• Vu ou entendu


    Les professionnels dont la langue est l'outil de travail (écrivains, journalistes, correcteurs, présentateurs, chroniqueurs, hommes politiques, publicitaires, enseignants, etc.) sont, de fait, plus exposés que d'autres aux dérapages en tous genres.

    Nul n'étant à l'abri d'une défaillance, voici quelques coquilles et formules malheureuses relevées dans les médias et décortiquées dans ces colonnes, dans l'espoir (naïf ?) qu'un tel exercice de recension puisse aider à la maîtrise des subtilités du français.

  • « En 1968, [Alain Delon] est à l'affiche de Les Yeux crevés de Jean Cau. »
    (Lorenzo Ciavarini Azzi et Jean-François Lixon, sur francetvinfo.fr, le 18 août 2024.)
    « De Le Guépard (1963) de Luchino Visconti [...] à Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville, Delon a su incarner des rôles divers et variés. »
    (paru sur dansnoscoeurs.fr, le 18 août 2024.)

    (photo Wikipédia) 

     

    FlècheCe que j'en pense


    Les hommages pleuvent, depuis hier matin, et avec eux les entorses syntaxiques.

    Le clan des grammairiens semble pourtant assez clair :

    « La contraction, en tête d'un titre d'œuvre, de l'article défini le ou les après à ou de peut être considérée comme obligatoire [quand le titre contient un nom unique, suivi ou non d'un complément déterminatif] » (Hanse).

    « Il est d'usage de faire la contraction en au, du ou des quand le titre comprend un nom seul ou un nom suivi d'un déterminatif » (Thomas).

    Même mélodie entonnée (et pas seulement en sous-sol) par Grevisse, Goosse et Girodet. Aussi écrira-t-on, à l'instar du Dictionnaire de l'Académie : « Les ballets du Bourgeois gentilhomme », « Une scène des Fourberies de Scapin », « L'auteur des Misérables », « Par allusion aux Femmes savantes de Molière ».

    Il n'y a guère que quand ledit titre contient un verbe conjugué ou deux noms coordonnés par et ou par ou que l'hésitation est permise :

    • « La reprise du Roi s'amuse » (Léon Daudet, 1922) ou « Le dernier acte de Le roi s'amuse » (Abel Hermant, 1928) ; « Le Dernier civil peut être comparé aux Dieux ont soif » (André Thérive, 1937) ou « L'auteur de Les dieux ont soif » (Jean Rouaud, 2015).
    • L'auteur de Le Rouge et le Noir (pas de contraction), du Rouge et le Noir (contraction avec le premier article seulement, le second restant libre), du Rouge et du Noir (contraction avec chacun des deux articles) ou, plus rarement, du Rouge et Noir (contraction avec le premier article, le second étant supprimé) ? (Hanse).


    Dans ces deux derniers cas, Le Guide du rédacteur trouve préférable de ne pas faire la contraction ; mais, pour Grevisse et Goosse, le mieux est encore de recourir à un terme « tampon », mot générique précisant la nature de l'œuvre (poème, roman, pièce, tableau, film, etc.) et permettant de concilier l'intégrité du titre avec les obligations de la grammaire : L'auteur du roman Le Rouge et le Noir. Le réalisateur du film Les Enfants terribles. « C'est un peu lourd, reconnaît Bernard Cerquiglini, mais au moins c'est correct. »

    Mais voilà que deux hommes (dans la ville) viennent semer le trouble :

    « Il est peu utile, croyons-nous, de donner des règles absolues ; c'est le tact linguistique qui doit, dans chaque cas, trancher la question. Il est indéniable que la fusion de la préposition avec le complément peut parfois offrir des inconvénients ; c'est pourquoi il faut préférer : adaptation cinématographique de Le Ventre de Paris, qui conserve le titre intégral, à adaptation du Ventre de Paris » (Kristoffer Nyrop, Études de grammaire, 1919).

    « [La contraction de la préposition et de l'article initial du titre] se fait en général. Mais on peut, pour mieux détacher le titre, ne pas [la] faire : "Vous gardez votre titre ? − Un Amour de Messaline. Ça ne vous plaît pas ? J'avais pensé à Le Dernier Amour de Messaline" (Jules Romains) » (Jean-Paul Colin, 1971).

    Zut et rezut (avec un z, comme Zorro) ! Comment voulez-vous que le commun des mortels s'y retrouve si les samouraïs de la langue française ne sont pas d'accord entre eux ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, plus usuellement (?) : Il est à l'affiche des Yeux crevés. Du Guépard au Samouraï...

     


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  • Quand les Jeux perdent la boule...

    « Les porte-drapeaux des quelque 205 délégations entament un dernier tour de piste sur une planisphère à la sauce Star Wars. »
    (Marine Brunner, sur watson.ch, le 11 août 2024.)

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Loin de moi l'intention de jouer les rabat-joie : les JO de Paris 2024 sont une réussite, tant sur le plan des résultats sportifs que sur celui de l'organisation. Et je ne parle pas de cette liesse nationale dont seul le sport semble pouvoir allumer la flamme. Mais ce n'est pas faire preuve de mauvais esprit que d'observer que la langue française, elle, était un peu moins à la fête.

    Pourquoi la plupart de nos médias nationaux ont-ils repris en chœur la graphie hybride (mi-anglaise mi-française) « Golden Voyageur » pour désigner le personnage en habits dorés de la cérémonie de clôture ? Et que dire de ce pauvre planisphère que les commentateurs, abusés par le genre de sphère, se sont obstinés à faire du féminin ? Les champions de la langue française, passés maîtres dans l'art de déjouer les pièges de notre idiome, sont pourtant unanimes :

    « Quoique ce mot [planisphère] soit un composé de sphère, qui est du féminin, l'usage l'a fait masculin » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787).

    « Le genre, en français, offre de nombreux pièges. On dit une sphère, une atmosphère, mais un hémisphère, un planisphère » (René Georgin, Le Code du bon langage, 1959).

    « L'usage − il a parfois ses caprices ! − a fait du masculin planisphère et hémisphère » (Grevisse, Problèmes de langage, III, 1964).

    « Contrairement au nom sphère, ce terme [planisphère] est du genre masculin » (Jacques Capelovici, Guide du français correct, 1992).

    Enfin, unanimes, c'est vite dit... Viennent semer le trouble :

    • les écrits de plus d'un auteur de haut niveau : « La planisphere » (Claude Duret, 1594), « Une planisphère » (Pierre Le Roy, 1758 ; Aubin-Louis Millin, 1790 ; Henri Morice, 1924 ; Paul Morand, 1929), « La planisphère soulevée » (De Gaulle, 1950), « La planisphère » (Claude Roy, 1953 ; Jules Roy, 1970), « La planisphère de ses grains de beauté » (Montherlant, 1957), « Une planisphère » (Max Gallo, 1984 ; Claude Frochaux, 1996 ; Françoise Giroud, 1997 ; Yann Moix, 2017) (1) ;
    • le Dictionnaire historique de la langue française, qui laisse entendre que l'intéressé a d'abord été tenu pour un représentant du beau sexe : « Planisphère, terme de géographie devenu courant [...], désigne d'abord comme nom féminin (1555) une carte qui représente l'ensemble du globe terrestre en projection plane. » Quelle mouche a donc piqué les équipes de feu Alain Rey ? Car enfin, vérification faite, c'est bien « un planisphere » qui figure dans le traité de Jacques Bassentin (Amplification de l'usage de l'astrolabe, 1555) (2) ;
    • Louis-Nicolas Bescherelle qui, dans son Dictionnaire national (1847), enregistre le mot comme féminin : « Planisphère, s. f. », mais l'emploie avec l'article masculin : « L'astrolabe est un planisphère céleste, et la mappemonde un planisphère terrestre. » Plus inclusif, tu meurs ! (3)
    • l'enseignante Yannick Portebois, qui croit savoir que l'Académie française, à la fin du XIXe siècle, aurait « adm[is], d'après l'étymologie, le genre féminin pour hémisphère et planisphère comme pour atmosphère » (Les Saisons de la langue, 1998) (4). Force est de constater que cette tolérance, si tant est qu'elle ait jamais eu cours quai Conti (là même où la chanteuse Aya Nakamura se produit à l'occasion), n'est plus à l'ordre du jour : « Il n'est pas rare d'entendre une planisphère. On peut comprendre cette faute puisque les noms en -ère sont majoritairement féminins et que la proportion est écrasante quand il s'agit des noms en -sphère, tous féminins [biosphère, hydrosphère, stratosphère...], à l'exception d'hémisphère et, justement, de planisphère. Il n'en reste pas moins que faire de ces masculins des féminins est une faute et qu'il convient de rendre à ces différents noms leur véritable genre » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2017).


