• Un peu de finesse dans un monde de brutes

    « "Le contenu de cet enregistrement ayant été partiellement rendu public, nous allons engager une procédure de référé [...] aux fins de lui demander soit de nous faire remettre, soit de faire remettre à un tiers de son choix, une copie intégrale de l'enregistrement audio, ceci aux fins que cette pièce puisse être versée dans la procédure pénale qui sera aussitôt engagée", affirme Me Jean-Pierre Versini-Campinchi » (à propos de l'affaire Fillon-Jouyet).
    (paru sur nouvelobs.com, le 10 novembre 2014)
     
    François Fillon (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)

     

    FlècheCe que j'en pense

    On le sait, le substantif féminin fin (emprunté du latin finis, « borne, frontière, limite ») compte, parmi ses nombreux sens, celui de « but poursuivi, résultat à atteindre ». Que l'on songe aux expressions à toutes fins utiles, à seule(s) fin(s) de, à cette fin, parvenir à ses fins... et aux fins de, que l'on rencontre notamment dans la langue administrative ou juridique avec le sens de « pour les besoins de, pour ».

    Que cette dernière locution ne figure pas à l'entrée « fin » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, comme les fins limiers qui peuplent ce blog(ue) n'auront pas manqué de l'observer, ne signifie pas pour autant qu'elle est inconnue des Immortels : ne pointe-t-elle pas le bout de son nez à l'entrée « banque » (« recevoir des capitaux en dépôt ou en compte courant aux fins de les investir en opérations d'escompte ou de crédit ») ? Même flottement dans le Littré, où il faut se rendre à l'entrée « arrêter » pour trouver trace de la bougresse : « arrêter un corps mort, le retenir aux fins de forcer les héritiers du défunt à payer certaine dette. » Il est vrai que aux fins de − comme à fins de, à des fins de, pour fins de − n'est en fait qu'une variante au pluriel de l'ancienne forme à fin de (laquelle peine à se maintenir à côté de la forme usuelle afin de, obtenue après soudure orthographique).

    D'aucuns, dont l'Office québécois de la langue française, considèrent que lesdites locutions ne s'emploient qu'avec un nom d'action (indiquant le résultat à atteindre) et sans article : aux fins d'examen, d'évaluation, de consultation, d'explication, d'annulation, de relaxe ; « Les réquisitions par lui faites à son tuteur officieux, à fin d'adoption, sont restées sans effet » (Code civil, 1804). « Par conséquent, les formules du genre aux fins de l'impôt, aux fins de l'article 10, aux fins de vendre, etc. sont à proscrire » croit pouvoir ajouter le ministère de la Justice canadien, sur son site Internet. À proscrire, vraiment ? Rien n'est moins sûr. D'une part, ni l'Académie ni Littré ne se sont privés de recourir à la construction avec un infinitif, à l'instar de Verlaine dans ses Correspondances : « M'apporter bouteille d'encre de deux sous (...), un porte-plume et quelques plumes, aux fins d'écrire beaux souvenirs littéraires ». D'autre part, on trouve dans le TLFi quelques tours avec un nom ne décrivant pas une action : « aux fins d'apologétique » ; « bassin d'un établissement thermal où l'on se baigne aux fins de cure » (Michelet) ; sans parler de l'expression juridique action à fins de subsides. Grevisse, de son côté, joue au plus fin, en notant prudemment que les variantes de à fin de « acceptent pour régime un nom (souvent sans déterminant) ». Acceptent... et non exigent, la nuance est subtile.

    Toutes ces finasseries vous laissent perplexe ? Vous n'avez encore rien vu ! Voilà que deux professeurs de linguistique, Gaston Gross et Michele Prandi, prennent un malin plaisir, dans leur livre La finalité : Fondements conceptuels et genèse linguistique (2004), à prendre le contre-pied du discours dominant. Selon eux, aucun prédicat nominal ne serait admis après à fin de ; aussi considèrent-ils comme fautive la phrase On a archivé ces dossiers à fin de documentation. Quant à la forme contractée aux fins de, elle serait − toujours selon nos deux spécialistes − obligatoirement suivie d'un infinitif : la phrase On a apporté le document au commissariat aux fins de les (sic) soumettre à une expertise serait donc correcte, contrairement à On les a embarqués aux fins de rapatriement. Comprenne qui pourra. Et ce sera là le mot de la fin.

    Remarque 1 : Selon Littré, « on dit, au singulier : à cette fin. Le peuple dit souvent à celle fin (celle pour icelle), que beaucoup dénaturent en à seule fin », par suite d'une confusion phonétique. L'usage a depuis consacré la graphie populaire à seule fin (de, que) au sens de « uniquement pour (que), seulement afin (de, que) ».

    Remarque 2 : On notera que le tour à des fins peut être suivi d'un nom (désignant nécessairement une action ?) introduit par la préposition de (à des fins de propagande politique) ou d'un adjectif qualifiant lesdites fins (à des fins électorales).

    Remarque 3 : De même que afin peut se construire avec que pour introduire une subordonnée au subjonctif, on trouve à l'occasion le tour aux fins que : « en conséquence de quoi il avait même pris des conclusions aux fins que la commise fût déclarée encourue » (Dalloz).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Bien fin qui peut l'affirmer !

     

    « Non mais allô quoi !Prise de position »

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  • Commentaires

    1
    Sylvain
    Dimanche 25 Février 2018 à 06:04

    Puisqu'il s'agit ici de finesse, il me semble qu'"article" serait mieux venu qu'"entrée" dans "l'entrée « banque »". "Entrée" évoque pour moi un anglicisme informatique, mais peut-être me trompé-je.

      • Lundi 26 Février 2018 à 08:51

        Votre remarque est fondée, si l'on en croit le TLFi : "Mounin 1975 indique qu'il s'agit d'un calque de l'angl." et le Dictionnaire historique de la langue française : " Entrée s'emploie aussi pour désigner (vers 1960) chacune des formes répertoriées dans un dictionnaire ; dans cet emploi, le mot traduit l'anglais entry "action d'enregistrer dans une liste ; ce qui est enregistré" (1553)."
        Pour autant, l'Académie n'y trouve rien à redire : "LEXICOGRAPHIE. Chacun des mots, des termes auxquels un dictionnaire consacre un article. Les entrées sont souvent distinguées par l'emploi de majuscules et de caractères gras. La neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française comportera environ cinquante mille entrées."

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