• Si milaire m'était conté...

    « "Les modalités de dialogue, d'écoute et d'accompagnement des professionnels [de santé] concernés en Martinique seront similaires à celles proposées en Guadeloupe", poursuit le communiqué [gouvernemental]. »
    (paru sur nouvelobs.com, le 26 novembre 2021.)  


    FlècheCe que j'en pense


    En ces temps, sanitairement troublés, de divisions politiques, de colère sociale et de gestes déplacés, tout point d'accord est bon à saluer, fût-ce dans le domaine autrement secondaire de la langue. Je veux parler de la construction A est similaire à B, unanimement condamnée par les ouvrages de référence au profit de A et B sont similaires. Jugez-en plutôt :

    « L'adjectif similaire est assez proche par le sens d'autres mots comme analogue, pareil ou semblable, mais il ne se construit pas comme eux. Ces derniers s'emploient absolument ou avec un complément introduit par la préposition à : c'est un cas tout à fait analogue au vôtre ; "il a les oreilles en figure aux nôtres pareilles", dit le souriceau de la fable en parlant d'un chat ; le cognassier du Japon a des fruits semblables à de petites pommes. L'adjectif similaire ne s'emploie, lui, qu'absolument. [On dira :] Vos deux cas sont similaires [et non] Son cas est similaire au vôtre » (rubrique Dire, ne pas dire de l'Académie française).

    « Malgré leur parenté étymologique et leur proximité sémantique, semblable et similaire se construisent différemment. On peut dire de deux choses qu'elles sont semblables ou similaires et que l'une est semblable à l'autre, mais non que l'une est similaire à l'autre. C'est du moins ce que montrent les dictionnaires et ce qu'enseignent les grammairiens » (Le Bon Usage).

    « Similaire, en langage commercial, se dit d'un objet qui peut être assimilé à un autre : Vendre des imperméables, des parapluies et autres objets similaires. Il s'emploie toujours sans complément » (Thomas).

    « Similaire n'est pas synonyme de semblable. Le mot similaire signifie "à peu près semblable" et s'emploie surtout dans la langue du commerce et des techniques : L'article commandé nous faisant défaut, nous vous proposons un article similaire. N'est jamais suivi d'un complément. Ne pas écrire : Un objet similaire à un autre. Écrire : analogue ou comparable à un autre » (Girodet, comme souvent aussi péremptoire que Thomas).

    « Similaire s'applique à des choses plus ou moins semblables [...]. On ne dira pas qu'un article est [similaire à] un autre. On dira qu'il est comparable à..., analogue à..., du même type que... » (Hanse, que l'on a connu plus conciliant).

    « Semblable peut se substituer dans beaucoup de cas à similaire [...], mais l'inverse n'est pas vrai. On ne peut pas dire : cet objet est similaire à celui-ci » (Dupré).

    « L'adjectif similaire appartient surtout à la langue technique ou commerciale. Il exprime une comparaison entre des éléments qui sont à peu près semblables ou de même nature, ou qui peuvent être assimilés les uns aux autres sur certains points. Il n'est jamais suivi d'un complément ; ainsi, on ne dirait pas : un produit similaire à un autre, mais plutôt analogue à, comparable à un autre » (Office québécois de la langue française).

    « Similaire s'emploie sans complément. Dans une comparaison, on dit semblable à, comparable à, analogue à, etc. » (Le Bescherelle pratique).

    « Semblable, impliquant une comparaison avec un autre élément, s'emploie au pluriel, ou au singulier avec la préposition à : leurs maisons sont semblables ; sa maison est semblable à celle de son voisin. Similaire s'emploie sans complément : il est parvenu à un résultat similaire (et non il est parvenu à un résultat similaire au vôtre) » (Larousse en ligne).

