substitué à coût. Autrement dit, nous avons bien affaire à deux tours différents : l'un qui s'est lexicalisé (en raison du « flou polysémique » de coup ?) avec le sens général de « mériter la peine (effort physique, financier, intellectuel, etc.) que l'on se donne ; être digne d'intérêt », quand l'autre, conservant le statut de syntagme libre, s'est spécialisé dans les comparaisons en valeur pécuniaire (5).

    Le piquant de l'affaire, cela dit, surgit au détour d'un article du Dictionnaire du moyen français : n'y apprend-on pas que coût est attesté au XVe siècle au sens figuré de... « peine qu'on se donne pour obtenir quelque chose » (repris à coûter « causer une peine, un effort à quelqu'un ») : « Si sçay trop mieulx qu'en doit valoir le pris / Ne d'en parler ne doy estre repris, / Car a chier coust l'ay a l'essay apris », « Nul bien n'est prisié sans coust » (Alain Chartier, vers 1415) ? Aussi peut-on affirmer, sans trop chercher à discuter du sexe des anges, que la graphie valoir le coût avait toute légitimité pour servir de variante à valoir la peine. Et que l'usage, en somme, lui a fait un bien mauvais coup.

    (1) Telle est la conviction du Dictionnaire historique de la langue française, qui rattache cet emploi de coup au sens de « acte effectué selon les règles d'un jeu ».

    (2) Et aussi : « Il y avait deux bécasses qui ne valoient pas le coup de fusil » (Jean-Baptiste Duchemin de Mottejean, 1782, cité par Jules-Marie Richard), « Deux [religieux] furent massacrés, un troisième, très dangereusement malade, ne parut pas aux brigands valoir le coup de fusil » (Hervé-Julien Le Sage, 1825), « Il ne vaut pas le coup de pistolet que tu fis donner au comte de Soissons » (Alfred de Vigny, 1826), « Il n'avait garde de brûler sa poudre pour ce petit gibier qui ne valait le coup de fusil » (Fanny Reybaud, 1841), « Ils [les ennemis du peuple] ne valent pas le coup de fusil, mais ils méritent le pied au cul » (Jules Vallès, 1876), etc.

    (3) De 1793 date également cet emploi figuré : « Le président allait consulter l'assemblée sur la proposition, quand la voix d'un homme, qui sans doute voulait le [Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux] sauver, s'éleva du milieu de la Montagne, et fit entendre ces paroles grossières : "Eh ! ne voyez-vous pas que le b... va crever ! il ne vaut pas le coup" » (anecdote rapportée dans la Biographie nouvelle des contemporains, 1823).

    (4) Il en est d'autres : valoir le jus (où jus s'entend au sens de « bénéfice, profit », que l'on retrouve dans l'adjectif juteux, « lucratif, rémunérateur, avantageux »), la chandelle, le détour, etc.

    (5) En l'absence de complément prépositionnel, l'hésitation entre les deux graphies est parfois possible. Celle avec coût ne se justifie que si l'idée générale et subjective de risque (ou d'effort) et de profit contenue dans valoir le coup mérite d'être restreinte à sa seule dimension pécuniaire. Comparez : Ce petit gibier ne vaut pas le coup (= le chasser serait une perte de temps et d'argent, parce que sa valeur marchande ne dépasse pas celle de la cartouche utilisée, parce qu'il est trop maigre en cette saison, parce qu'il s'agit d'une espèce protégée et que le risque auquel on s'expose est trop grand, parce que la détonation va effrayer le gibier plus intéressant, etc.) et Ce petit gibier ne vaut pas le coût (uniquement pour des considérations d'argent).
    Dans Exercices spirituels pour managers (2014), l'économiste Étienne Perrot écrit : « Sur le terrain des valeurs, le dirigeant s'interrogera pour savoir si l'objectif qu'il poursuit et les moyens qu'il compte utiliser pour y parvenir "valent le coût". Le coût ne s'entend pas uniquement comme le prix payé par lui-même ou par son entreprise en termes monétaires, mais les efforts de toute sorte, en pénibilité comme en manque à gagner, en climat de travail comme en image d'entreprise. » Pour le coup, c'est bien plutôt valoir le coup que l'usage a consacré dans ce sens large.

