• Attention à la (dé)marche !

    Attention à la (dé)marche

    « [Elizabeth II] a organisé une réunion de crise avec Meghan Markle, Harry, William, Kate Middleton, le prince Charles et Camilla Parker-Bowles afin de discuter de la démarche à suivre. »
    (Salomé Gegout, sur journaldesfemmes.fr, le 10 janvier 2020.)  

     

    FlècheCe que j'en pense


    À l'inverse de marche, qui désigne au sens propre actif une action (celle de marcher) et au sens figuré une manière (d'agir, de procéder), le préfixé démarche désigne proprement une manière (celle de marcher) et figurément une action (entreprise en vue de faire aboutir un projet). Aussi parlera-t-on correctement de marche à suivre, pour désigner la manière de procéder à laquelle on doit se conformer de bonne grâce afin de parvenir au but fixé, et de démarche (couramment au pluriel) à faire auprès de quelqu'un ou d'une autorité (royale, en l'espèce), pour mener à bien une affaire (fût-elle proche du crime de lèse-majesté) : « Le cardinal, en faisant soulever ces États contre leurs souverains, leur avait indiqué la marche à suivre » (Gatien de Courtilz de Sandras, 1700), « Il y avoit encor quelques démarches à faire pour achever ce grand ouvrage » (Gilbert Saulnier Du Verdier, 1667).

    Seulement voilà : force est de constater que marche se voit plus souvent qu'à son tour concurrencer par démarche dans la première expression. L'Académie a beau avoir publié (récemment, il est vrai) une mise en garde sur son site Internet − « On dit : Quelle est la marche à suivre pour relancer le moteur ? On ne dit pas : Quelle est la démarche à suivre pour relancer le moteur ? » −, rien n'y fait : « Pour connaître la démarche à suivre » (Le Parisien), « On vous explique la démarche à suivre » (L'Express), « [Il] a indiqué sur son site la démarche à suivre » (Europe 1), « Un mode d'emploi ou une démarche à suivre » (Le Figaro), « Expliquer la démarche à suivre » (Le Monde), etc. La confusion est telle qu'elle gagne des ouvrages que l'on pouvait supposer dignes de foi : « La démarche à suivre est indiquée par [...] » (Le Grand Dictionnaire Hachette-Oxford − encore un coup des Anglais ?). Pis ! une « démarche à suivre » s'est même glissée dans l'article « algorithme » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie. On marche sur la tête !

    Reconnaissons toutefois, à la décharge des contrevenants, que la répartition sémantique entre nos deux substantifs n'a pas toujours été très nette. Comparez : « [Il] marchoit froidement et d'une marche pesante et asseurée » (Olivier de La Marche [!], vers 1470), « [Elle avait] une marche de déesse » (Saint-Simon, avant 1750) et « Tous animaux commencent leur demarche a la droite » (Antoine du Pinet, 1562) ; « [Démarche] est plus en usage au figuré et signifie la maniere d'agir de quelqu'un dans une affaire [son procédé, sa conduite]. On observe toutes ses demarches. Il a fait une fausse demarche [*] » (Dictionnaire de l'Académie, 1694-1878) et « Marche signifie figurément conduite, manière d'agir, de procéder. Cet homme a une marche équivoque. La marche de l'esprit humain » (Dictionnaire de l'Académie, depuis 1798). Pour couronner le tout, démarche est également attesté depuis le milieu du XVIIe siècle au sens figuré de « manière de conduire sa pensée, de raisonner » et, par métonymie (selon le TLFi), de « raisonnement, pensée » : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent » (Pascal), « La démarche de l'esprit » (Albert Camus), « Quelle est sa démarche intellectuelle ? » (Larousse en ligne). Partant, rien ne s'oppose à la construction suivre une démarche (intellectuelle) − « Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? », lit-on sous la plume d'un Pascal « qui peint comme un mouvement des choses elles-mêmes ce qui n'est que le mouvement de notre esprit » (Ernest Havet, 1852) − et, de là, au syntagme libre démarche à suivre : « Il s'était préparé à ce voyage avec le plus grand soin, tant du point de vue de l'information sur son sujet que de la meilleure démarche scientifique à suivre » (Bernard Frank, 1986). Il n'empêche, c'est bien l'expression marche à suivre que l'usage a consacrée pour désigner une méthode, une façon de procéder dans des circonstances précises. Mieux vaut ne pas l'oublier si l'on tient à éviter tout faux pas langagier...
     

    (*) Que l'on m'explique ce que peut bien signifier faire une manière d'agir !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Discuter de la marche à suivre.

     

    « La partie n'est pas gagnéeRelations (trop) intimes »

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