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De l'éducation syntaxique
« Mais l’étape la plus importante est celle qui vise à sensibiliser et former tous les acteurs [...], à commencer par les enfants qu’il faut éduquer à moins jeter. L’éducation à l’alimentation, pivot de la lutte contre le gaspillage, rentrera donc dans les parcours scolaires, à la cantine. »
(Nadia Belrhomari, sur publicsenat.fr, le 6 janvier 2016)
Ce que j'en pense
Il ne vous aura pas échappé que notre époque troublée multiplie les appels à l'éducation des jeunes générations (et des moins jeunes) à la tolérance, aux valeurs de la République, à la citoyenneté, à la solidarité, à l'environnement, au développement durable, au fait religieux, à la réflexion, au goût et à je ne sais quoi d'autre encore. Sauf que, d'un point de vue strictement grammatical, on ne saurait éduquer quelqu'un à quelque chose : on peut éduquer une personne (comprenez : lui donner tous les soins nécessaires au développement et à l'épanouissement de ses facultés physiques, intellectuelles et morales) et, par métonymie, une qualité, une disposition (éduquer l'oreille, le palais, le goût artistique d'un enfant), mais on se gardera jusqu'à nouvel ordre d'afficher un complément d'objet indirect au menu de ce verbe transitif direct (sous l'influence de éveiller, former, initier, instruire ?). « On dit : Éduquer le sens de l'équilibre et non : Éduquer au sens de l'équilibre », lit-on ainsi sur le site Internet de l'Académie française.La construction fautive ne date pourtant pas d'hier. Elle est attestée dès la première moitié du XIXe siècle, d'abord dans le registre populaire (vaudevilles, romances, etc.) : « quand une personne n'a pas été éduquée à lire sur les livres » (Félix Bodin, 1826) ; « C'est cette nation [...] que la royauté seule devait éduquer à la liberté » (Les conseils de 1828) ; « J'aurais pas dû t'éduquer à filer des notes » (Les six degrés du crime, 1831) ; « Je n'ai pas été éduqué à ça » (1814 ou Le pensionnat de Montereau, 1836) ; « et moi, madame, qui sais que la maison est bonne et qui ai été éduqué à la politesse envers les dames » (Elie Berthet, 1841). Est-il besoin de préciser que le locuteur de bonne éducation, aussi respectueux des personnes que de la syntaxe, ne manquera pas de faire la fine bouche et de passer son chemin ?
Remarque 1 : Dans le cas où se fait sentir le besoin de préciser le domaine de formation, il est parfois possible de recourir à une épithète : éducation morale et civique, éducation musicale.
Remarque 2 : Si le verbe éduquer eut longtemps mauvaise presse (le Dictionnaire de Trévoux le qualifiait de « vrai barbarisme »), il est aujourd'hui largement admis, à côté d'élever et d'instruire. Selon le TLFi, éduquer « est même affecté d'une connotation méliorative par rapport à élever », au contenu plus neutre. On notera enfin, avec Littré, que « l'instruction est relative à l'esprit et s'entend des connaissances que l'on acquiert et par lesquelles on devient habile et savant. L'éducation est relative à la fois au cœur et à l'esprit, et s'entend et des connaissances que l'on fait acquérir et des directions morales que l'on donne aux sentiments ».
Ce qu'il conviendrait de dire
Les enfants à qui il faut apprendre à moins jeter.
L'éducation alimentaire.
Tags : éduquer, éduquer à, éducation, éducation à, syntaxe, verbe transitif
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