• Pil(l)ule sans lendemain

    « En 2013, ils étaient 120.000 à s’être dorés la pillule sur les plages de Tenerife, Gran Canaria ou Fuerteventura » (à propos des touristes français).
    (paru sur europe1.fr, le 15 mai 2014)

     


    FlècheCe que j'en pense

    Difficile, convenons-en, de cumuler plus d'impropriétés en une seule phrase !

    On notera tout d'abord cette (ancienne) manie de recourir au point comme séparateur de milliers, là où une espace fine insécable est désormais requise en français dans l'écriture des nombres cardinaux (1) : 12 000 euros (et non 12.000 euros).

    Que dire ensuite de cette pilule gratifiée d'un l superfétatoire, si ce n'est qu'elle risque d'être dure à avaler ? Certes, ledit comprimé − emprunté du latin pilula (« boulette, pilule »), lui-même dérivé de pila (« balle ») − est d'abord apparu en français sous la forme pillule... mais, depuis lors, beaucoup d'eau a coulé le long des plages de Tenerife, et cela fait désormais plus de quatre siècles qu'il convient d'écrire le bougre avec un seul l à chaque fois, à la différence de pulluler.

    Quant à l'accord de doré, il est l'occasion de s'en payer une bonne tranche : faut-il avoir une cervelle de canari pour oublier que la présence d'un complément d'objet direct (la pilule) après un participe passé (doré) commande l'invariabilité de ce dernier ?

    Au demeurant, c'est toute l'expression se dorer la pilule qui est suspecte. Car enfin, aucun dictionnaire usuel à ma connaissance n'en mentionne l'existence : dorer la pilule (à quelqu'un), oui − au sens familier de « lui faire accepter une chose désagréable au moyen de paroles aimables, flatteuses », par allusion à l'ancienne pratique pharmaceutique consistant à enrober lesdites pilules d'or pour en faciliter l'absorption ; se dorer (au soleil), itou − au sens figuré de « s'exposer aux rayons du soleil, bronzer » ; mais se dorer la pilule, point ! Télescopage entre les deux premières expressions, à la faveur de la polysémie du verbe dorer ? Toujours est-il que notre pilule prend, plus souvent qu'à son tour, des airs de « tronche », de « bobine » dans cet attelage moderne dont le sens hésite entre « bronzer » et « se la couler douce ».

    Sans doute est-il grand temps de prendre des vacances...


    (1) Selon le site Wikipédia, « en France, on utilisait autrefois le point pour séparer les groupes de trois chiffres (milliers, millions…) au sein d'un nombre ; cet usage a été invalidé par les CGPM [conférence générale des poids et mesures], il faut utiliser à la place une espace insécable. Par exemple, avant 1948, un million trois cent mille vingt-deux pouvait s'écrire en français 1.300.022 ; depuis 1948, il doit s'écrire 1 300 022 ». Grevisse confirme : « On ne met plus de point, dans l'écriture des nombres, entre les tranches de trois chiffres, mais on laisse un blanc. »


    Voir également le billet Accord du participe passé des verbes pronominaux.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils étaient 120 000 à s’être doré la pilule (ou mieux : à s'être prélassés au soleil).

     

    « Un temps de cochonL'argent ne fait pas le bonheur »

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  • Commentaires

    1
    Mardi 20 Mai 2014 à 12:01

    Le "." n'est pas une manie anglo-saxonne puisqu'ils l'utilisent comme séparateur décimal. La virgule, elle, est utilisée comme séparateur de milliers. Ainsi, outre-Manche et outre-Atlantique, on écrirait 12,000 €.

    Quant à l'expression "se dorer la pilule" dans le sens "se faire bronzer au soleil", même si les dictionnaires "officiels" ne la mentionnent pas, elle est quand même largement usitée. Du travail pour nos académiciens... ?

    2
    Trevorp
    Mardi 20 Mai 2014 à 12:02

    Utiliser le point « comme séparateur de milliers » n'est pas une habitude anglo-saxonne, c'est plutôt la virgule qui remplit cette fonction (120,000 - remarquez le manque d'espace). C'est dans les pourcentages que figure le point (8.6%), là où en français on met la virgule (8,6 %). « Se dorer la pilule » me rappelle « redorer son blason », qui irait quand même mal ici.

    3
    Mardi 20 Mai 2014 à 14:31

    Vous avez d'autant plus raison que je découvre, sur le site Wikipédia, que cette manie serait bien française (cf. note ajoutée en fin de billet).

    4
    Baudouin
    Samedi 7 Juin 2014 à 23:10
    Sans la pilule, les enfants pullulent... :-)
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