    De quel côté se tourner, pour éclairer ce débat, sinon vers l'étymologie, justement ? Sphère, réfection savante de espere, vient du féminin latin sphaera (« boule, boulette ; globe, sphère céleste »), lui-même issu du féminin grec sphaira. En toute logique, ce genre s'est conservé en français. Mais le cas des composés hémisphère et planisphère est différent. Le second, formé de l'élément plani- (tiré du latin planus, « plat, de surface plane »), aurait été fait, nous dit-on, sur le modèle du premier, emprunté au XIVe siècle (sous la graphie emispere) du grec hêmisphairion, par l'intermédiaire du latin hemisphaerium. Et c'est là que les choses se compliquent. « Ces mots latin et grec sont neutres, lit-on sur un blog(ue) de langue, et le masculin s'est donc imposé en français. » C'est, il me semble, aller un peu vite en besogne. Certes, la plupart des noms latins neutres ont été masculinisés en passant en français, mais les naturalisations au féminin ne sont pas exclues : que l'on songe à oleum, qui a donné huile. Il n'est pas rare, au demeurant, que le genre des noms français correspondant à des neutres latins ait été hésitant :

    Amulette (du neutre amuletum) : « Des amulettes plus puissantes » (Agrippa d'Aubigné, avant 1630), « Certains amulettes que les femmes lui avaient attachés au cou » (Paul-Louis Courier, 1828).

    Exemple (du neutre exemplum) : « Encor vueil j'un exemple mestre En rime » (Guillaume de Machaut, 1357), « Une exemple que raconte Titus Livius » (Antoine de La Sale, vers 1445).

    Horloge (du neutre horologium) : « La roe d'une horloge », « Comme d'un horloge » (Oresme, vers 1377).

    Orge (du neutre hordeum) : « On aura de l'orge moulu » (Bossuet, avant 1704), « De l'orge moulue » (Supplément à l'Encyclopédie, 1795).

    Le mot atmosphère lui-même (composé du grec atmos, « vapeur humide ») a été donné comme masculin dans les premières éditions (1694-1740) du Dictionnaire de l'Académie, avant de changer d'état civil : « L'atmosphère africain » (Voltaire, 1764), « Vos regards noyés dans un vague atmosphère » (Lamartine, 1830).

    Vous l'aurez compris : le suffixe -sphère mérite assurément de se voir décerner la médaille d'or dans la catégorie des séries désaccordées...

    (1) Exemples réguliers au masculin : « J'avois acheté un planisphere céleste pour étudier les constellations » (Rousseau, 1782), « Le vaste planisphère étalé sur la table » (Jules Verne, 1870), « Le vernis écaillé d'un planisphère » (Alain Fournier, 1913), « Considérez un planisphère » (Paul Valéry, 1919), « Comme un planisphère » (Jean Dutourd, 1963), « Au mur, un planisphère » (Étienne de Montety, 2023).

    (2) La même erreur se trouve à l'article « plani- » du TLFi : « Parmi les formations anciennes, on relève planisphère (fém. 1555, masc. 1680) » et jusque dans les hautes sphères lexicographiques (Grand Larousse et Grand Robert).

    (3) Même inconséquence relevée dans le dictionnaire en ligne Cordial : « Planisphère, nom masculin singulier. Éviter de confondre la mappemonde et la planisphère. »

    (4) Sans doute Portebois fait-elle allusion à la note présentée en 1893 à la commission du Dictionnaire par l'académicien Octave Gréard, lequel s'interrogeait sur certaines irrégularités de genre : « D'où vient qu'hémisphère et planisphère sont du masculin, alors que le féminin, qui est seul conforme à l'étymologie, a été attribué à atmosphère ? »

    Remarque 1 : Selon Dupré, planisphère « tient son genre non du mot sphère mais de l'élément plan ». C'est aussi aberrant que d'affirmer que hémisphère tient son genre de l'élément hémi- !

    Remarque 2 : De façon plus pertinente, Dupré ajoute : « C'est une faute trop fréquente de faire ce mot [planisphère] féminin. C'en est une plus grave de l'employer pour désigner un globe terrestre. » Même son de cloche chez Hanse, à propos de mappemonde (qui, soit dit en passant, est du genre féminin en dépit de monde !) : « L'Académie et le meilleur usage refusent d'admettre le sens courant, toujours suspect mais qu'on trouve chez d'excellents écrivains [de Théophile Gautier à Patrick Rambaud, en passant par Michelet, Maupassant, Bosco, Bernanos, Bazin, Genevoix, Simenon, etc.], de "globe représentant la sphère terrestre et monté sur un pied". » Cette altération, « fort ancienne et fort courante » (dixit Goosse), s'explique par des considérations d'expressivité, selon Grevisse : « Pour l'usager moyen, mappemonde est beaucoup plus suggestif, plus sonore aussi que globe terrestre ; il éveille tout de suite l'image du monde et sa rotondité (Problèmes de langage, III, 1964). À moins qu'elle ne trouve son origine dans cette observation de Jean Fusoris : « Il est assavoir que qui vouldroit faire justement et precisement la mappemonde ou la carte marine, il se feroit tres bien sus ung instrument rond comme une boule. Mais qui le voudroit faire en plat, comme sur une pelz de parchemin, proprement il fauldroit que ce feust en la maniere que on fait l'instrument de la saphee. Car par cest maniere on ramaine proprement le rond au plat » (Traité de cosmographie, 1432).
    Quant à la différence entre planisphère et mappemonde, elle est difficile à établir avec certitude, tant les avis des spécialistes divergent, voire se contredisent. Jugez-en plutôt : « Mappemonde désigne une carte plane représentant le globe terrestre, c'est-à-dire un planisphère » (Hanse, 1987), « Le plus souvent, un planisphère représente la surface de notre globe sous la forme d'un vaste rectangle, où les régions voisines du pôle apparaissent démesurément agrandies par rapport à celles qui sont proches de l'équateur. C'est pourquoi on lui préfère souvent cette autre carte plane, généralement formée de deux cercles tangents représentant à gauche l'hémisphère occidental et à droite l'hémisphère oriental, et appelée mappemonde (du latin mappa mundi, "nappe du monde") » (Capelovici, 1992), « Alors qu'une mappemonde représente les deux hémisphères en deux cercles séparés et accolés, un planisphère représente le globe [terrestre] d'un seul tenant, soit sur une carte rectangulaire (selon une projection inspirée de celle de Mercator), soit selon une projection ellipsoïdale » (Yves Lacoste, géographe, 2003), « Un planisphère représente aussi les deux hémisphères du globe terrestre, mais il peut également représenter ceux de la Lune ou d'un autre astre [contrairement à une mappemonde] » (Jean-Joseph Julaud, 2011), « Par extension. Mappemonde céleste, carte représentant en projection la position des étoiles en deux cercles placés côte à côte » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 2000). Quand on vous dit que quelque chose ne tourne pas rond dans cette affaire...

    Quand les Jeux perdent la boule...
    Planisphère vs Mappemonde

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un planisphère.

     


    3 commentaires
  • Ah ! ce que !

    « Nous nous attendons à ce que ce total [le nombre d'interpellations effectuées par la police] augmente chaque jour », « Nous nous attendons que la justice soit rendue rapidement » (propos rapportés au sujet des émeutes au Royaume-Uni, après l'attaque au couteau ayant coûté la vie à trois fillettes).
    (paru sur lemonde.fr, le 5 août 2024.)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Tâchons d'oublier un instant, si tant est que cela soit possible, l'horreur de ce qui s'est passé, le 29 juillet dernier, dans la ville anglaise de Southport pour nous intéresser à la seule question qui vaille dans le cadre d'une chronique de langue : doit-on écrire s'attendre que... ou s'attendre à ce que... ? L'affaire n'en finit pas de diviser les spécialistes de ce côté-ci de la Manche.

    Certains, alléguant « une loi très claire de la langue, qui veut que le complément d'un verbe, que ce soit un nom ou une proposition, soit précédé ou non d'une préposition, suivant que le verbe, par sa signification propre, est transitif indirect ou transitif direct » (Léon Clédat, Revue de philologie française, 1924), exigent à ce que :

    « [Puisqu'on dit] s'attendre à un hiver rigoureux, [on doit dire] s'attendre à ce que l'hiver soit rigoureux » (Léon Clédat, 1924).

    « Ceux qui commettent ce solécisme [s'attendre que] ne pensent pas qu'un verbe réfléchi ne saurait se construire comme un transitif : de même qu'on s'attend à quelque chose, alors qu'on attend quelque chose, la préposition doit introduire la subordonnée, tout comme le nom complément : On s'attend à ce qu'une déclaration officielle soit publiée » (Albert Dauzat, Le Monde, 1948).

