• Le doigt de la discorde

    Le doigt de la discorde

    « Londres en mode digital » (à propos de la Fashion Week anglaise).
    (Carine Bizet, sur lemonde.fr, le 10 octobre 2014)

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Selon l'Académie, qui sait sa langue sur le bout des doigts, l'adjectif digital signifie au sens strict « qui appartient aux doigts, qui se rapporte aux doigts » : nerfs digitaux ; empreintes digitales ; « La considération minutieuse du système dentaire et du système digital » (Académie des sciences). Le bougre est emprunté du latin digitalis (« qui a l’épaisseur d’un doigt »), lui-même dérivé de digitus (« doigt »).

    Sur cette même racine latine, l'anglais a formé digit, qui désigne à la fois le doigt et chacun des chiffres de zéro à neuf (que l'on peut compter... sur les doigts), ainsi que digital, « relatif au doigt » ou « qui est exprimé par un nombre ; qui utilise un système d'information, de mesures à caractère numérique ». Ce dernier mot s'est spécialisé aux États-Unis en parlant des machines à compter, avant de se répandre avec l'informatique (digital computer, digital display).

    Dans cet emploi, l'adjectif digital a fait son apparition en français dans les années 1960 (1), avant d'être mis à l'index par la plupart des spécialistes de la langue, au premier rang desquels les membres de la commission de terminologie et de néologie qui ont clairement affirmé leur préférence pour l'irréprochable numérique (dérivé du latin numerus, « nombre ») dans un arrêté du 22 décembre 1981 : « Numérique devrait remplacer digital dans le vocabulaire de l'horlogerie comme dans celui de l'informatique » (Hanse) ; « [Au sens de « qui utilise des nombres »], le terme numérique doit être préféré » (Académie) ; « l'adjectif français digital ne devrait pas être confondu avec l'adjectif numérique, qui lui correspond à l'anglicisme digital » (Lenoble-Pinson). Et n'espérez pas de la part de nos dictionnaires usuels, d'ordinaire si prompts à faire entendre leur petite musique, un doigt − fût-il majeur − de rébellion : Larousse et Robert, unis sur ce coup-là comme les deux doigts de la main, ont pris soin de faire précéder la définition du suspect d'une mention d'usage, respectivement « vieilli, anglicisme déconseillé » et « anglicisme - recommandation officielle numérique ».

    Inutile, pourtant, de se cacher derrière son petit digit, pardon, derrière son petit doigt : le message a visiblement du mal à passer. C'est que l'on ne force pas la main à un secteur économique constamment abreuvé de termes anglo-saxons (digital marketing, digital planner, digital network, etc.). Nombreux sont du reste les partisans de digital à affirmer, les doigts sur le cœur, que le mot est spécifique aux nouvelles technologies de l’information et de la communication que sont l’informatique, l'Internet et les télécommunications, quand numérique entretiendrait une ambiguïté avec son usage mathématique (calcul numérique). D'autres, au contraire, expliquent réserver l'adjectif digital aux écrans à cristaux liquides, dont les chiffres s'affichent sous la forme de bâtonnets qui ne sont pas sans rappeler... des petits doigts ! Vous l'aurez compris : à force d'être employés à tour de bras, nos deux termes ont fini par désigner tout et n'importe quoi, au point que seul le contexte permet, d'ordinaire, de mettre le doigt sur le sens exact. Pour preuve, cette phrase dénichée pas plus tard que ce matin sur Wikipédia : « Enfin, la fracture digitale augmente avec l'âge : deux tiers des personnes de plus de 55 ans n'ont jamais utilisé l'Internet. » Naïf comme je suis, j'étais à deux doigts de penser qu'il était question de fracture des métacarpiens...

    (1) « Nous ne rappellerons ici que quelques points essentiels de l'histoire des machines dites numériques ou digitales » (Histoire générale des sciences, 1964).

    Remarque : Dans Le français correct, Michèle Lenoble-Pinson ajoute : « Le calque du dérivé anglais digitaliser et le dérivé français digitalisation sont à remplacer respectivement par numériser (arrêté du 30 mars 1987) et numérisation (manque dans le dernier arrêté cité) : Image numérisée. Numérisation des sons. »

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Londres à la mode numérique (?).

     

    « Un billet tout de biaisPour parler franc »

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