• Dé... raille... ment(s)


    « Pourquoi Madame Colet concourt-elle ? Est-ce pour se faire juger ? On raillerait tes autres prix aux détriments de celui-là. L'Académie a fait son temps... »
    (Gustave Flaubert, photo ci-contre, dans sa Correspondance, le 16 avril 1853)

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Il faut croire qu'en matière de langue il est parfois plus pertinent de s'en remettre à l'Académie plutôt qu'aux écrivains, fussent-ils de talent. Car enfin, je ne sache pas que la locution au détriment de, qui signifie « au désavantage, au préjudice de », puisse s'écrire autrement qu'au singulier : Le constat fut signé au détriment de ses associés (Dictionnaire de l'Académie). Cet arrangement s'est fait à mon détriment (Littré). Favoriser un employé au détriment de ses collègues (Robert). Faire sa fortune au détriment des autres (Larousse). Zola ne s'y est pas trompé, lui qui écrivait dans Au Bonheur des Dames : « Où irait-on, si, sous le prétexte du bonheur général, on engraissait le consommateur au détriment du producteur ? »

    Force est toutefois de constater que la graphie au pluriel se rencontre plus souvent qu'à son tour, probablement sous l'influence de la locution aux dépens de, de sens voisin : « aux détriments de l'Ukraine » (Le Monde) ; « aux détriments de son vainqueur des JO » (Le Point) ; « aux détriments de Fabregas et Adriano » (L'Équipe) ; « aux détriments de personnes âgées » (Nice-Matin) ; « aux détriments de Lannemezan ou Valence d'Agen » (La Dépêche) ; « aux détriments des minorités confessionnelles » (Le Huffington Post) ; « aux détriments des micro-organismes » (Encyclopédie Larousse en ligne, à l'article « pollution ») ; « La croissance (...) est devenue contre-productive parce qu'elle se fait au détriment de la planète, aux détriments des groupes les plus faibles » (RFI). Ce dernier exemple est d'autant plus remarquable qu'il donne à penser que détriment prendrait ou non la marque du pluriel selon le nombre du complément. S'agissant d'une locution figée, il n'en est évidemment rien.

    Il ne faudrait pas en conclure pour autant que ledit substantif masculin, délesté de ses prépositions, se fût toujours présenté au singulier. Emprunté du latin detrimentum (« action d'enlever en frottant ; perte, dommage, préjudice »), lui-même dérivé de deterere, détriment s'est autrefois employé au pluriel pour désigner des débris (sens concret aujourd'hui réservé à détritus, de la même famille étymologique) et, au figuré, des vestiges, des reliques (1). Aussi se gardera-t-on de railler imprudemment la phrase de Buffon : « L'origine [de la terre végétale] est due aux sédiments de l'air, au dépôt des vapeurs et des rosées, et aux détriments successifs des herbes, des feuilles et des autres parties des végétaux décomposés. »

    (1) Dans ses Rhapsodies (1831), le poète Pétrus Borel osa qualifier les membres de l'Institut de « détriments du passé que le siècle révoque ».

    Remarque 1 : Selon Littré et le Dictionnaire historique de la langue française, la locution serait d'abord apparue sous la forme en détriment de : « les subgés desdictes eglises, qui seroit en detriment de nosditte garde, juridition et ressort » (Varin, 1383).

    Remarque 2 : L'honnêteté m'oblige à préciser que Flaubert s'est depuis lors rattrapé, en écrivant : « Comme Antipas jurait qu'il ferait tout pour l'Empereur, Vitellius ajouta : − "Même au détriment des autres ?" » (Trois contes, 1877).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On raillerait tes autres prix au détriment de celui-là.

     

    « Service comprisLa voix de l'exige(a)nce »

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :