• Joyeux pas que !

    Joyeux pas que !

    « Cinq mots de la langue des signes bien utiles quand on porte un masque (mais pas que). »
    (Pierre-Louis Caron, sur francetvinfo.fr, le 15 mai 2020.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    Le phénomène ne vous aura pas échappé : il ne se passe pas une journée sans qu'un (mais ou et) pas que vienne ponctuer, à l'oral mais aussi désormais à l'écrit, un message publicitaire, un article de presse, le propos d'un chroniqueur de radio ou de télévision, voire d'un ministre. Jugez-en plutôt, et sans rire : « Sport 2000, le sport… mais pas que ! » (slogan publicitaire), « Leerdammer. Le fromage c'est sérieux… mais pas que ! » (slogan publicitaire), « Les artistes bretons soutiennent les soignants (et pas que...) » (France bleu), « C'est vrai que des transports en commun sont très fortement impactés, en Île-de-France mais pas que » (Julien Denormandie). Mais pas que quoi, me direz-vous ? Là est toute la question... Cet emploi de pas que au sens de « pas seulement, pas uniquement » suscite de vives critiques : c'est « une grave incorrection qu'il convient de proscrire » (selon le site Internet de l'Académie), « un tic de langage aussi laid qu'incorrect » (selon Quentin Périnel, chroniqueur au Figaro), un raccourci humoristique dont « l'usage sérieux [...] est une erreur de registre » (selon la Mission linguistique francophone). La formule, à y regarder de près, présente en effet l'inconvénient de cumuler pas moins de trois défauts !

    D'abord, celui de s'affranchir de l'adverbe ne. « La locution ne... que équivaut à "seulement" », lit-on dans Le Bon Usage. Partant, il ne saurait y avoir de que qui tienne au sens de « seulement » sans ne. Et c'est là que les ennuis commencent : car enfin, la locution adverbiale rien que a bien réussi, elle, à se passer occasionnellement des services dudit adverbe pour exprimer la restriction en français standard. Comparez : Il ne boit rien que de l'eau et « On le reconnaît rien qu'à sa démarche » (Grammaire méthodique du français, 1994), « Rien que, seulement. Rien que d'y penser. Nous serons seuls, rien que vous et moi. Dire toute la vérité, rien que la vérité » (Dictionnaire de l'Académie, 2017). Pourquoi n'en serait-il pas de même pour que seul ? Eh bien, figurez-vous que la langue commerciale ou régionale n'a pas attendu la bénédiction de l'Académie pour s'engager dans cette voie : « [Que] se libère du ne en parlure relâchée, confirme le linguiste Gérard Moignet [1], d'où des formules comme, en style publicitaire : Que du beau ! Que des occasions ! [puis Que du bonheur !] ou, en français régional : j'arrive que ("j'arrive seulement maintenant"), attendez que ("attendez seulement"), je l'ai vu que ("je n'ai fait que le voir, sans plus"). » Même constat dans le discours familier, où les exemples d'omission de l'adverbe ne sont légion : « J'ai bu qu'un verre de coco » (Courteline, 1897), « Les dames s'occupent que du sérieux » (Céline, 1957). Et Moignet de conclure : « Ce n'est plus le syntagme ne... que mais le simple que qui est senti comme synonyme de "seulement". » Les observateurs les plus avisés ne manqueront toutefois pas de remarquer que la formule qui nous intéresse n'est pas strictement identique aux constructions précédemment citées. En effet, s'il est possible de rétablir ne dans tous les cas (Ce n'est que du bonheur ! Je ne fais que d'arriver. Ne faites qu'attendre ! Je n'ai fait que le voir. Je n'ai bu qu'un verre. Elles ne s'occupent que du sérieux), (mais ou et) pas que est le résultat d'une ellipse supplémentaire : celle du mot ou de l'élément sur lequel porte la restriction (de façon générale : mais ce n'est pas que cela, mais il n'y a pas que cela, où cela reprend ce qui vient d'être dit). Et c'est là son deuxième défaut : « [Comment peut-on] se montrer suffisamment sourd à sa propre langue pour ne pas comprendre qu'en l'absence de complément que n'est plus le moins du monde synonyme de "seulement" ? » s'emporte la Mission linguistique francophone. Comparez : « Elle tient ma vie entre ses mains, et pas que ma vie » (Robert Merle, 1974) et Elle tient ma vie entre ses mains, et pas que... On peut s'attendre, sans trop se tromper, que les esprits sourcilleux s'accommoderont plus aisément de l'infidélité faite à ne dans la première formulation que dans la seconde. À la réflexion, je n'en mettrais pas ma main à couper, car il y a encore un détail à prendre en considération : aux yeux des puristes, le tour ne... pas que, jadis dénoncé comme incorrect par l'Académie et par Littré, reste marqué du sceau de la suspicion, même si l'usage littéraire a fini par l'admettre pour servir de négation à ne... que (2). Alors (mais ou et) pas que, pensez donc ! Et voilà pour le troisième défaut.