    D'autres, dénonçant la lourdeur de la construction avec à ce que, préconisent l'emploi de que seul, à l'imitation des classiques :

    « Demander à ce que, consentir à ce que, s'attendre à ce que, de façon à ce que, etc., tout cela est du franc galimatias, une construction bâtarde, dans laquelle on a combiné la construction du substantif avec celle du verbe [...]. Il n'y a aucune raison de construire s'attendre autrement que attendre : "J'attends qu'on m'augmente" diffère de "Je m'attends qu'on m'augmente" par une simple nuance de sens, mais c'est la même syntaxe [!]. Pour vous garder du solécisme s'attendre à ce que, ayez toujours présent à l'esprit ce passage de Racine : "[Ils] ne s'attendoient pas [...] Qu'un jour Domitius me dût parler en maître" » (Théodore Joran, Les Manquements à la langue française, 1930).

    « On s'attend à une chose, d'où il devrait s'ensuivre que l'on s'attend à ce que. Plusieurs, en effet, le disent ; mais l'invariable usage des classiques est de dire s'attendre que. Comme à ce que est affreux et que sa suppression est un soulagement pour l'oreille, je pense qu'il faut [...] dire s'attendre que » (Abel Hermant, Le Temps, 1933).

    « S'attendre que (au lieu de s'attendre à ce que) continue à déplaire à certains lecteurs mal informés. L'un d'eux me reproche ma "mansuétude" pour cette construction qu'il juge incorrecte sous prétexte qu'on dit s'attendre à quelque chose. Mais il ne faudrait pas que l'amour de l'analogie et de la symétrie fît perdre de vue qu'un complément peut fort bien se construire d'une façon et une proposition subordonnée d'une autre. Ne dit-on pas correctement se plaindre de et se plaindre que, prévenir de et prévenir que, informer de et informer que, se souvenir de et se souvenir que ? J'ai répondu à ce lecteur que s'attendre que était le tour courant au XVIIe siècle [et] que à ce que et de ce que sont des tours pesants et peu harmonieux qu'il faut éviter autant que possible » (René Georgin, Consultations de grammaire, 1964).

    Qui croire ? De quel côté est le solécisme ? Avant de répondre à ces questions − dont la futilité, vu les circonstances, ne nous échappe pas −, commençons par rappeler quelques points essentiels à la bonne compréhension de ce qui va suivre :

    • les propositions complétives sont des propositions subordonnées qui peuvent avoir les mêmes fonctions que le groupe nominal (sujet, complément de verbe, attribut, agent, etc.) ;
    • on distingue les complétives qui contiennent un verbe conjugué (encore appelées conjonctives et ordinairement introduites par la conjonction que) et celles qui contiennent un verbe à l'infinitif (ou infinitives) − nous laissons volontairement de côté le cas particulier des constructions interrogatives ou exclamatives ;
    • tous les verbes n'ont pas (ou n'ont plus) la propriété de se construire avec une complétive par que (ainsi de commencer, continuer, poursuivre...) ;
    • la conjonction que ne peut être directement précédée par une préposition dite « faible » (comme à, de, en) ; deux solutions sont alors possibles en théorie : l'effacement de la préposition (au profit de que seul) ou son maintien, après intercalation du pronom faible ce (à ce que, de ce que, plus rarement en ce que, sur ce que) ;
    • c'est donc quand la proposition conjonctive correspond à un complément (de verbe, mais aussi d'adjectif, de nom, etc.) introduit par une préposition que se pose la question de l'effacement ou du maintien de ladite préposition et, partant, de la concurrence entre que et à ce que, de ce que ; mais la pronominalisation par en montre que la structure sous-jacente reste dans tous les cas la construction indirecte ;
    • ce que est une forme ambiguë, où que peut être conjonctif ou relatif ; il y a donc lieu de bien distinguer : Je m'attends à ce que tu viennes (proposition conjonctive) et Je m'attendais à ce que tu viens de dire (proposition relative).

    Reprenons à présent les arguments avancés par les partisans et les détracteurs de à ce que, de ce que.

    L'usage, tout d'abord. Pourquoi celui du XVIIe siècle devrait-il s'imposer aux siècles suivants ? Sans doute y a-t-il quelque ridicule à vouloir ainsi relancer une querelle des Anciens et des Modernes. « Certains puristes ne veulent pas admettre l'évolution de la langue et les changements de l'usage − du bon usage comme de l'usage tout court. Le bon usage de Littré n'était plus celui de Vaugelas. Celui de 1954 n'est plus, sur bien des points, celui de Littré. » L'auteur de cette remarque frappée au coin du bon sens n'est autre qu'Albert Dauzat qui, contre toute... attente, vient faire amende honorable, six ans après sa condamnation de s'attendre que : « [Cette construction] choque le Français moyen, qui n'est pas nourri de Bossuet et de Racine : c'est incontestable. Pour ma part, je ne l'emploie pas. Mais elle n'est pas incorrecte » (Le Monde, 1954). Et le linguiste de conclure : « [C'est] un archaïsme remis en honneur. » C'est toujours mieux qu'un solécisme...
    L'ennui, avec le sacro-saint usage, c'est qu'on n'est jamais à l'abri de voir ceux qui s'en réclament défendre des positions contraires. Jugez-en plutôt :

    « La tendance générale est à l'adoption de constructions symétriques, que l'expansion soit un nom ou une proposition : s'opposer au départ de quelqu'un / s'opposer à ce qu'il parte [1] » (Dupré, 1972), « La langue contemporaine a tendance à développer l'usage de à ce que, de ce que chaque fois qu'il y a concurrence avec que, c'est-à-dire quand le verbe support admet les deux constructions, alors que la langue classique avait des préférences inverses » (Hervé-D. Béchade, Syntaxe du français moderne et contemporain, 1986), mais « Les choix varient selon les usagers [...]. La tendance semble être de choisir que » (Claire Blanche-Benveniste, Préposition à éclipses, 2001), « Les verbes construits avec de introduisent une complétive avec de ce que, mais la langue moderne tend à remplacer systématiquement de ce que par que, comme s'étonner de, venir de, provenir de, etc. » (Rahma Barbara, Les Complétives conjonctives, 2019).

    (Veiller) « Veiller à ce que... Il sera toujours plus simple et plus élégant de dire [veiller que...] » (Antoine Albalat, Comment il ne faut pas écrire, 1921), « Barrès use de la forme abrégée : "Il faut veiller que toutes nos nourritures fortifient un dessein déjà formé" ; c'est aussi un bon modèle » (G.-O. d'Harvé, Parlons mieux !, 1922), « On ne dit que veiller à ce que » (Georgin, Le Code du bon langage, 1959), « Le tour veiller que a certains répondants, [mais] cette construction est rare. Sandfeld la tient pour fautive [...]. Le tour normal, [qui a pour lui] l'autorité irréfragable de l'Usage, c'est : veiller à ce que, [où] la locution conjonctive à ce que signifie "à cela (à savoir) que" » (Grevisse, Problèmes de langage, II, 1962), « Après [le verbe veiller], l'emploi de que, seul, n'est pas, comme le pense Adolphe Thomas, "un tour familier ou populaire", mais un faux archaïsme et une affectation d'élégance » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1964), « Veiller que, beaucoup plus rare que veiller à ce que, est considéré par certains comme populaire, par d'autres comme affecté » (Goosse, Le Bon Usage, 2011).

    (Informer) « Informer de ce que est incorrect ; le procès est jugé d'après l'usage général et les meilleurs auteurs » (Jean Boisson, Les Inexactitudes et les singularités de la langue française, 1930), « De bons grammairiens considèrent informer de ce que comme incorrect. Personnellement, je ne dirais pas que cette expression est fautive, mais je conseille de l'éviter, ne fût-ce qu'à cause de sa lourdeur » (Hanse, 1949), « Lourd, [le tour informer de ce que] l'est, on n'en disconvient pas ; mais la grosse raison pour laquelle il faut le rejeter, c'est que l'Usage ne l'a pas reçu » (Grevisse, Problèmes de langage, II, 1962), « Informer se construit avec que (et non de ce que) » (Thomas), « On évitera la construction informer quelqu'un de ce que, tour critiqué » (Girodet), « On dit informer que, plutôt que informer de ce que » (Jean-Paul Colin), « Parallèlement à [informer quelqu'un de quelque chose], on a [l'] informer de ce que » (Martin Riegel et alii, Grammaire méthodique du français, 1994), « Dans le cas des complétives indirectes, il existe une variation avec certains verbes, et on peut aussi les trouver construites directement : informer que / de ce que » (Christiane Marchello-Nizia et alii, Grande Grammaire historique du français, 2020).

    Quand on vous dit que nos experts sont incapables d'accorder leurs violons...