    Seulement voilà : ce (large) consensus me paraît éminemment suspect. On notera, tout d'abord, que la condamnation est récente : elle ne semble pas antérieure à la parution du Dictionnaire des difficultés de la langue française (1971) d'Adolphe Thomas. Ensuite, lexicographes, grammairiens et autres semblables ont beau la relayer depuis lors, « aucun d'eux n'explique pourquoi », s'étonne à bon droit le Québécois Paul Morisset. Il est vrai qu'on peine à comprendre pourquoi un adjectif qui aurait pour sens « à peu près semblable », pour reprendre la définition de Girodet, ne pourrait pas se construire à peu près comme... semblable ! Un retour aux sources s'impose.

    Semblable et similaire sont des doublets, l'un populaire et ancien, l'autre savant et plus tardif, issus du latin similis (« semblable, ressemblant, pareil »). Plus précisément, semblable est attesté vers 1165, nous dit-on, quand similaire a attendu le XVIe siècle pour faire son apparition dans le lexique médical, comme calque du latin médiéval similaris, représentant le mot grec homoiomeres (lui-même composé de homoios « semblable » et de mêros « partie ») de la doctrine anatomique d'Aristote (1) : « Membre consemblable, simple, homogenee et similaire, c'est une mesme chose, qui n'a qu'une definition, convenable à toutes ses parties entierement semblables de nature et de nom » (Jean Falcon, 1515), « Les parties similaires sont le cuir, chair, veines, arteres, pannicules, nerfz, tendons, ligaments, cartilages et les os, lesquelles parties ne se peuvent diviser en autres de diverse espece » (Ambroise Paré, 1549). En d'autres termes, et pour paraphraser la définition donnée par l'Académie, similaire s'est dit, à l'origine, d'un tout qui est de même nature et de même nom que chacune de ses parties, ou de parties qui sont chacune de même nature et de même nom que leur tout : « Une masse d'or est un tout similaire, parce que chacune de ses parties est de l'or. Ses parties sont similaires » (Dictionnaire de l'Académie, 1762-1932). On retiendra, pour simplifier, que similaire était alors considéré comme un synonyme de homogène « composé d'éléments de même nature » ; de là l'emploi absolu exigé (2).

    Mais ça, c'était surtout au XVIe siècle. À partir du XVIIe siècle, et plus nettement après 1750, similaire renoue avec son étymologie latine en prenant le sens courant de « qui est à peu près de même nature (qu'une autre chose) » : « Similaire, similar ; like, resembling » (Cotgrave, 1611), « Les rapports de l'âge et des humeurs sont les causes similaires de l'amour sensuel » (René Bary, 1663), « Dieu ne voulut pas que son premier ouvrage universel [...] demeurât stérile sans aucune production similaire » (Antoine Arnauld ?, 1687), « Deux monceaux d'or sont similaires, [parce qu'ils ont] des particules de même espece et de même nature » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1751 ; à comparer avec les exemples de l'Académie), « Des exemples similaires de trois corps [traduction de l'anglais the similar state of three bodies] » (Journal britannique, 1751), « Ces idées similaires, qu'on me passe ce terme, ne sont pas rares » (Journal étranger, 1755), « Un grand nombre de cas similaires » (traduction des Essais philosophiques sur l'entendement humain de David Hume, 1758), « Des phrases composées de termes similaires » (Jean-Baptiste-René Robinet, 1763), « Ainsi, par un raisonnement similaire [...] » (Voltaire, 1766). L'exemple de l'Encyclopédie montre assez que, sous l'influence probable du doublet semblable et de l'anglais similar, similaire en est venu lui-aussi à impliquer une comparaison avec un autre élément. Dans la foulée apparurent les premières constructions avec complément (3) : « Les muscles et les os etant similaires à leurs fibres » (George Cheyne, traduction de l'anglais, 1725), « De manière qu'une des moitiés soit semblable et similaire à l'autre » (Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savans de l'Europe, 1746), « Les liqueurs prolifiques [...] sont composées de parties similaires à celles dont sont formés tous les organes » (René-Antoine Ferchault de Réaumur, 1749), « La charpente du corps de l'animal, quoique composée de parties similaires à celles du corps humain » (Buffon, 1753), « Les atomes [...] sont similaires entre eux » (Johann Heinrich Samuel Formey, 1754), « Une substance similaire au sable noir de Virginie » (traduction d'un texte de William Lewis, 1757), « Le cuivre en fusion [change cette fumée] en une substance similaire à la sienne » (traduction d'un texte de George Brandt, 1764), « Superstition similaire à bien d'autres » (Joseph-Charles Gilles de la Tourette, 1787), etc. (4)

