• L'esprit d'initiative

    « Vingt ans après la campagne "Oui, je parle français" créée à l'initiative du Ministère des affaires étrangères, l'Institut français lance "Et en plus, je parle français !" »
    (Alice Develey, sur lefigaro.fr, le 20 juillet 2017)

     

     

      FlècheCe que j'en pense


    Heureuse initiative, s'il en fut, que cette opération de promotion de la langue de Molière. Encore eût-il fallu, ne manqueront pas d'objecter les mauvais esprits, que la presse s'en fît l'écho... dans un français irréprochable. D'une part, nous enseigne Girodet, on ne met pas la majuscule à ministère, mais à son complément : le ministère de l'Agriculture, le ministère des Affaires étrangères. D'autre part, toujours d'après notre spécialiste, on dit « sur l'initiative de et non à l'initiative de, tour fautif dû à l'attraction de à l'instigation de ». Hanse acquiesce : « Quelque chose est fait sur l'initiative de quelqu'un. À l'initiative de est calqué sur à l'instigation de. » Las ! l'Académie fait voler en éclats cette touchante unanimité : « À l'initiative, sur l'initiative de quelqu'un », lit-on à l'entrée « initiative » de la neuvième édition de son Dictionnaire. Et qu'on ne s'y trompe pas : si les Immortels donnent l'impression que les deux formes sont correctes et équivalentes, force est de constater qu'ils ont clairement choisi leur camp. Jugez-en plutôt : « À la diligence de, aux bons soins de, sur la demande de, à l'initiative de » (à l'entrée « diligence »), « Fontaine Wallace, édicule de distribution d'eau potable qui fut installé dans les rues de Paris, à la fin du XIXe siècle, à l'initiative du philanthrope anglais Richard Wallace » (à l'entrée « fontaine »), « Les Forces françaises libres, nom donné aux unités de volontaires constituées à l'initiative du général de Gaulle après l'armistice de juin 1940 » (à l'entrée « force »), « Funérailles officielles, célébrées à l'initiative des pouvoirs publics, pour rendre hommage à un défunt en raison des services rendus » (à l'entrée « funérailles »), « Calendrier grégorien, calendrier institué à l'initiative de ce pape, en 1582 » (à l'entrée « grégorien »), « Demande incidente par laquelle un tiers intervient dans un procès en cours ou est contraint d'intervenir à l'initiative d'une des parties en cause » (à l'entrée « intervention »), « L'Organisation des Nations unies ou, par abréviation, l'O.N.U., l'organisation internationale fondée en 1945 selon les mêmes principes que la Société des Nations, à l'initiative des Alliés vainqueurs de l'Axe » (à l'entrée « nation »), « L'ouvroir de littérature potentielle (par abréviation Oulipo), atelier de création littéraire expérimentale, fondé en 1960 à l'initiative de divers hommes de lettres, dont Raymond Queneau » (à l'entrée « ouvroir »), « Le premier pronunciamiento eut lieu en Espagne en 1820 à l'initiative du général Riego » (à l'entrée « pronunciamiento »), « Les pyramides de Gizeh, qui furent bâties au XVIe siècle avant Jésus-Christ à l'initiative de Chéops et de ses descendants, forment un ensemble monumental » (à l'entrée « pyramide »), « Le groupe républicain radical-socialiste, créé en 1892, à l'initiative notamment de Clemenceau et de Camille Pelletan » (à l'entrée « radical-socialiste »). Bref, aucun exemple n'est proposé avec la graphie sur l'initiative de !

    Le constat est d'autant plus surprenant que le mot initiative signifie « action de celui qui, le premier, propose, suggère, entreprend quelque chose » ; partant, n'est-on pas fondé à dire sur l'initiative de comme on dit sur (et non à) la proposition de, la suggestion de ? Au demeurant, la forme avec sur est apparue la première, à la toute fin du XVIIIe siècle, avant de se voir concurrencer au milieu du XXe siècle par celle avec à : « Sur l'initiative de deux sections qu'on avait visitées la veille » (Jean-Baptiste Louvet de Couvray, 1793), « La procédure en purge des créances hypothécaires se réalisera donc, soit sur l'initiative de l'acheteur, soit sur la mise en demeure des créanciers » (Jassuda Bédarride, 1877), « Les autres, sur l'initiative de la Russie, formaient une ligue des neutres » (Jacques Bainville, 1924), « Des contributions importantes qui ont été versées à différents fonds sur l'initiative des autorités locales » (Charles de Gaulle), « Jacques et Nadine s'étaient tutoyés au premier abord (sur l'initiative de Nadine) » (Jean Dutourd), à côté de « Un marché commun créé à l'initiative des pouvoirs publics » (La Communauté européenne du charbon et de l'acier, 1953), « C'est à l'initiative de Messaline [...] que le procès s'engagea » (Lucien Jerphagnon), « C'est à l'initiative de Georges Pompidou que vient d'être créé un secrétariat d'État à l'Emploi » (Jacques Chirac), « La première Nomenclature grammaticale a vu le jour en France à l'initiative et sous l'impulsion de Ferdinand Brunot » (Marc Wilmet), « Une grande campagne de souscription nationale a même permis, à l'initiative de Radio France, sa réhabilitation » (Bernard-Henri Lévy). Toujours est-il que l'Académie, le TLFi, Larousse, Robert, Bescherelle et l'Office québécois de la langue française laissent clairement le choix entre les deux prépositions. Jean-Paul Jauneau, dans N'écris pas comme tu chattes, va encore un peu plus loin : « On dit généralement agir à l'initiative de quelqu'un, mais on peut dire également sur l'initiative : C'est sur votre initiative que nous avons écrit au préfet. » J'entends d'ici Girodet et Hanse s'étrangler d'indignation...

    Il n'empêche : difficile, dans ces conditions, de prendre des initiatives, fussent-elles légitimes, pour aller à l'encontre de l'usage...

    Remarque 1 : Rien à redire, en revanche, sur la formule dû à l'initiative de, où la préposition à est rattachée au participe  : « Une campagne, due à l'initiative de M. Eugène Rostand, a été menée en France pour conférer à nos caisses d'épargne les mêmes libertés qu'à l'étranger » (Charles Gide) − à comparer avec : Une campagne a été menée à l'initiative de M. Eugène Rostand...

    Remarque 2 : Pour une fois que l'anglais aurait pu nous aider : ne dit-on pas on somebody's initiative dans la langue de Shakespeare ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Vingt ans après la campagne créée sur (mieux que à ?) l'initiative du ministère des Affaires étrangères.

     

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