    Remarque 1 : L'expression valoir la peine est attestée depuis le XVIe siècle au sens de « mériter que l'on se donne du mal, être assez important pour » : « Il [= mon propos] seroit trop long à rescrire et ne vaut la peine » (Jean Crespin, 1565), « J'espère qu'elle [= la mort] ne vaut pas la peine que je prens a tant d'apretz que je dresse et tant de secours que j'appelle et assemble pour en soustenir l'effort » (Montaigne, 1580), « Reste de savoir si ce qu'il propose vaut la peine d'estre escrit et leu » (Simon Goulart, 1580), « La peine est perdue quand mesmes on a obtenu, si ce a quoy on visoit, ne valoit la peine » (Nicolas de Cholières, 1585).

    Remarque 2 : L'Académie fait preuve d'inconséquence quand elle écrit dans la neuvième édition de son Dictionnaire : « Ça vaut le coup », mais « [Valoir la peine] s'emploie souvent avec le pronom adverbial En. La chose en vaut la peine ». L'hésitation sur l'usage du pronom en dans ce type de construction ne date pas d'hier : « Valoir le coup, en valoir le coup ; valoir la peine, en valoir la peine » (Henri Bauche, 1920) ; elle peut s'expliquer par la capacité dudit pronom à reprendre une idée exprimée en amont : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine [= elle vaut la peine d'être montrée] » (Danton, 1794), « Ne vous tourmentez plus pour ce qui n'en vaut pas la peine [= ce qui ne vaut pas la peine qu'on se tourmente] » (Anatole France, 1894), « Vous passeriez tout net pour un calomniateur ou pour un fol. [...] Ça n'en vaut pas le coup [= ça ne vaut pas le coup de prendre un tel risque] » (Proust, 1923), « Nos deux hommes durent peiner de longues heures avant d'apercevoir enfin l'eau [...]. Mais le spectacle en valait le coup [= le spectacle valait le coup de faire tous ces efforts] » (Paul Bussières, 1991). On dira aussi bien sans en : « Si vraiment on peut avoir un machin à grand tirage avec photos, reportages, etc., ça vaudrait tout de même le coup » (Simone de Beauvoir, 1954), « Sans doute, demeurais-je obligé de connaître personnellement de tout ce qui valait la peine » (Charles de Gaulle, 1954).

    Remarque 3 : Il est intéressant de noter que l'anglais a, de son côté, l'expression it's worth having a shot at (ou it's worth a shot), où shot peut s'entendre, comme en français, au sens de « coup (de feu) », de « coup (au jeu) », etc.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    À chacun de se forger sa propre opinion sur ce coup-là.

     

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  • Commentaires

    1
    Pierrine
    Samedi 19 Janvier 2019 à 22:36

    Excellent article, comme d'habitude. Mais voudriez-vous m'expliquer ce que vous entendez par « ces quatre cents proverbiaux » ? Je ne trouve pas d'emploi de "proverbial" comme nom et, inversement, je ne vois pas quelle acception donner à "cent" entant que nom ici. J'avais bien pensé à "sens" au lieu de "cents", mais vous en citez plus de quatre. Pourriez-vous donc m'éclairer ?

      • Samedi 19 Janvier 2019 à 23:58

        Je parlais des quatre cents (coups) proverbiaux...

    2
    schtroumpf grognon
    Mardi 21 Janvier 2020 à 23:03

    Ici, l'ajout «(ça ne vaut pas le coût ?)» est parfaitement justifié, étant donné que l'auteur, sans la nommer explicitement, évoque la prostitution.

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