    L'esthétique, ensuite. Chacun y va de son appréciation :

    « De ce que est affreux » (André Thérive, Querelles de langage, 1929), « Nous assistons en ce moment à une véritable invasion de à ce que et aussi de de ce que. À quoi bon remplacer un que presque invisible par un lourd à ce que ? Dans un vêtement, on dissimule les coutures. Pourquoi choisir, au lieu du fil ordinaire, un fil de taille exagérée et de couleur voyante ? » (Charles Bruneau, Grammaire et linguistique, 1940), « Il ne faut pas abuser de à ce que, de ce que, qui sont lourds » (Hanse, 1949), « Le tour à ce que, qui est d'une affreuse lourdeur, est à éviter chaque fois que c'est possible » (Georgin, Pour un meilleur français, 1951), « Ces tours ne sont pas toujours esthétiques » (Étienne Le Gal, Le Parler vivant au XXe siècle, 1961), « Si cette locution [à ce que] est lourde et souvent inutile, elle a du moins l'avantage d'être analytique » (Le Bidois, 1964), « Ces à ce que sont des superfluités » (Jean-Pierre Colignon et alii, Pièges du langage, 1978), « Là où le simple que est possible, il est souvent considéré comme plus élégant » (Goosse, Nouvelle Grammaire française, 1995), « Quand les deux tours sont en concurrence [...], le tour en ‘Préposition + ce que P’ est plus recherché » (Pierre Le Goffic, QUE complétif en français, 2008), « Tantôt l'usage avec le simple que est jugé plus élégant, tantôt c'est l'usage avec à ce que ou de ce que qui est jugé plus recherché » (Cédrick Fairon et alii, Le Petit Bon Usage, 2019).

    (S'attendre) « S'attendre à ce que a contre lui l'inélégance » (Gide, Lettre à Paul Souday, 1923), « [S'attendre que] est évidemment moins lourd, plus concis » (Dauzat, 1954), « [Las !] la victoire de la tournure lourdaude [s'attendre à ce que] ne semble pas douteuse » (Julien Teppe, Les Caprices du langage, 1970), « C'est affaire de goût que le choix entre : s'attendre que et s'attendre à ce que » (Jacques Cellard, Le Monde, 1972).

    (Chercher, demander) « Chercher à ce que est peu élégant » (Dupré), « Chercher que ou à ce que [sont] deux constructions également bonnes, quoique chercher que soit plus élégant » (Thomas) ; « [Demander à ce que], expression incorrecte et peu harmonieuse » (Louis Barthou, Le Politique, 1923), « Sans doute demander à ce que est une construction d'une extrême lourdeur » (Georgin, Jeux de mots, 1957), « On évitera demander à ce que, inutile et lourd » (Hanse, 1987), « Demander à ce que est très répandu, mais barbare. On doit lui préférer le tour plus bref demander que » (Colin).

    (S'opposer) « Ce tour un peu lourd [s'opposer à ce que] est utile lorsque l'action ou l'état exprimé par le verbe [de la subordonnée] n'a pas de substantif correspondant » (Grand Robert).

    La comparaison avec le verbe veiller, en particulier, montre assez que ledit argument est à géométrie variable : la densité d'ordinaire reprochée à s'attendre à ce que, informer de ce que, etc. ne semble étonnamment pas... peser lourd quand il est question de veiller à ce que. Deux poids, deux mesures.

    La logique, enfin. Force est, hélas ! de constater, contre Clédat, qu'elle n'a pas sa place dans notre affaire. « Il serait bien utile de savoir une bonne fois quels verbes on a le droit ou on n'a pas le droit d'employer suivis de la conjonction que, déclare Abel Hermant dans le journal Le Temps (1933). Malheureusement, on a fort peu de chances pour le savoir jamais, vu qu'il n'est pas de règle certaine à laquelle on puisse se référer. Sur ce point, on est franchement dans l'incohérence. » Goosse enfonce le clou, en rappelant avec juste raison que la construction de l'objet nominal (qui détermine si un verbe est transitif direct ou indirect) peut différer de celle de la proposition infinitive ou complétive : « En effet, l'infinitif est souvent construit avec préposition même si le complément nominal correspondant est construit de façon directe : Il craint la mort. Il craint de mourir [....]. D'autre part, lorsque le complément est une proposition, il a ses propres mots de liaison, les conjonctions. Comparez : Je crains qu'il ne parte. Je crains son départ. — Je doute qu'il parte. Je doute de son départ » (Le Bon Usage, 2011). Clédat lui-même admet la coexistence des deux constructions : « On ne devrait pas dire consentir que. On le dit cependant, et aussi s'attendre que, mais ces formules, reposant sur des analogies, ont commencé par être des fautes : on a dit s'attendre que en pensant à croire ou attendre que, et consentir que en pensant à accepter ou admettre que ». Voilà donc l'argument massue des partisans du maintien de la préposition devant tous les compléments d'un verbe transitif indirect : l'emploi de que seul au lieu de la forme complexe (préposition + ce que) serait le fruit d'analogies fautives. Encore convient-il de s'assurer qu'il ne s'agit pas là d'une de ces fake news (infox, en bon français d'aujourd'hui) qui pullulent de part et d'autre du Channel...

    Les ouvrages de référence nous apprennent que le pronominal s'attendre à, d'abord employé avec diverses acceptions aujourd'hui disparues (« s'appliquer à quelque chose », « prêter attention à quelque chose », « s'en remettre à quelqu'un », etc.), est attesté avec son sens moderne (« tenir quelque chose pour probable ou assuré ») en 1604 selon le TLFi : « Le camp des ennemis s'attend à la bataille » (Antoine de Montchrestien, Hector), et même deux siècles plus tôt selon le Dictionnaire du moyen français : « Celuy qui ne s'attent a l'aide et secours de la hault » (Alain Chartier, Le Livre d'Espérance, 1429). Une citation plus ancienne encore attire mon attention : « S'une fois en chiet bien, fols est cil qui s'atent Que il l'en doie adés cheoir si faitement » (Jean Bodel, Chanson des Saisnes, avant 1200). Je ne saurais dire avec certitude à quelle acception le verbe se rapporte ici, mais le fait est que c'est la construction sans préposition qui s'est imposée à l'auteur. Même constat pour les siècles suivants, comme Hermant et Georgin le signalaient déjà :

    « Et si ne vous attendez pas Que je li face compagnie » (Miracle de Clovis, vers 1381), « Combien que la Court s'atendist que ledit cardinal eust escript affectueusement au Pape » (Nicolas de Baye, 1412), « Il s'atendoit que ledit Cotin deust accepter ladicte prebende » (Clément de Fauquemberg, 1421), « Il se actendoit que Anthoine Grignon [...] le déclairas » (Jean Dauvet, vers 1455), « Ne vous attendez point que l'en vous donne » (Jean de Bueil, vers 1465), « Ceulx qui avoyent leurs terres en lieu où ilz se actendoyent que le roy ne allast point » (Philippe de Commynes, 1490), « Il s'actend que [...] vostre plaisir sera luy donner son congé » (Antoine Duprat et Jean de Selve, 1521), « Comme chacun s'actend qu'il viendra dedans peu de jours » (Jean du Bellay, 1529), « Je me attends bien qu'il y fera son devoir » (Marguerite de Navarre, 1530), « Ne vous attendez point qu'il sorte hors » (Robert Estienne, 1546), « Mes il s'atand qu'Amour le [= le portrait] vous peindra » (Jacques Peletier du Mans, 1555), « Il faut s'attendre que les malades, en leurs fievres, getteront hors grandes sueurs » (Jean Brèche, 1557), « Je m'attens qu'elle [= une suffisance livresque] serve d'ornement » (Montaigne, 1580), « Je matens que vous lacompaygneres » (Henri IV, 1590), « Il ne devoit point s'attendre que personne de ceux qu'il avoit offensés durant la guerre luy pardonnast en ce changement de sa fortune » (Nicolas Coeffeteau, 1621), « Je m'attens que le mesme Schiopius fera un autre livre » (Jean-Louis Guez de Balzac, 1637), « Vous devez vous attendre Que je le [= votre cœur] vais frapper par l'endroit le plus tendre » (Racine, 1670), « Le roi de Pologne s'attendit bien que son ennemi [...] viendroit bientôt fondre sur lui » (Voltaire, 1731), « L'erreur la plus pernicieuse où nous puissions tomber est de nous attendre que Dieu nous attendra » (Louis Bourdaloue, avant 1700), « S'attendre régit la conjonction que » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787).

    Est-ce à dire que la construction s'attendre à ce que + complétive (2) est inconnue de l'ancienne langue ? Non, mais elle semble nettement plus rare que sa concurrente. Le Dictionnaire du moyen français n'en donne qu'une maigre occurrence (où ce et que sont disjoints) : « A ce je m'actens [...] Que de mes soussiz dispensee Seray » (Charles d'Orléans, Poésies [3], avant 1460), à laquelle on peut ajouter ces deux autres : « Sans s'attendre à ce que l'on en fist ampliation » (Jean Papon, 1568), « M'attendant à ce que ma demande dependoit de ta response » (Jacques de Lavardin, traduisant l'espagnol de Fernando de Rojas, 1578). Il faut... attendre le milieu du XVIIe siècle, semble-t-il, pour voir les exemples se multiplier :

    « S'attendant à ce que leurs auditeurs leur aportassent tout cela pour leur usage » (Charles Daubuz, 1648), « [Les ministres] s'attendoient à ce qu'on la [= la conclusion d'une affaire] communiquast aux villes » (A. Le Vasseur, traduisant l'anglais de William Temple, 1674), « [La reine] s'attendoit à ce que le roy de Pologne la remerciast [de ses] bons services » (Abraham de Wicquefort, 1676), « Si vous vous attendez à ce que Dieu vous juge luy-même » (Claude Masson, 1696) et, plus près de nous, « On pouvait s'attendre à ce que Mme des Arcis eût quelque embarras » (Musset, 1844), « Ne vous attendez pas à ce que je vous réponde » (Anatole France, 1912), « Je m'étais attendu à ce que Tatiana fût hostile au projet » (Marcel Aymé, 1960), « [Il] devait s'attendre à ce que ses mesures soulevassent une tempête de protestations » (Jean Dutourd, 1986).