    Nos spécialistes de la langue manquent-ils à ce point de perspicacité qu'ils n'aient pas senti le vent tourner ? « L'usage va peut-être en décider autrement », avance timidement Goosse, sur la foi d'une citation de Proust : « Quelque chose qui [...] paraissait affreusement similaire à l'esprit d'Oriane » (À la recherche du temps perdu, 1920). Peut-être ? Mais enfin, cela fait plus de trois siècles que la construction similaire à est copieusement attestée − d'abord, il est vrai, « dans la langue du commerce et des techniques », mais aussi, et plus souvent qu'à son tour, dans des textes littéraires. Il n'est que de se baisser pour la cueillir sous des plumes réputées avisées : « Il faudrait rendre le premier complément [...] similaire au second » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1838), « Une forme de délibération similaire à celles du parlement d'Angleterre » (Tocqueville, 1850), « Chaque organe a la vertu de transformer en substance similaire à soi ce liquide » (Littré, 1853), « Une nouvelle plante, d'un modèle similaire à celui des caladiums » (Huysmans, 1884), « Et ce retroussis des ailes, similaire au bridement des yeux » (Abel Hermant, 1890), « Un sens général tout à fait similaire à celui des phrases [...] » (Damourette et Pichon, 1930), « [Des] produits similaires aux produits Barrel » (Aragon, 1936), « Cette succession [...] est similaire au cycle d'évolution viral » (Paul Morand, 1955), « Des cabines similaires à celles qui [...] » (Pierre Benoit, 1962), « Dans le cas d'une phrase similaire à P » (Alain Rey, 1973), « Dans une attitude similaire à la mienne » (Philippe Labro, 1982), « Un premier ensemble assez similaire à l'espace marin » (Pierre Jourde, 1991), « Un plaisir similaire à la présence du chat » (Amélie Nothomb, 2000), « Des instruments similaires à ceux de l'armée » (Claude Duneton, 2001), « [Des] dérives similaires à celles [...] » (Simone Veil, 2008), « Constituer [est] "similaire" à être » (Marc Wilmet, 2009), « En Jordanie, les milieux évangélistes semblent développer une action similaire à celle qu'ils mènent au Maghreb » (René Guitton, 2009), « [Des] maisonnettes en brique rouge, similaires à celles que l'on pouvait rencontrer dans les banlieues anglaises » (Michel Houellebecq, 2010), « Des emplois figurés apparaissent, strictement similaires à ceux de [...] » (Bernard Cerquiglini, 2012), « Dans une formulation très similaire à votre drosomycine de la drosophile » (Yves Pouliquen, 2013), « Un tempérament ombrageux, similaire à celui du baromètre du vestibule » (Yann Queffélec, 2013), « Je dus affronter un cas assez similaire au sien » (Bernard Pivot, 2017), « Un corps tué par un terroriste est similaire à un corps tué par un gnou » (Yann Moix, 2017), « Procédé similaire à celui qu'utilisent les plantes grimpantes à vrilles » (Didier van Cauwelaert, 2018), « Une carrière similaire à celle de ses parents » (Patrick Poivre d'Arvor, 2019), « Une définition similaire à celle de Larousse » (Jean Pruvost, 2019). Le comble, c'est qu'elle fleurit jusque dans les colonnes de la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie : « des effets similaires à ceux de [...] » (à l'article « corticoïde »), « emploi similaire à celui de [...] » (à l'article « dito »), « un être ou un objet identique ou similaire à un autre » (à l'article « même »), « objet, ornement qui présente des caractères, des proportions similaires à un autre » (à l'article « pendant »), « une action similaire à celle de [...] » (à l'article « progestatif ») et du Larousse en ligne : « Une structure formantique similaire à celle des voyelles » (à l'article « formant »), « objet ou ornement similaire à un autre » (à l'article « pendant »), « particule élémentaire [...], similaire à l'électron » (à l'article « tauon »), etc. (5)

    Fort heureusement, l'inconséquence ne fait pas plus de victimes, de nos jours, que le ridicule...

