• Une syntaxe de mauvaise facture

    Une syntaxe de mauvaise facture

    « Vous serez facturé d'un service à six centimes d'euro par minute. »
    (entendu sur la plateforme téléphonique de la Caisse primaire d'assurance maladie)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Un habitué de ce blog(ue) m'interpelle récemment en ces termes : « Lorsque, pour raisons professionnelles, je contacte le service de renseignement téléphonique de la Sécurité sociale, je tombe sur une annonce commençant ainsi : "Après le bip (c'est heureux qu'il ne soit pas sonore...), vous serez facturé d'un service à six centimes d'euro par minute"... Cette tournure heurte ma sensibilité de défenseur de la langue française ! »

    Mon interlocuteur a bien raison de se montrer suspicieux. Car enfin, le verbe facturer, attesté dans cet emploi commercial depuis 1829 (*), signifie « établir la facture (décompte détaillant la nature, la quantité et le prix) de marchandises livrées, de services fournis ». Partant, c'est la chose (ou, par métonymie, la somme correspondante) à payer qui fait office d'objet direct et la personne qui paie, d'objet indirect : on facture quelque chose à quelqu'un, d'où à la forme passive quelque chose est facturé à quelqu'un. Mais, sous l'influence de l'anglais to bill someone for something (« envoyer une facture à quelqu'un pour quelque chose »), est apparue dans notre langue la construction inverse facturer quelqu'un pour (ou de) quelque chose, d'où à la forme passive une personne est facturée pour (ou de) quelque chose.

    Reconnaissons-le d'emblée, l'emploi actuel de facturer avec un objet direct de personne comme unique complément, bien que toujours ignoré des dictionnaires usuels, est d'autant plus répandu dans la langue commerciale qu'il n'a pas d'équivalent simple en français correct : facturer un client sera toujours plus concis qu'envoyer la facture à un client. Témoin ces exemples trouvés sur la Toile : « Le portage permet de facturer un client sans créer d'entreprise » (Le Figaro), « Comment il faut facturer un client » (Les Échos), « Impossible pour la banque de facturer ses clients » (L'Obs), « Facturer les clients » (Le Parisien), « Demander aux prestataires de facturer l'UMP » (Marianne). En revanche, lorsque facturer est accompagné à la fois d'un objet direct et d'un objet indirect, rien ne justifie le recours à la construction anglo-américaine : « On ne dirait pas Facturer un client pour trois ordinateurs et deux imprimantes, mais Facturer trois ordinateurs et deux imprimantes à un client », lit-on sur le portail linguistique du Canada. Sage recommandation que l'usager pourra suivre à peu de frais, histoire de ne pas voir une fois de plus la langue française payer... l'addition.

    (*) Précisons ici que l'intéressé est apparu dans notre lexique au XVIIe siècle, avec le sens initial de « fabriquer, confectionner » : « Les anciens Arabes, qui lui ont donné son nom [au sel ammoniac], savaient le facturer et en faisaient un grand usage » (Buffon). C'est ce sens qui est réalisé dans les tours de bonne facture, de facture classique, etc.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce service vous sera facturé six centimes d'euro par minute.

     

    « Demandé en bonne et due formeLa langue n'est pas un long fleuve tranquille »

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