    De là la conclusion de Normand d'un Grevisse : « En résumé, ceux qui sont pour [s'attendre que] ont raison, mais ceux qui sont pour [s'attendre à ce que] n'ont pas tort » (Problèmes de langage, I, 1961) − Jacques Martin, si tu nous lis... La plupart des spécialistes qui admettent les deux constructions établissent toutefois des distinctions d'usage :

    « Si le tour s'attendre que flaire un tantinet l'archaïsme, il est d'une correction parfaite et convient fort bien au style soigné » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1964).

    « La plupart des dictionnaires généraux discutent du degré d'inélégance de s'attendre que et s'attendre à ce que. L'un et l'autre sont corrects. Le premier est prôné par les puristes, le second s'emploie plus couramment » (TLFi).

    « La construction avec que, parfaitement correcte, mais un peu compassée, est remplacée usuellement par s'attendre à ce que [...]. Ce dernier tour est moins conseillé, surtout dans la langue surveillée » (Girodet).

    « [La construction s'attendre que] est classique et élégante [...]. Mais elle devient quelque peu pédante, et on rencontre de plus en plus, même à un niveau de langue élevé, le tour à ce que » (Colin).

    « S'attendre à ce que est le tour vivant [...]. S'attendre que, encore exigé par certains puristes, n'a pas disparu de la langue écrite soignée (le Dictionnaire de l'Académie ne le mentionnait plus en 1986, mais l'a réintroduit depuis 1992 comme littéraire) » (Goosse, Le Bon Usage, 2011). (4)

    Mais revenons à la thèse de Clédat. Autant il paraît imprudent de laisser entendre que s'attendre à ce que a précédé s'attendre que (plus généralement, l'antériorité, en français médiéval, des complétives indirectes avec ce que sur celles avec que seul est sujette à débat [5]), autant il serait stupide de nier le rôle de l'analogie dans les variations syntaxiques étudiées − analogie avec la construction des autres compléments (substantif ou infinitif) d'un même verbe, nous l'avons vu, mais aussi avec la construction d'autres verbes de la même famille sémantique (6). Comparez :

    (Aimer, chercher, demander et autres verbes transitifs directs susceptibles de construire l'infinitif objet avec à ou de) « Demander n'est pas suivi de à quand son complément est un nom ou un pronom. Mais on dit avec un infinitif : demander à rester [et de là, demander à ce qu'il reste]. Ici encore, la loi de l'analogie a joué, comme pour le verbe chercher. Chercher à comprendre est responsable de chercher à ce que, également très lourd [7] » (Georgin, Jeux de mots, 1957), « Dans la langue de tous les jours il y a tendance à employer à ce que [...] derrière des verbes qui se combinent avec à + infinitif, comme demander et aimer [...]. Cet usage est fort blâmé par les grammairiens, et il faut convenir que les constructions normales demander que et aimer que sont parfaitement claires et n'ont pas besoin d'être remplacées par d'autres » (Sandfeld, 1965), « La manière dont s'est formée la locution demander à ce que s'explique par l'analogie avec la construction demander à et l'infinitif » (Dupré, 1972), « En français moderne, l'emploi de à ce que s'étend, par analogie, à des verbes dont le complément nominal est direct, mais qui se construisent ou peuvent se construire avec à ou de lorsqu'ils sont suivis d'un verbe à l'infinitif. Cette extension, dans son ensemble, est quelquefois mal jugée dans les ouvrages de langue » (Office québécois de la langue française). (8)

    (Venir) « Venir et provenir peuvent avoir pour complément une proposition introduite par de ce que, mais non un infinitif : Cela vient de sa mauvaise santé, de ce que sa santé est mauvaise » (Jacqueline Pinchon, Ce qui, ce que, ce dont, ce à quoi, ce que (de ce que, à ce que), 1970).

    « Que est la construction normale pour douter (jadis transitif), se douter (qui suit douter), se souvenir, s'apercevoir, s'aviser, se persuader (qui suivent apercevoir, aviser, persuader) », « Réfléchir que, sous l'influence de se dire, penser, est préféré nettement à réfléchir à ce que », « Témoigner de quelque chose est plus fréquent aujourd'hui que témoigner quelque chose ; on comprend que témoigner que soit concurrencé par témoigner de ce que » (Goosse, 2011).

    (Informer) « Peut-on dire : Je vous informe que… ? Il n'y en a point d'exemple dans le Dictionnaire de l'Académie. Cependant puisqu'on dit : Je vous avertis que…, il semble qu'on peut dire : Je vous informe que… » (Littré, 1863).

    ([Se] rendre compte) « Rendre compte ayant pris le sens de "rapporter, exposer", peut se construire comme ces deux verbes » (Georgin, Pour un meilleur français, 1951), « Il serait aisé de plaider les circonstances atténuantes en faveur de rendre compte que, car ici rendre et compte forment bloc et deviennent synonymes de signaler ou avertir, de sorte qu'il ne paraît pas tellement illicite d'employer directement la conjonction que » (Teppe, 1970), « Il est absurde de condamner se rendre compte que alors que l'on accepte être d'avis que, avoir l'espoir que, faire signe que [et beaucoup d'autres locutions formées d'un verbe et d'un substantif objet direct] » (Dupré, 1972).

    Alors quoi ? N'y aurait-il que des considérations d'ordre stylistique (concision, registre) et analogique pour rendre compte de l'alternance entre que et (à, de) ce que en français moderne ? La linguiste Hava Bat-Zeev Shyldkrot émet l'hypothèse que « chaque construction ait une identité sémantique » et évoque, entre autres cas, celui du verbe tenir, pour lequel la différence de sens est « intuitivement perceptible » :

    « Soit les exemples suivants : Luc tient que tout a été noté et enregistré et Luc tient à ce que le changement soit mentionné. [Le second énoncé] implique de la part du sujet une volonté plus insistante, donc traduit une activité mentale plus intensive et plus prolongée que [le premier]. Tenir à ce que exprime une détermination très forte vers un but bien précis du locuteur. Tenir que désigne certes une opinion clairement arrêtée, un acte de pensée signifiant "soutenir que", mais il n'évoque point cette détermination : il introduit l'avis du locuteur sans pour autant en sous-entendre les conséquences » (Complétives introduites par Prep que P vs Complétives introduites par Prep ce que P, 2008).

    Las ! l'affaire, à y regarder de près, est plus complexe que ce qu'on voudrait nous faire croire. D'abord, parce que le sens de tenir à ce que varie selon la nature du sujet : « vouloir fermement, désirer que » avec un sujet animé, mais « être la conséquence, l'effet, le résultat de » avec un sujet inanimé. Comparez : « C'est pourquoi il tenait tant à ce que je termine [mes études] » (Boris Vian) et « La difficulté [...] tient principalement à ce qu'en voulant saisir, il ne nous reste en main que l'objet nu » (George Bataille). Ensuite, et surtout, parce que tenir que, envisagé ici dans le seul sens classique de « soutenir l'idée que, professer l'opinion que », est également attesté avec celui de − je vous le donne en mille − tenir à ce que « vouloir fermement, désirer que ». Comparez :

    « Je tiens que cela a besoin d'explication » (Dictionnaire de l'Académie, depuis 1694), « Il tenait que cette façon de faire était l'expression même du remords » (Mérimée, 1855), « Je tiens que le romancier est l'historien du présent » (Georges Duhamel, 1935), « Nous tenons que ses continuelles hésitations [...] constituent la meilleure preuve » (André Billy, 1952), « [Anatole] France tient que les poèmes de François Coppée ont illuminé son âge » (Eugène Ionesco, 1971). (9)

    « Je tiens absolument que la gravure soit de Yégawa » (Edmond de Goncourt, 1896), « Il tient beaucoup que j'aie les yeux ouverts à toutes choses et à toutes gens » (Henri de Régnier, 1904), « Mon père [...] a tenu que notre maison fût ouverte à tous » (Paul Bourget, 1917), « Comme elle ne tenait pas que je lui parlasse de Laure » (René Boylesve, Je vous ai désirée un soir, 1925 ; c'est le tour par à ce que qui figure dans la première version, parue en 1922), « Le curé a tenu que je fasse toutes les offices seul » (Joseph Raîche, 1927), « Si l'on ne tient pas qu'elle [= la maladie] finisse par se nourrir aux dépens du malheureux qu'elle a choisi pour victime » (René Maran, 1934), « Je ne tenais pas qu'on me questionnât » (Robert Gaillard, 1942), « Mais j'ai tenu que la réalité vienne, au plus vite, alimenter la comédie » (Jacques Audiberti, 1947), « Je tiens que tout y soit remis en ordre » (Henri Bosco, 1947), « Chose que tante Lizzie tenait beaucoup que je fasse » (Alain Bosquet, 1952), « [Sainte-Beuve] a tenu que l'on sût qu'il avait été l'amant de madame Hugo » (Émile Henriot, 1953), « Le maître tenait beaucoup que ce qu'il présentait au public soit apprécié » (Henri Bussi-Taillefer, 1963), « Je ne tiens pas que ça devienne clair » (Dominique Proy, 1968).