    (1) Voir On the fabric of the human body, William Frank Richardson, 2007.

    (2) Et encore... Il se trouve que homogène s'entendait également au sens de « qui est de même nature qu'un autre objet ; qui est de même avis que quelqu'un d'autre ». De là : « Ce qui est homogenee à la verité et à la justice » (Jacques Mangot, 1594), « Formé d'une substance homogène à la sienne » (Rousseau, 1762 ; tour qualifié de « vieilli » dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ; « Je me voyais donc parfaitement homogène à lui sur ces deux points » (Saint-Simon, avant 1755). Partant, pourquoi refuser à similaire ce que l'on a accepté pour homogène ? Les deux cas ne sont-ils pas... similaires ?

    (3) À l'instar de la construction latine similis + génitif, puis datif (alicui similis) et de la construction anglaise similar to (your case is similar to mine).

    (4) Et peut-être même dès le XVIIe siècle : « [L'ulcere] est dit estre en partie similaire au cuir escorcheure » (Jean Vigier, 1614), « Le ventricule estant la plus homogene, la plus similaire à la plus simple partie du corps » (Antoine Fabre, 1657).

    (5) Et aussi dans les colonnes du Dictionnaire historique (aux articles « brader » et « mie »), du TLFi (aux articles « adapter », « britanniser », « contre- », « pinçure », etc.), du Grand Robert (par exemple à l'article « résille »), du Petit Larousse illustré (aux articles « alcoolisme » et « pilastre ») et du Supplément au Grand Larousse du XIXe siècle (aux articles « artillerie », « célesta » et « économie »).


    Remarque 1 : Selon Dupré, « similaire indique généralement une ressemblance grossière et purement fonctionnelle ; il fait penser à deux objets qui peuvent servir au même usage, alors que semblable fait penser à deux objets qu'on pourrait confondre en les voyant ». Selon le linguiste japonais Fumitake Ashino (Étude comparative des adjectifs similaire et semblable en français contemporain, 2013), similaire se dit à propos de termes qui, bien que distincts, font partie d'une même classe où ils sont indifférenciés, alors que semblable marque que deux termes sont comparables selon le point de vue de l'observateur.

    Remarque 2 : Comme semblable, similaire se rencontre à l'occasion en emploi substantivé : « Le clavecin et ses similaires, l'épinette et le clavicorde » (Grand Larousse du XIXe siècle), parfois même en parlant de personnes : « Chercher des similaires à ces Originaux » (Verlaine) − à comparer avec « Les hommes qui me sont similaires » (Balzac).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou Les modalités seront similaires en Martinique et en Guadeloupe.

     

    « En octobre, tout n'est pas roseLe bonheur n'est pas dans le pré- »

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  • Commentaires

    1
    Florent
    Mardi 30 Novembre 2021 à 14:18

    Bonjour ! Merci de vos articles fouillés. Un complément qui sera peut-être intéressant : la Grande Grammaire du français parue récemment chez Actes Sud ne condamne pas l'expression, l'emploie même plusieurs fois dans son texte et le valide avec cet extrait :

    Il en va de même des expressions locatives (loin, proche) et de similarité (identique, pareillement, semblable, semblablement) : elles sont anaphoriques lorsqu’elles sont seules 27a [...], mais elles ne le sont pas avec un complément, en à ou de [...].

    • 27 a  Un verre a été cassé, mais j’en ai trouvé un similaire.

    •  b  Ce verre est [similaire à celui qui a été cassé].

      • Mardi 30 Novembre 2021 à 18:26

        Je vous remercie de cette utile précision.

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