• C'est bien à tort que l'on croit que le verbe (s')immoler serait réservé au suicide par le feu.

    Emprunté du latin immolare (composé de im-, « sur », et mola, « meule ; farine », pour « répandre sur la victime d'un sacrifice de la farine sacrée »), immoler signifie « faire périr en sacrifice à une divinité » puis, par extension, « sacrifier la vie de quelqu'un », « tuer, massacrer, égorger ». Le plus souvent employé à la forme pronominale, il prend le sens de « faire le sacrifice de sa vie ». Et c'est là que les ennuis commencent.

    D'abord, l'idée de sacrifice inscrite dans l'étymologie de (s')immoler suppose un acte volontaire commis au nom d'une cause, qu'elle soit religieuse, politique, idéologique ou autre : on brûle son corps pour faire entendre sa voix. Aussi se gardera-t-on de toute confusion avec ce qui relève du seul suicide.

    En raison d'un profond mal-être, un adolescent s'est suicidé par le feu (et non s'est immolé par le feu, faute de dénonciations, de revendications) mais Ce moine tibétain s'est immolé par le feu (ou s'est sacrifié par le feu) afin de protester contre la politique chinoise.

    Ensuite, il n'est nulle part établi que l'immolation doive se faire par le feu (auquel cas, on parlera plutôt d'autodafé, du portugais auto da fé, « acte de foi », désignant l'exécution par le feu des impies et des hérétiques  ; ou encore d'holocauste, du grec holokaustos, « sacrifice où l'on brûle la victime entière »). Certes, il s'agit là du moyen le plus couramment utilisé (sujet d'une actualité tristement... brûlante depuis les récents mouvements révolutionnaires que l'histoire retiendra sous l'appellation de « Printemps arabe »), mais l'on peut très bien concevoir de s'immoler par l'eau, par le fer, par le gaz, etc., tant l'inventivité humaine est sans limites.

    Pour manifester son désaccord avec le régime en place, cet opposant s'est immolé par pendaison (on pourra dire plus simplement : s'est pendu).

    Enfin, l'emploi du verbe immoler à la forme transitive requiert une maîtrise qui semble faire défaut à bien des journalistes, comme en témoignent les variantes sur ce même titre relevées sur Internet (ladepeche.fr, liberation.fr, lefigaro.fr, francesoir.fr, etc.) : « Béziers : l'enseignante immolée (par le feu) est décédée », suggérant par là même que la malheureuse aurait été sacrifiée par un tiers ! Sans doute eût-il été trop simple (mais aussi plus long) d'écrire : « L'enseignante qui a fait une tentative de suicide par le feu (ou qui s'est transformée en torche humaine, qui a attenté à ses jours en s'incendiant, etc.) est décédée ».

    C'est avec ce genre de raccourcis que l'on finit souvent par mettre le feu aux poudres...

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    Remarque
    : Contrairement à ce que pensent certains, l'expression s'immoler par le feu ne relève donc pas du pléonasme, dans lequel verse en revanche ce titre du monde.fr : « France Télécom : un salarié se suicide en s'immolant par le feu. »

    Immoler
    Sujet brûlant...

     


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  • C'est avec une coupable légèreté que l'on emploie le plus souvent l'adjectif éponyme, sans se soucier des deux écueils qu'il nous réserve : le contresens et l'extension abusive de sens.

    Emprunté du grec epônumos (composé de epi, « sur », et onoma, « nom »), éponyme signifie proprement « qui donne son nom à », ce qui suppose de considérer celui des deux termes qui s'impose à l'autre. La distinction est ici la même qu'entre donateur (celui qui donne) et donataire (celui qui reçoit).

    Dans l'exemple repris par tous les dictionnaires : Athéna était la déesse éponyme d'Athènes, on comprend que c'est la déesse Athéna qui a donné son nom à la cité d'Athènes. De même dira-t-on de nos jours : Eugénie Grandet est l'héroïne éponyme du roman de Balzac (et non Eugénie Grandet est l'héroïne du roman éponyme de Balzac : c'est l'héroïne qui a donné son nom au roman, pas le contraire). L'usage d'éponyme exige ainsi de respecter la hiérarchie, afin d'éviter tout  emploi « à contresens ».

    D'autre part, on notera que cet adjectif était à l'origine utilisé pour désigner une divinité, un héros, une figure historique ayant donné son nom à une ville, à une tribu, à une dynastie, etc. C'est pourquoi l'Académie demande de réserver son emploi aux personnages (réels ou imaginaires), alors que l'usage actuel tend à le généraliser aux choses (dans le domaine artistique notamment). Ainsi ne dira-t-on pas : un roman, un film, une œuvre éponyme, mais du même nom (même si cela fait assurément moins chic !).