    Les spécialistes ont eu beau multiplier les avertissements : « On ne dit pas : Il tient beaucoup que nous l'accompagnions. À ce que s'impose » (Hanse), « Ne pas dire : Je tiens que tout soit fait » (Girodet), « Si l'on emploie tenir à au sens de "vouloir fermement, être attaché à", la locution à ce que est indispensable » (Dupré), « [La suppression de la préposition à] n'est pas possible avec tenir (elle ferait équivoque avec un emploi transitif direct de ce verbe) » (Le Goffic), « Tenir que [pour tenir à ce que] est rare » (Thomas, Grand Larousse, Grand Robert), « Tenir que dans le sens "désirer que" est peu usité » (Goosse), les faits sont toujours aussi têtus : 

    « Je ne tiens pas qu'elle [= une affaire] se solde par un drame » (René Reouven, 1985), « Je tiens que vous sachiez que [...] » (Norbert Hugedé, 1985), « Ce que je tiens que vous sachiez, c'est que [...] » (Julien Green, 1987), « Je ne tiens pas qu'on pense mal de moi » (André Tissier, 1999), « Je ne tiens pas qu'ils me voient dans cet état » (Akli Tadjer, 2008), « [Des demandes] auxquelles elle a tenu qu'il soit répondu par écrit » (Denis Crouzet, 2009), « Ton père a tenu que j'accompagne Victor » (Claude Michel, 2011), « Je ne tiens pas que tout Alfredville le sache » (Françoise Adelstain, 2013), « Son père [...] a tenu qu'il soit à ses côtés durant ces moments terribles » (Frantz-Antoine Leconte, 2016), « Je ne tenais pas qu'il m'impose quelqu'un » (Bernard Grosjean, 2017), « Martine a tenu que tout soit parfaitement encadré » (Sud Ouest, 2017), « Je ne tiens pas qu'il écoute ce que nous allons nous dire » (Laurent Guichard, 2019), « Je ne tiens pas que quelqu'un me la débauche » (Patrice Keller, 2023), « Nous tenons que tout soit parfait afin que vous passiez d'excellentes vacances » (site Internet d'un gîte touristique, 2023), « Il a tenu que tout ça soit loin de nous » (Alexis Charles, 2024).

    Cela n'empêche pas plus d'un observateur de soutenir que l'emploi de (à, de) ce que exprime une nuance sémantique par rapport à que seul :

    (S'attendre) « J'accepte dans Anatole France : "Je m'attendais, non sans raison, à ce que mes fautes fussent découvertes". Il y a là une nuance, usuelle au XVIIe siècle (au XVIIe siècle, ce conservait sa valeur propre) ; à ce que insiste, là où que glisse sur l'idée. Je traduirais : "Je m'attendais à cette catastrophe, la découverte de mes fautes" » (Charles Bruneau, 1940).

    (Se plaindre) « Se plaindre de ce que suppose un sujet de plainte. Se plaindre que n'en suppose point. Ainsi, vous direz à une personne que vous n'avez pas trompée : Vous avez tort de vous plaindre que je vous ai trompé. Si vous disiez : Vous avez tort de vous plaindre de ce que je vous ai trompé, ce seroit avouer que vous l'avez trompée » (Pierre-Claude-Victor Boiste, Dictionnaire universel, 1803), « On ne dit pas indifféremment se plaindre de ce que et se plaindre que. Dans Je me plains de ce que vous m'avez insulté, se plaindre signifie proprement "faire des plaintes, des reproches relativement à une chose dont on a reçu quelque tort, quelque dommage" [et] la préposition de indique un rapport direct entre la chose dont on se plaint et la personne qui s'en plaint. Mais se plaindre signifie aussi "blâmer, trouver mauvais", sans rapport direct et positif de la chose avec le sujet ; et alors il me semble qu'il faut employer que. Je dirai Je me plains qu'on met trop de précipitation dans les affaires, si je parle en général des affaires, sans rapport à moi ; et Je me plains de ce qu'on a mis trop de précipitation dans mon affaire, parce qu'il s'agit d'une affaire qui m'est personnelle » (Jean-Charles Laveaux, Dictionnaire raisonné des difficultés, 1822), « Il se plaint de ce qu'il est mal nourri : la cause du sentiment est énoncée comme un fait positif et le simple que paraîtrait ici trop faible. On se plaint de ce fait (qu'on affirme) parce que... » (Le Gal, 1961).

    (Conclure) « La proposition qui suit conclure que correspond à une phrase énonciative, alors que, avec à ce que, la proposition correspond à une phrase injonctive » (Goosse, 2011).

    « Dans beaucoup de cas, ces tours [à ce que, de ce que] s'expliquent par la tendance analytique du français, par un besoin d'insistance et de précision », « Dans certains cas, ils présentent le fait comme plus réel » (Le Gal, 1961).

    « Le caractère analytique du français moderne a amené des liaisons à l'aide des groupes conjonctionnels à ce que et de ce que, qui renforcent la conjonction "à tout faire" que » (Louis Kukenheim, Grammaire historique, 1968).

    « Le pronom ce marque une pause (de précaution, de ménagement devant l'interlocuteur), un temps de réflexion nécessaire à la formulation de la visée [quand ce est introduit par à] ou de la cause [quand ce est introduit par de] » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, 2008).

    Le choix du mode dans la subordonnée est également considéré comme un facteur ou un indicateur de changement de sens :

    (S'attendre) « S'attendre que régit l'indicatif quand le sens est affirmatif, et le subjonctif quand le sens est négatif » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787), « À côté du tour classique Je m'attends qu'il viendra, avec l'indicatif, il y a le tour moderne Je m'attends qu'il vienne, avec le subjonctif (sans doute l'analogie de J'attends qu'il vienne a-t-elle exercé ici son influence) » (Grevisse, Problèmes de langage, I, 1961), « S'attendre que + ind. [L'objet de l'attente est assuré, le sujet est certain que l'attente se réalisera]. S'attendre que + subj. [L'objet de l'attente n’est pas assuré, le sujet doute que l'attente se réalise]. S'attendre à ce que + subj. » (TLFi). (10)

    (Se plaindre) « Lorsque le verbe de la phrase subordonnée est au subjonctif, il faut nécessairement mettre se plaindre que. Le subjonctif marque doute, incertitude, et repousse par conséquent de ce que, qui indique toujours quelques chose de déterminé, de positif » (Laveaux), « Se plaindre que, avec l'indicatif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe à l'indicatif n'a rien d'hypothétique) ou le subjonctif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe au subjonctif est hypothétique). Se plaindre de ce que [suivi d'un exemple à l'indicatif imparfait] » (Littré), « Un écrivain scrupuleux peut faire une différence entre vous vous plaignez qu'il ait menti [que + subjonctif] ou de ce qu'il a menti [de ce que + indicatif], suivant que la personne qui parle a ou n'a pas d'opinion sur le fait » (Philippe Martinon, Comment on parle en français, 1927), « Il se plaint de ce que vous ne l'écoutez pas. De ce que, c'est-à-dire de cela que, parce que. On insiste sur le pourquoi de la plainte et il s'agit d'un fait positif. Il faut donc l'indicatif, mode de la réalité. Il se plaint que vous ne l'écoutiez pas. Peut-être ne l'écoutiez-vous pas. Il y a doute, il faut le subjonctif » (Le Gal, 1961), « Se plaindre que (+ subjonctif). Cette construction est la plus courante. Se plaindre que (+ indicatif). Cette construction, moins courante et plus littéraire, insiste davantage sur la réalité du fait. Se plaindre de ce que (+ indicatif ou subjonctif). La construction avec l'indicatif est généralement tenue pour plus correcte » (Larousse en ligne), « Se réjouir, se plaindre, s'indigner de ce que [sont] suivis de préférence de l'indicatif, alors que la construction directe de ces mêmes verbes réclame de préférence le subjonctif » (Grammaire méthodique, 1994).

