• Terrain glissant

    « Quatre kilomètres de long, 800 mètres de dénivelé... La cinquième édition du Super Slalom se tient le 1er avril 2023 à La Plagne. »
    (Mathéo Girard et Pierre Lejolivet, sur ouest-france.fr, le 31 mars 2023.)

     

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    L'Académie n'en démord pas : la forme substantivée du participe passé de déniveler − employée pour désigner une différence de niveau, d'altitude (en particulier entre une arme à feu et l'objectif visé ou entre deux points d'une pente montagneuse) − est du genre féminin.

    « Il y a 325 mètres de dénivelée entre la gare de départ du téléphérique et le sommet.
    Pour régler le tir, il faut tenir compte de la dénivelée.
    Une pente de 5 %, de 10 %
    , dont la dénivelée, rapportée à une distance horizontale de cent mètres, est de cinq, de dix mètres.
    Pente d'eau, ouvrage d'art qui, sur un canal, permet le franchissement d'une dénivelée entre deux biefs navigables » (exemples tirés de la neuvième édition de son Dictionnaire).

    Et si elle reconnaît, en 2014 sur son site Internet, que « comme ce mot se rencontre essentiellement dans le groupe [x mètres] de dénivelée, l'article se fait peu entendre et il y a souvent une hésitation sur le genre », c'est pour mieux enfoncer le bâton : « Une fois encore, la forme juste est dénivelée. »

    Force est pourtant de constater que la variante au masculin dénivelé gagne du terrain... jusque dans les propres rangs de l'institution : « Nous glissâmes du talus dans un dénivelé ombreux » (Marc Lambron, 1993), « Douze mètres de dénivelé » (transcription d'un discours de Bertrand Poirot-Delpech, 2002), « Le dénivelé, entre le départ et l'arrivée, n'est que de 12,6 mètres » (Xavier Darcos, 2011), « On a gagné sept mètres de dénivelé » (Erik Orsenna, 2022). Cette concurrence au sommet n'a, du reste, pas échappé aux dictionnaires usuels qui, par les temps de parité et d'écriture inclusive qui dévalent les pentes, mettent d'ordinaire les deux graphies sur un pied d'égalité : « Dénivelé, nom masculin, ou dénivelée, nom féminin », lit-on dans le Larousse en ligne comme dans le Robert en ligne. Mais pour combien de temps encore ? L'Office québécois de la langue française jette un froid en observant que « le masculin dénivelé est beaucoup plus usuel que le féminin dénivelée » ; quant au Bescherelle pratique (2006), il ne reconnaît déjà plus que le premier...

    D'aucuns, enclins à inverser la tendance et à relever le niveau, se font un devoir de dénoncer les dangers de ce hors-piste grammatical : « [Le mot dénivelée], du genre féminin, est employé [à tort] au masculin par la plupart des Français, dont les journalistes sportifs dans les médias » (message laissé par un visiteur de ce site), « Historiquement féminin, le mot dénivelé(e) a été utilisé de manière "fautive" au masculin » (site Internet de la société Decathlon). Tout porte à croire, en effet, que la graphie dénivelée a précédé sa concurrente masculine de quelques décennies : « Une dénivelée » (Charles-Moÿse Goulier, Annuaire du club alpin, 1883), « 2 000 mètres de dénivelé » (journal français Le Matin, 1935). Mais au petit jeu de « Qui est attesté le premier dans l'acception qui nous occupe ? », c'est... dénivellation qui tient la corde : « 3 pieds de dénivellation » (Pierre Lévêque, 1792), « 12 mètres de dénivellation, entre les eaux du canal et celles de la rivière » (Charles Dupin, 1824) (*). Surtout, ce n'est pas la première fois, tant s'en faut, que la langue hésite sur la forme, féminine ou masculine, d'un participe passé substantivé. Que l'on songe à « une émincée de poularde » (quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1762), devenu « un émincé de poularde, de veau » (depuis 1798), à « un(e) écrasé(e) de pommes de terre » (Robert en ligne), à « une effilochée ou un effiloché de raie, de volaille, de poireaux » (site Gastronomiac) ou encore à la locution « à l'arraché(e) » (TLFi).

    On le voit : en matière de genre grammatical, il faut savoir slalomer entre les flottements et revirements de l'usage...

    (*) Autres exemples plus récents : « Ils venaient de descendre mille mètres de dénivellation » (Roger Frison-Roche, 1941), « Ayant gravi les quelque trois mille mètres de dénivellation » (Paul-Émile Victor, 1958), « Et nous gravîmes les quelque mille mètres de dénivellation qui séparent le rivage du sommet » (Haroun Tazieff, 1992), « Il y a mille trois cents mètres de dénivellation entre le pied de la montagne et le sommet » (Josette Rey-Debove, Dictionnaire du français, 2013).
    Pour ne rien simplifier, on rencontre aussi dans cet emploi, quoique plus rarement, le masculin dénivellement : « Des dénivellements de plusieurs mètres » (Benjamin Legoarant, 1858), « Trois mètres environ de dénivellement » (Édouard Ernest de Rostaing, 1874), « 60 mètres de dénivellement » (Jean Girou, 1968).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    800 mètres de dénivelée (selon l'Académie).

    « L'humour se décline à la chaîneArrêter de »

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  • Commentaires

    1
    Chambaron
    Jeudi 18 Mai 2023 à 10:25
    Chambaron

    Le mot même de dénivelé(e) est-il d'ailleurs réellement le participe passé du verbe déniveler (d'un emploi plus que rare, à la différence de niveler) ? Il s'agit plutôt d'un déverbal, substantif dont le genre grammatical est plus aléatoire en linguistique que celui du participe, en général féminin.

    C'est souvent le synonyme sémantiquement le plus proche qui dicte le genre à l'usage courant, parfois à l'encontre de la création "savante". Ici, typiquement, c'est la notion d'écart qui engendre le masculin. Il n'y a en général aucun sentiment que la dénivelée soit le résultat d'une action voulue de changement de niveau.

    Il doit bien y avoir quelques contrexemples, mais ce raisonnement doit valoir dans plus de 90 % des cas…

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