    Dans le monde cinématographique, le sculpteur César (Baldaccini) est connu pour avoir conçu les statuettes du même nom (et non pour avoir conçu les statuettes éponymes).

    La phrase suivante cumule les deux fautes : Le roman de Tolstoï Guerre et Paix a inspiré le film éponyme de King Vidor. D'abord, l'adjectif éponyme y qualifie une chose (un film) et non une personne ; ensuite, cette extension d'usage s'accompagne d'une inversion de la relation de « nommage » (ce n'est pas le film qui a donné son nom au roman, mais le contraire).

    Même constat avec cet extrait d'un article relevé sur lexpress.fr à propos de l'homme d'affaires Rupert Murdoch : « Le patron du groupe éponyme s'est rendu à Londres ». À éviter, donc.

    Dans le milieu musical, il est fréquent de qualifier d'éponyme un album n'ayant pas d'autre titre que le nom de l'auteur (ou du groupe). Il va de soi que cet emploi est tout aussi fautif – aux oreilles de l'Académie, du moins –, dans la mesure où, là encore, c'est d'ordinaire ce dernier qui donne son nom au produit et non l'inverse. On parlera plutôt d'album du même nom ou bien on tournera la phrase dans le bon sens : Zaz est le premier album de la chanteuse éponyme.

    Une fois de plus, la confusion nous vient d'outre-Manche, où l'adjectif eponymous peut qualifier indifféremment la personne qui donne son nom ou la chose qui le reçoit, quand le français fait la distinction entre éponyme et homonyme (du grec homos, « même »). Dans le doute, mieux vaut privilégier la simplicité et se contenter de préciser « du même nom », « qui donne son nom » ou « qui tire son nom » (selon le contexte), plutôt que de verser dans l'approximation d'un vocabulaire mal maîtrisé.

    En résumé

    Ne peut être qualifié d'éponyme que le personnage (réel ou imaginaire) qui donne son nom à quelque chose (et non ce qui tire son nom de quelque chose ou qui possède le même nom).

     
    Remarque 1 : Pour désigner le rôle du personnage dont l'œuvre porte le nom, on parlera du rôle-titre (d'une pièce, d'un film) plutôt que du rôle éponyme.

    Remarque 2 : Éponyme est également un nom commun, désignant dans l'antiquité grecque celui des archontes (hauts magistrats) qui donnait son nom à l'année pendant laquelle il exerçait le pouvoir.

    Eponyme

    Emma Bovary, personnage éponyme du roman de Gustave Flaubert
    et du film de Vincente Minnelli.

     


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  • La confusion entre ces deux paronymes est fréquente.

    Emprunté du latin notabilis, lui-même dérivé de notare (marquer, signaler), l'adjectif notable signifie « qui est digne d'être signalé », en parlant d'un fait ou d'une chose, et « important par son rang, sa situation, son autorité », en parlant d'une personne.

    Un avantage, une perte, une différence notable.

    Il a fait des progrès notables en orthographe (= remarquables). Son seul défaut notable est d'écrire mal (= le seul défaut qui mérite d'être relevé).

    Un changement notable se manifesta dans son comportement.

    Une personnalité notable (= qui occupe une position sociale importante) ou, substantivement, Un notable.

    De son côté, l'adjectif notoire (emprunté du latin notorius, connu) ne s'applique à l'origine qu'aux faits et aux choses et signifie « qui est connu, manifeste, constaté de tous ». Ce n'est que par une extension de sens – qui attribue à l'individu une notoriété qui est en fait celle de son défaut – que l'Académie l'admet désormais, dans une acception essentiellement péjorative, pour qualifier « une personne désignée par un trait de comportement, de caractère, un défaut qui la caractérise et qui est connu de tous ».

    Une injustice notoire (= un fait véritablement injuste, considéré par tous comme injuste).

    La terre tourne autour du soleil, cette vérité est notoire.

    Un imbécile, un alcoolique notoire (= avéré, reconnu par tous comme tel).

    L'incompétence notoire de ce médecin a alerté le Conseil de l'Ordre.

    Il est notoire qu'il lui a sauvé la vie (tour impersonnel).

    Ainsi distinguera-t-on un fait notable (= important, qui mérite d'être signalé) d'un fait notoire (= connu de tous, dont nul ne peut contester l'authenticité ni l'existence), mais en aucun cas on ne dira que « le prix du gaz devrait connaître une augmentation notoire le mois prochain » !

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    Remarque 1
    : En dépit de l'évolution de l'Académie sur ce point, l'emploi de notoire appliqué aux personnes reste encore critiqué par certains puristes, notamment lorsqu'il s'accompagne d'une connotation élogieuse. Hanse recommande par exemple de ne pas dire un écrivain notoire mais, selon le contexte, connu ou notable. D'autres grammairiens donnent à notoire, dans cet emploi, le sens positif de « reconnu dans sa spécialité », « célèbre ».