    (Tenir) « On a, commun aux deux [exemples cités plus haut], Luc tient, qui exprime dans les deux cas une prise de position du sujet, mais avec que seul, l'événement "tout-noté-et-enregistré" est posé par le sujet (Luc reconnaît que "tout-noté-et-enregistré" est le cas), tandis que, avec à ce que, la réalité de l'événement n'est ni posée ni présupposée : c'est une possibilité envisagée dans l'ordre du désir du sujet. La différence de statut de l'événement se reflète dans l'emploi du mode (respectivement indicatif et subjonctif) » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, 2008).

    (Être surpris) « [On établira une distinction entre] Je suis surpris de ce que vous êtes venu si tôt [= je suis surpris de ce fait, à savoir que + indicatif] et Je suis surpris que vous soyez venu si tôt [analogique de Il est surprenant que + subjonctif, où la subordonnée est le sujet sémantique du verbe être] » (Charles-Honoré de Guimarest, Éclaircissements sur les principes de la langue françoise, 1712).

    « L'emploi des modes oppose les deux locutions conjonctives de ce que et à ce que. De ce que se construit avec l'indicatif ou le subjonctif [...] ; à ce que n'est suivi que du subjonctif. La construction directe et la construction indirecte peuvent se doubler : Il s'attend que vous veniez / à ce que vous veniez. Au contraire, elles correspondent à deux valeurs d'emploi du verbe, si le mode qui suit la conjonction est différent. Ainsi on opposera : Faites attention (prenez garde) que ce chemin est impraticable et Faites attention (prenez garde) à ce qu'on ne vous voie pas » (Jacqueline Pinchon, 1970).

    On le voit, au terme de ce long exposé : le point de grammaire du jour fait la part belle à la subjectivité. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de la position adoptée par l'Office québécois de la langue française sur ce sujet :

    « Des ouvrages de langue indiquent parfois quel est le "meilleur" usage pour introduire la subordonnée complétive indirecte qui suit tel ou tel verbe lorsqu'une variation est possible. La Banque de dépannage linguistique, elle, ne favorise ni que, ni à ce que ou de ce que, et ce, pour trois raisons :
    - Les diverses remarques présentes dans les ouvrages à propos de l'alternance entre que et à ce que ou de ce que ne contribuent pas vraiment à établir une norme en la matière. Par exemple, s'attendre que peut être prescrit ou, au contraire, considéré comme désuet ; veiller que peut être jugé peu soigné ou, au contraire, affecté.
    - Chacune des constructions traduit une nuance de sens dont on ne peut faire fi. Il arrive même que cela puisse avoir une influence sur le mode du verbe de la subordonnée. Parfois, la différence de sens est relativement marquée ; d’autres fois, elle consiste minimalement en une forme d'insistance lorsque l'on emploie à ce que ou de ce que plutôt que que.
    - Dans tous les cas, la syntaxe du français est respectée. »

    Gageons que pareille souplesse nous préservera de toute émeute linguistique...

    (1) Toujours selon Dupré, « s'opposer à ce que est la seule construction qui existe dans la langue contemporaine ». La forme s'opposer que, attestée dès le moyen français, n'a pourtant jamais totalement disparu : « [Le procureur] s'oppose que aucun ne soit receu en son office de bailli de Vitry », « [Le procureur] s'oppose à ce que aucun ne soit receu en bailli d'Amiens » (Nicolas de Baye, 1413) ; « [Il] s'est opposé que lesdites lettres [...] feussent rendues audit huissier » (Arrêts du Grand Conseil, 1484) ; « Et s'est opposé que l'article passe par coutume » (Coutumier du Grand Perche, 1558) ; « Jusques à s'opposer qu'on ne vid les lettres qu'escrivoient ceux du party contraire » (Response faicte à la lettre du cardinal de Sega, 1594) ; « [Des] brigues pour s'opposer que l'on rapprochast les fonds » (Charles d'Albert d'Ailly, 1671) ; « [J'] ai été la seule qui [...] s'est opposée que l'on le voulût dépouiller » (Marie de Nemours, 1673) ; « Le fils du deposant ayant voulu s'opposer que ledit muletier n'entra point avec sa charge » (Intendant de Provence, 1712) ; « [La ville] n'avoit pas plus de droit de s'opposer à ce que l'Université nous accordât les privilèges, que l'Université n'en avoit de s'opposer que la ville fit abattre le Mail » (Joseph Grandet, avant 1724) ; « Je me suis opposé qu'on mît M. Law à la Bastille » (Saint-Simon, avant 1755) ; « Ce qu'Elisabeth avoit dit en s'opposant qu'on lui donnât le nom de son père » (Dictionnaire généalogique, 1804) ; « Je m'oppose que cette réunion ait lieu dans votre établissement » (Gazette de France, 1831) ; « [Ils] sont fondés à s'opposer qu'il s'en fasse une autre [procession] le même jour » (Encyclopédie théologique, 1845) ; « Il l'appela au-dehors en s'opposant que la femme de Disset assistât à leur entretien » (Le Petit Républicain du Midi, 1900) ; « Je m'oppose que l'on fasse des recherches à ce sujet » (journal Messidor, 1908) ; « Rien ne s'opposait que l'un des abonnés rencontrât chez le voisin l'accueil auquel il avait droit » (Francis Carco, 1933) ; « [Il] s'est opposé que l'on jouât [tel hymne] à son intention » (Journal des débats, 1935) ; « La Seigneurie de cette terre lui a fait quelque difficulté, s'opposant que les trois comtés [...] n'en étaient qu'un seul » (Paul Beau, 1938) ; « Rien ne s'oppose que [...] lesdits établissements obtiennent [...] » (Jacques Barrot, 1980) ; « Le droit pour l'interprète à s'opposer que son nom figure sur l'enregistrement dont il n'a pas autorisé la diffusion » (Roland Dumas, 1987) ; « C'était de s'opposer qu'il aimait » (Jean Largeault, 1993) ; « Nous nous opposons que les déchets viennent de toute l’Île de France » (Rapport d'enquête, 2015) ; « Nous nous opposons que les éoliennes soient situées à 500 mètres des habitations » (Ouest-France, 2019).

    (2) Il convient, répétons-le, d'éviter toute confusion avec les constructions où que est le pronom relatif : « De telles parolles que vous dictes vous peussies bien [...] vous attendre a ce que nostre seigneur en fera » (Cleriadus et Meliadice, édition de 1514), « [Celuy qui] ne s'attend point à ce que la Fortune luy voudra donner » (Malherbe, avant 1628).

    (3) Daniéla Capin observe que ce que, conjoint ou disjoint, apparaît d'abord surtout dans des textes en vers : « [Il] semble correspondre aux exigences du mètre » (Complexité des structures en français médiéval : la variation que/ce que dans les complétives, 2019).

    (4) Le Larousse en ligne, quant à lui, est pris en flagrant délit de contradiction : « S'attendre que ou à ce que. Les deux constructions sont correctes. On emploie plus souvent à ce que dans la langue courante et que dans un registre soutenu » (à l'article « attendre »), mais « Les verbes aimer, s'attendre, consentir, demander se construisent avec que » (à l'article « à »).

    (5) « Comparées aux attestations de complétives avec que seul, les attestations de complétives avec ce que [conjoint ou disjoint] sont moins fréquentes, quel que soit le sous-type de complétive étudié » (Daniéla Capin, 2019), « La construction complétive de la forme V préposition ce que P est fréquemment employée en ancien français avec toutes les prépositions. Ce est considéré comme obligatoire quand la phrase nominalisée est régie par une préposition. À partir du moyen français, l'usage de ce dans ces constructions se limite et on le retrouve essentiellement avec les prépositions les plus employées : à ou de » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, Complétives introduites par Prep que P vs Complétives introduites par Prep ce que P, 2008), « En ancien français, on retrouve un emploi fréquent et varié de ce que à la place de que, aussi bien en complétive sujet, objet ou complément indirect qu'en circonstancielle » (Michel Pierrard, L'Évolution de ce que introducteur de subordonnées, 1995).
    Une étude du verbe informer, menée par la Grande Grammaire historique du français, « montre une évolution de la construction indirecte vers la construction directe, l'exemple le plus ancien étant construit avec de ce que, qui peut cependant être interprété comme un ce que relatif : "Et me tiens pour tres bien informee de ce que je querroie" (Christine de Pizan, 1405) ». C'est oublier, d'une part, que la femme de lettres (récemment mise à l'honneur lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris) écrivait à la même époque : « Si que elle soit bien informee que [...] » (1405), « Il fu enfourméz que cil estoit un jouer de dez » (1412) et, d'autre part, que le Dictionnaire du moyen français atteste le tour direct dès 1393 chez Jean d'Arras. Autrement dit, tout porte à croire que les deux constructions étaient déjà en concurrence en moyen français, comme le confirment Robert Martin et Marc Wilmet : « L'hésitation la plus fréquente, d'ailleurs encore possible aujourd'hui, est celle de que et de ce que, [avec des verbes comme] s'affliger, se désoler, s'ébahir, s'indigner... » (Études de syntaxe du moyen français, 1978).

