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Grenouille et pomme de discorde
« La porte s'ouvrit et il vit une grenouille grosse et grasse entourée d'une quantité de petites reinettes. »
(Édouard Brasey et Jean-Pascal Debayeul, dans Vivre la magie des contes, aux éditions Albin Michel)
Ce que j'en pense
On va encore dire que je n'ai rien de mieux à faire que de baver sur autrui, mais voilà deux auteurs qui semblent avoir eu bien du mal à se retrouver dans le florissant verger des homonymes de la langue française. Une « reinette verte et minuscule / gambette sauteuse » ? Non mais allô, coâ !... C'est qu'il y a rainette et reinette.Avec a, il s'agit du diminutif de l'ancien français raine (emprunté du latin rana), qui désigne une petite grenouille verte, dont les doigts sont munis de ventouses. Avec e, on a affaire au nom générique de diverses variétés de pommes, dont « les principales [sont] la reinette franche, de Canada, de Caux, blanche, grise, etc. » (dixit Littré). Le pépin, c'est que les deux graphies ont été autrefois en concurrence pour désigner ledit fruit, faute d'unanimité sur son étymologie : « Quelques-uns le dérivent de reginetta, diminutif de regina ; comme qui dirait, la Reine des pommes. D'autres, et avec plus de vraisemblance, le dérivent de ranetta, diminutif de rana, à cause que les pommes de reinette sont marquetées de petites taches, comme sont les grenouilles » lit-on dans le Dictionnaire étymologique (1694) de Gilles Ménage. Ce n'est pas jeter un pavé dans la mare aux grenouilles que d'affirmer ici que les avis sur le sujet sont, de nos jours, nettement plus tranchés : ainsi est-il « évident », selon le Dictionnaire historique de la langue française, « que reinette ne peut pas se rattacher au latin rana comme on l'a cru ; l'orthographe rainette vient d'une confusion plutôt que d'une comparaison entre la peau de la grenouille et celle du fruit ». Rien de bien magique là-dedans ! Toujours est-il que l'hésitation, quand hésitation il y eut, porta surtout sur la graphie de la pomme − bonne poire −, peu sur celle de la grenouille, aussi fermement agrippée à son a étymologique... qu'à son nénuphar (ou nénufar).
Remarque 1 : On s'étonne de trouver des crèches imprudemment baptisées « Pomme de Rainette », avec une jolie grenouille en guise de logo... De quoi entretenir la confusion dès le berceau !
Remarque 2 : Nombreux sont les spécialistes (Littré, Girodet, Thomas, Hanse) à faire observer que l'on écrit reinette ou pomme de reinette, et non pomme reinette, forme pourtant relevée chez de bons écrivains : « dix mesures de pommes reinettes » (Rousseau), « les arbres de pommes reinettes » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert), « La pomme reinette possède trois variétés » (Alexandre Dumas père), « ces paupières, qui avaient le goût aigrelet des pommes reinettes » (Montherlant), « manger un pépin de pomme reinette (ou pomme rainette, selon les éditions) » (Marcel Aymé), « des parfums de pêche blanche, de pomme reinette » (Philippe Sollers).
Remarque 3 : Pour ne rien simplifier, il existe aussi la rénette ou rainette, outil à fine lame servant à travailler le bois, le cuir ou à tailler les sabots des chevaux.
Ce qu'il conviendrait de dire
Il vit une grenouille entourée d'une quantité de rainettes.
Tags : rainette, reinette, pomme de reinette, homonyme
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Commentaires
2VincentMardi 15 Mars 2016 à 18:29Il existe de nombreux lieux en France qui portent le doux nom de Chanteraine, écrit parfois Chantereine, voire Chantereyne. Certains y voient la trace d'une noble dame y ayant exercé ses talents de chanteuse. Bien sûr, il s'agit chaque fois d'un lieu marécageux (souvent asséché depuis) ou d'un cours d'eau où les batraciens s'adonnaient à leurs rituels "amoureux".
Vincent
3Michel JEANVendredi 18 Mars 2016 à 11:57Bonjour M. Marc, je découvre avec votre article sur la grenouille le terme de lieux hydronyme.
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« [...] à cause que les pommes de reinette sont [...] »: dit-on vraiment « à cause que » au XXIe siècle ?
http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3815
Certes non, mais il ne vous aura pas échappé qu'il s'agit là d'une citation d'un ouvrage datant du XVIIe siècle.