    Remarque 2 : Dupré (voir bibliographie) note à juste titre : « Notoire insiste sur la connaissance, notable sur la valeur. »

    Remarque 3 : Les mêmes remarques valent pour les noms et adverbes dérivés : notabilité (= caractère de ce qui est notable ; personne influente) et notablement (= d'une manière notable, importante) ; notoriété (= caractère de ce qui est notoire ; réputation favorable qu'une personne s'est acquise auprès de l'opinion) et notoirement (= au su de tout le monde).

    Remarque 4 : On notera que l'expression de notoriété publique frise le pléonasme.

    Notable / Notoire

    La France a passé le cap du Nouvel An 2012 « dans le calme et sans incident notoire », s'est félicité le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant.
    Notable eût été préférable !
    (photo wikipedia sous licence GFDL)

     


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  • Quoi qu'en pensent certains, ces deux adjectifs, bien que de sens proches, ne sont pas synonymes.

    Participé présent du verbe alarmer, alarmant signifie « qui est de nature à alarmer », donc « inquiétant, préoccupant ».

    Une situation alarmante. Des symptômes alarmants.

    Dérivé d'alarme, alarmiste est d'abord un nom épicène (même graphie au masculin qu'au féminin) désignant la personne qui propage des bruits... alarmants. Employé adjectivement, il signifie « qui tend à répandre l'alarme », ce qui suppose une volonté intentionnelle d’accroître l’inquiétude.

    Des propos, des bruits, des rumeurs peuvent donc être alarmants ou alarmistes, selon que l'on insiste ou pas sur la volonté d'inquiéter qui a motivé leur annonce, mais on dira d'une situation qu'elle est alarmante (et non alarmiste, faute de volonté).

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    Remarque
    : Une fois de plus, on notera que certains dictionnaires ne nous sont pas d'une grande aide : « Alarmant : Qui alarme, effraie, inquiète. Alarmiste : De nature à alarmer ». De quoi légitimement s'alarmer !

    Alarmant / Alarmiste

    En 1999, le couturier Paco Rabanne s'est illustré par ses prédictions alarmistes
    annonçant la chute de la station orbitale Mir sur Paris.
    (photo : www.pacorabanne.com)

     


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  • Ceux qui écrivent et prononcent à corps et à cri commettent à la fois un contresens et une faute de liaison. Ils ignorent manifestement l'origine de cette expression, empruntée à la chasse à courre (ancienne forme du verbe courir) et non à l'anatomie humaine.

    Chasser à cor et à cri, c’est chasser avec grand bruit, en faisant sonner le cor (l'instrument à vent encore appelé trompe) et aboyer les chiens, d’où le sens figuré de « (vouloir, exiger, poursuivre une chose) à toute force, en insistant bruyamment ».

    Les militants réclament une augmentation à cor et à cri (= avec insistance).

    En revanche, on se lancera dans la bataille à corps perdu (= avec impétuosité, sans se ménager) ou à son corps défendant (= malgré soi). Dans les deux cas, les cris sont en option.

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    Remarque 1
    : En l'espèce, la confusion entre les homophones cor et corps provient sans doute de l'influence de l'expression (se donner, se vouer, se consacrer) corps et âme, c'est-à-dire sans réserve, de toutes ses forces.

    Remarque 2 : En tant que locution adverbiale figée, l'expression à cor et à cri ne prend pas la marque du pluriel, en dépit de quelques exemples relevés ici ou là (notamment dans le Dictionnaire historique de la langue française qui écrit : à cor et à cris).

    Remarque 3 : On appelle hallali (composé d'une forme conjuguée de haler, « exciter les chiens », et de a li, « à lui ») le cri des chasseurs ou la sonnerie de trompe annonçant que l'animal poursuivi est sur ses fins. Au figuré, ce nom masculin désigne les derniers moments d'une lutte, où va succomber l'un des adversaires (sonner l'hallali). Quant à la curée (altération de cuirée, dérivé de cuir, « peau », car ce que l'on donnait à manger aux chiens était disposé sur le cuir de la bête tuée et écorchée), il s'agit des bas morceaux que l'on donne en pâture aux chiens une fois le gibier abattu et, par métonymie, le fait de donner cette pâture, le moment où on la donne (au figuré : lutte avide pour s'emparer des places, des honneurs, des biens laissés vacants).

    A cor et à cri

    La vénerie (ou vènerie selon les Rectifications orthographiques) est encore appelée « chasse à courre, à cor et à cri ».
    (Éditions Somogy)

     


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