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Horreur majuscule
« Un camion a foncé sur la foule massée sur la Promenade des Anglais pour le feu d'artifice, ce jeudi, peu après 22h30. »
(paru sur nicematin.com, le 14 juillet 2016)
Ce que j'en pense
Tâchons d'oublier un instant, si tant est que cela soit possible, l'horreur du 14 Juillet niçois pour nous intéresser à la seule question qui vaille dans le cadre d'une chronique de langue : le mot promenade prend-il la majuscule quand, associé au complément des Anglais, il désigne le front de mer de Nice ? Il n'est probablement pas de rédaction où l'on ne se soit penché sur la difficulté... sans toujours parvenir à la trancher. Jugez-en plutôt : « Des Niçois se recueillent sur la promenade des Anglais » mais « Mouvement de panique sur la Promenade des Anglais » (Le Point) ; « la promenade des Anglais pleure ses morts » mais « le symbole de la Promenade des Anglais frappé » (Le Figaro) ; « La promenade des Anglais, fermée depuis l'attaque de Nice » mais « Résumé d'une soirée d'horreur sur la Promenade des Anglais » (Libération) ; « la promenade des Anglais a été fermée » mais « le camion blanc a foncé dans la foule sur la Promenade des Anglais » (L'Express), « Comment un camion de 19 tonnes a-t-il pu se retrouver sur la promenade des Anglais ce soir-là ? » mais « Nice et sa fameuse Promenade des Anglais » (Marianne), etc.Aucune aide à attendre de la part du Petit Robert, qui nous balade de « La Promenade des Anglais, en bordure de mer » (à l'entrée « Nice ») à « La promenade des Anglais, à Nice » (à l'entrée « promenade »). De leurs côtés, Larousse et le TLFi (« les corsos fleuris de la Promenade des Anglais à Nice », à l'entrée « corso ») semblent s'en tenir à la majuscule, quand la minuscule a la préférence de l'Académie (« La promenade des Anglais, à Nice », lit-on dans la dernière édition de son Dictionnaire), d'Alain Rey (« Une exigence d'Europe sociale sur la promenade des Anglais ») et de Jean-Pierre Colignon (« La belle ville de Nice est mondialement connue, notamment pour son carnaval et par la promenade des Anglais »).
Aussi ne s'étonnera-t-on pas de relever les fluctuations de l'usage jusque chez nos écrivains : « tu ne peux pas apprécier ce que c'est que la promenade des Anglais » (Alphonse Karr), « à l'extrémité de la promenade des Anglais » (Maurice Leblanc), « Les hôtels somptueux au long de la promenade des Anglais» (Gaston Leroux), « on passait l'hiver sur la promenade des Anglais » (Marcel Proust), « Cette guirlande de flamme vive, là-bas, c'est la promenade des Anglais » (Colette), « sur la promenade des Anglais, à Nice » (Blaise Cendrars), « l’électrification des grands hôtels de la promenade des Anglais » (Alain Decaux), « Un de mes arrière-grands-pères était l'heureux propriétaire de quatre villas sur l'actuelle promenade des Anglais à Nice » (Jean d'Ormesson), mais « les palmiers de la Promenade des Anglais » (Francis Carco), « Je veux dire parmi les fleurs de la Promenade des Anglais ! » (André Pézard), « et la Promenade des Anglais ! » (Louis-Ferdinand Céline), « Et prend la Promenade des Anglais » (Louis Aragon), « ils ont marché longuement sur la Promenade des Anglais » (Jean Dutourd), « le long de la Promenade des Anglais » (Max Gallo), « défiler sur la Promenade des Anglais » (Patrick Modiano), « sur la Promenade des Anglais » (Véronique Olmi). Certaines plumes sont même prises en flagrant délit d'inconséquence : « Il déambulait longuement sur la promenade des Anglais » mais « Quelques estivants débouchaient sur la Promenade des Planches » (Henri Troyat, cité par Grevisse) ; « Sur la promenade des Anglais, une douzaine de Sonia Marmeladov tapinent de 23 heures à 5 heures du matin » mais « le ciel clair au-dessus de la Promenade des Anglais » (Patrick Besson).
La règle paraît pourtant claire : les noms communs (avenue, boulevard, chemin, côte, impasse, place, promenade, quai, route, rue, tunnel, etc.) entrant dans la désignation des voies de circulation gardent leur minuscule initiale et sont suivis d'un élément spécifique (qu'il s'agisse d'un nom propre, d'un nom commun ou d'un adjectif) qui prend la majuscule. Partant, on écrira correctement : la promenade des Tuileries (à Paris), la promenade des Lices (à Rabastens), la promenade du Peyrou (à Montpellier), la promenade des Barques (à Narbonne)... et la promenade des Anglais. Las ! la majusculite (ou abus de majuscules) étant une pratique répandue de longue date, les exceptions ne manquent pas : la Côte d'Azur ; le Pont-Neuf, le Quartier latin, les Grands Boulevards (à Paris), etc. De là à conclure que nos conventions orthotypograhiques sont en train de filer à l'anglaise...
Remarque 1 : La tentation de la majuscule, dans notre affaire, peut-elle s'expliquer par le souci de distinguer le lieu où l'on se promène de l'action de se promener ?
Remarque 2 : D'après le site Internet de la ville de Nice, le révérend Lewis Way lança en 1822 une souscription auprès de ses compatriotes, attirés par la réputation de douceur hivernale faite au climat niçois, pour financer l'aménagement d'une chaussée de deux mètres de large, du Paillon à l’actuelle rue Meyerbeer. Achevé en 1824, le modeste camin dei Inglés (ou « chemin des Anglais ») ne recevra officiellement le nom de promenade des Anglais qu'en 1844. Il faudra encore attendre près d'un siècle pour que la célèbre voie atteigne ses dimensions actuelles.
Ce qu'il conviendrait de dire
La foule massée sur la promenade des Anglais (selon l'Académie).
Tags : promenade des Anglais, Promenade des Anglais, majuscule, minuscule
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Commentaires
2Michel JEANVendredi 22 Juillet 2016 à 13:59R'bonjour, je vous précise que l'on trouve aussi des formulations écrites telle celles-ci: " 41 ou 31, Allée Paul Riquet" alors que l'on precise toujours par l'usage: "Les allées Paul Riquet", un canal sépare deux camps visiblement !!! Bye. et Merci.
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Bonsoir M. Marc, oui mais à Béziers aussi il faudrait donc écrire à mon humble avis : " Les allées Paul Riquet" et non le discutable : "Les Allées Paul Riquet". Merci. Mich.