    (Mais ou et) pas que employé absolument (sans ne, sans complément et le plus souvent en fin de phrase) ne serait donc que l'aboutissement (le cas extrême ?) de la tendance, profonde et ancienne, de la langue orale à faire passer sur le second élément de la locution (que en l'espèce, mais cela vaut également pour tous les auxiliaires de négation) la valeur négative qui appartient de droit à ne. André Thérive fait remonter à 1756 l'emploi, à l'écrit, de que seul au sens de « seulement » : « [La loi divine donnée] à un peuple grossier, qu'à ce seul peuple » (Jacques-Georges Chauffepié) (3). Mais, si l'on excepte les simples cas d'omission de ne en phrases restrictives − attestés dans les cahiers de doléances de la Révolution : « L'on nous donne du sel qu'à 6 heures du soir » −, c'est surtout à partir de la fin du XIXe siècle que se multiplient les exemples : « C'est un peu le sang qui lui manque, à cette génération atone, mais pas que le sang » (Henry Fèvre, 1891), « C'est le "Montjoye et Saint-Denys !" des modernes chevaliers. Et pas que d'eux ! » (journal Gil Blas, 1892), « Que lui manque-t-il [à Jésus pour être notre frère] ? que le péché ! » (Louis Dimier, 1901), « Sans qu'on puisse Même lui dire adieu, fût-ce que du regard » (Robert de Montesquiou, 1915), « Que des chefs-d'œuvre consacrés ! » (réclame de La Petite Gironde, 1919), « D'ici : que de bonnes nouvelles aussi à te donner » (lettre citée par Damourette et Pichon et datée de 1925), « Attendez que, pauvre » (Joseph Malègue, 1933), « Que du bonheur importé comme ces cigarettes » (Michel Flayeux, 1992), « Car il devenait évident que pantalon et Panthéon, par manière de plaisanterie, mais pas que, étaient deux approches complémentaires d'une seule et même triomphalité » (Hervé Marengoni, 1997), « Lui, il connaissait l'usage du clitoris, et pas que » (Roland C. Wagner, 2011). Par badinerie (selon Goosse), provocation, mode, recherche d'expressivité ou souci de faire peuple, (mais ou et) pas que est désormais repris par des auteurs (ou dans des ouvrages) réputés sérieux : « Pédantisme mais pas que... » (Marie-Dominique Porée, La Grammaire française pour les nuls, 2011), « J'aime rire au théâtre, mais pas que » (Éric-Emmanuel Schmitt, interviewé en 2013), « Ces acteurs des seconds et troisièmes rôles (mais pas que, pour certains !) » (Jean-Pierre Colignon, 2016). Même le philosophe Michel Serres, avant de tirer sa révérence, s'est fendu d'un singulier plaidoyer en faveur de la formule incriminée : « Pas seulement est la forme du bon usage ; pas que est d'usage courant. Non seulement je suis favorable à l'usage, que j'entends souvent avec plaisir et que j'utilise avec gourmandise, mais j'aurais aussi de la joie à entendre ce pas que adopté par mes amis de l'Académie. » Gageons que les intéressés, tout ouïe, n'auront pas manqué de se dire qu'il vaut toujours mieux entendre ça que d'être sourd.

    (1) Les Signes de l'exception dans l'histoire du français (1959) et Systématique du mot "que" (1968).

    (2) L'absence de tout exemple de la tournure négative dans l'article « ne » de la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie nous met la puce à l'oreille : « Ne s'emploie en liaison avec que pour marquer la restriction. Il ne s'occupe que de lui. Il ne lit que des auteurs étrangers. Ils ne font que ce qui leur plaît. » Un ne... pas que s'est toutefois glissé (par inadvertance ?) dans l'article « avoir » : « Cet emploi n'a pas que des avantages. »

    (3) L'exemple paraît toutefois ambigu, dans la mesure où qu' pourrait aussi se relier à ne fut donnée : « [La première loi divine] ne fut donnée que 2 500 ans après la création du monde, dans un désert, à un peuple grossier, qu'à ce seul peuple. »

    Remarque : Selon Dupré, « on ne tolérera [l'omission de ne] que si que est précédé d'un autre auxiliaire négatif, comme personne ou rien : on peut accepter de lire sur un calicot : ici, rien que des affaires ! mais non : ici, que des affaires ! » Aussi est-on fondé à se demander si la formule (mais ou et) pas rien que ne serait pas de meilleure langue que (mais ou et) pas que. Surprise : la variante avec rien est bel et bien attestée, quoique très rarement et hors de France. Je n'en veux pour preuve que ces quelques exemples trouvés sur la Toile : « C'est majoritairement une activité d'adulescents, mais pas rien que » (intervenant suisse sur un forum de langue, 2006), « Ce sont principalement les spectacles de Scène 1425 qui sont à l'affiche à l'Annexe 3 (mais pas rien que) » (site canadien, 2018), « Sa cuisine est faite de tout ça, mais pas rien que » (blog de cuisine belge, 2019).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Cinq mots de la langue des signes bien utiles quand on porte un masque (mais pas seulement, mais aussi dans d'autres situations, etc.).

     

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  • Commentaires

    1
    Rouat
    Dimanche 31 Mai 2020 à 18:07

    Bonjour monsieur,

    Voici une citation extraite d'un commentaire du rédacteur en chef Stéphane Vernay, paru en page une du journal Ouest-France daté du 28 mai 2020:

    "Quant à l'application StopCovid, à la fin, ce sont les Français qui décideront de l'adopter ou pas. Comme ils décideront de réélire leurs députés. Ou pas."

    Je suis tenté de rapprocher l'usage de " Ou pas" de celui de "mais pas que", en ce qu'ils me déplaisent tous deux. Mais si "ou pas" me déplaît, je suis incapable de dire si son usage est fautif.

    Dans la citation ci-dessus c'est peut-être la répétition de "ou pas " qui est déplaisante: "ou pas - ou pas" sonne comme le cri du marsupilami compagnon de Spirou !

    Qu'en pensez-vous ?

    Gildas Rouat

      • Lundi 1er Juin 2020 à 12:03

        On peut lire dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : "Dans des constructions elliptiques, employé à la place de non, Pas peut remplacer une proposition négative, un énoncé négatif. Qu'il se décide ou pas, il est trop tard." Selon Girodet, la langue littéraire préfère en général non, la langue familière pas.

        L'emploi souvent humoristique de ou pas en fin de propos est devenu un tic de langage pour laisser planer le doute sur la véracité de ce qui vient d'être dit.

    2
    Rouat
    Mardi 2 Juin 2020 à 13:25

    Je vous remercie. Vous avez parfaitement répondu à mon attente et à ma curiosité.

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