    (6) « On voit qu'il est impossible de donner une règle. D'une part, le français tend à uniformiser la construction de tous les compléments d'un verbe quelle que soit leur nature (se réjouir de, s'attendre à, etc.) ; d'autre part, la construction d'un verbe peut être calquée sur celle d'un verbe de sens voisin (se rendre compte que, comme s'apercevoir que) » (Jacqueline Pinchon, Ce qui, ce que, ce dont, ce à quoi, ce que (de ce que, à ce que), 1970).

    (7) Même la construction directe chercher que n'est pas exempte de reproche : « Tour rare et peu recommandé » (Girodet), « Construction admise mais rare, même dans la langue littéraire » (Larousse en ligne). Cela ne l'empêche pas de se maintenir, surtout quand le jeu des sujets (de la principale et de la subordonnée) ne permet pas la construction usuelle avec l'infinitif : « Et ne sont pas gens qui voisent cherchant que vous soiez mal de monseigneur vostre fils » (Georges Chastelain, 1468), « Cercher que la louange soit rendue à celuy auquel elle appartient » (Jean Calvin, avant 1564), « Car il cerchoit que les Philistins lui baillassent quelque occasion » (La Bible, 1597), « Sans chercher que quelqu'un vous dise [que...] » (Jean-Joseph Surin, 1661), « Sans chercher que les autres s'en aperçoivent » (Documents du Club des Jacobins de Paris, 1794), « La considération consiste, non à chercher qu'on parle de soi, mais à mériter qu'on en parle » (Charles-Jean Baptiste Bonnin, 1833), « Toujours il [= le poète] cherche qu'on le loue » (Ulric Guttinguer, 1846), « Nous devons surtout chercher que le citoyen comprenne ce qu'il lit » (Ferdinand Brunot, 1911), « Comme on se plaint sans chercher qu'on vous plaigne » (Charles Le Quintrec, 1977), « Chercher qu'on soit content ou à ce qu'on soit content » (Hanse, 1987), « J'en suis arrivé à me contenter d'instants intenses, sans chercher qu'ils aient de lointains prolongements » (Éric Ollivier, 2002), « Sans chercher qu'ils soient absolument identiques » (Michel Sauquet et Philippe Pierre, 2022).

    (8) Selon le site Internet de l'Académie, « le tour demander à ce que est assez récent » (rubrique Dire, ne pas dire, 2017). On en trouve pourtant des attestations au XVIIe siècle : « [Elle] demanda à ce que le seigneur de la Tour-Goyon fust condamné » (Claude Henrys, Recueil d'arrests, 1660), « Pour demander à ce que les articles [...] soyent punctuellement executés » (Registre de la province d'Utrecht, 1672).

    (9) Selon le Larousse en ligne, « tenir que ("affirmer, soutenir que"), courant dans la langue classique, ne se dit plus ». Jugement excessif, comme le prouvent ces exemples récents : « Je tiens qu'un livre de Jean d'Ormesson donne dix-huit mois de vie supplémentaire à ses lectrices » (Marc Lambron, 2003), « Je ne tiens pas que l'expérience de l'accident de cheval soit une réconciliation avec la mort » (Michel Onfray, 2006), « [Ils] tiennent que tout dans son livre conspire à montrer comment la Providence divine gouverne les affaires humaines » (Pierre Assouline, 2011), « Je tiens plutôt que c'était pour lui une sorte de revanche » (Ernest-Antoine Seillière, 2012), « Les pessimistes tiennent que tout cela n'est qu'un dangereux moyen de se défiler » (Challenges, 2015).

    (10) Toujours d'après le Larousse en ligne, « s'attendre que (+ indicatif) est une construction de la langue classique qui ne s'emploie plus ». Pourtant, là encore, les contre-exemples récents ne sont pas si rares, sur la Toile : « Même si je m'attendais qu'il allait mourir » (2007), « Personne ne s'attendait que le quatre australien prendrait un départ si fulgurant » (2008), « On s'attendait que le double allait être crucial » (2010), « On s'attendait que la motorisation allait une fois de plus être essentielle » (2019), « Je m'attendais qu'elle serait la première à se lancer à l'eau » (2021), « Comme ils ne s'attendaient pas que le Seigneur Jésus-Christ passerait par là » (2024) − précision faite que les conditionnels sont ici employés avec une valeur d'indicatif futur du passé. Quant au tour s'attendre que (+ subjonctif), il n'est pas réservé à la seule langue surveillée : « Je m'attendais que tu en choisisses 4 », « Je m'attendais que tu rugisses », « Je m'attendais que tu aies des arguments », « Je m'attendais que tu sois en orange », « Je m'attendais que tu dise [sic] que [...] », « Je ne m'attendais pas que tu sortes de là », « Je ne m'attendais pas que tu comprennes », « Je m'attendais pas que ça soit si bon » (commentaires de blog, de forum, dialogues de roman, etc.).

    Remarque 1 : Le Dictionnaire du moyen français mentionne une locution à ce que (+ subjonctif) avec le sens de « pour que, afin que » : « Le saint pére m'envoie cy A ce que je puisse a mercy Estre pris de Dieu et de vous » (Miracle de saint Guillaume du désert, vers 1347), encore attestée au XVIIe siècle : « [Il] écrivit à tous les archevêques [...] à ce qu'ils eussent à s'y conformer » (Racine). S'agit-il de la même tournure que celle qui nous occupe ? Les Le Bidois le croient : « [La locution à ce que] ne s'emploie plus, de nos jours, dans ce sens, qu'après les verbes marquant l'aspiration vers un but (l'effort : s'appliquer, travailler, se décider, s'opposer ; le consentement : condescendre, consentir ; l'intérêt : tenir, veiller, voir ; ou simplement l'éventualité : s'attendre). Encore convient-il d'user de cette ligature avec circonspection, car le plus souvent que, tout seul, suffit à exprimer la même valeur » (Syntaxe du français moderne).

    Remarque 2 : Voir également cet article.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    À vous de voir. (Vous vous attendiez à une autre réponse ?)

     


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  • « Premier ministre : le Nouveau Front populaire propose la haut-fonctionnaire Lucie Castets. »
    (paru sur le site du Figaro TV, le 23 juillet 2024.)

     

     

      

    FlècheCe que j'en pense


    L'annonce surprise, mardi après-midi, du nom de la candidate du Nouveau Front populaire pour Matignon a pris de court toutes les rédactions de France et de Navarre, et pas seulement parce que Lucie Castets est inconnue du grand public. Quelle forme féminine donner à l'appellation traditionnellement employée pour désigner un agent de la haute fonction publique ? s'est-on demandé dans l'urgence − l'intéressée ayant fréquenté les hautes sphères de l'ENA. Il n'est que de consulter la Toile pour observer les hésitations orthographiques des journalistes, parfois au sein d'un même article : « La haute fonctionnaire » (L'Express, Le Figaro, Le Point, Libération), « La haute-fonctionnaire » (Libération), « La Haute-fonctionnaire » (AFP), « Cette haut fonctionnaire » (Le Monde), « Cette haut-fonctionnaire » (Franceinfo), « Castets est un haut fonctionnaire municipal de Paris » (site d'actualités Bota Sot). En matière de féminisation, on le voit, il n'est pas rare qu'on tombe... de haut !

    Prenons les difficultés les unes après les autres. Le trait d'union, tout d'abord. Grande est, il est vrai, la tentation d'en mettre un, au féminin comme au masculin, par analogie avec haut-commissaire. Il convient pourtant de ne pas y céder, nous met en garde Thomas. C'est que haut-commissaire est un titre qui correspond à une fonction bien définie, et non un terme général comme haut fonctionnaire, moyen fonctionnaire, petit fonctionnaire, dont le premier élément renseigne sur le degré d'élévation dans la hiérarchie. De là la distinction graphique :

    « Haut-commissaire, haut fonctionnaire auquel le gouvernement confie une mission particulièrement importante » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    « Haut-commissaire. Titre donné à certains hauts fonctionnaires ou à un membre du gouvernement ayant reçu une mission particulière. Avec un trait d'union, à la différence de haut fonctionnaire » (Larousse en ligne).

    « Un haut fonctionnaire (mais un haut-commissaire) » (Girodet).

    « Haut-commissaire. Ne pas omettre le trait d'union » (Jean-Paul Colin).

    Las ! plusieurs voix discordantes viennent troubler ce concert : celle du TLFi, qui laisse échapper (par inadvertance ?) un haut-fonctionnaire dans son article « commissaire » (mais qui s'en tient à la graphie sans trait d'union partout ailleurs) ; celle de Robert Le Bidois, qui écrit « le haut commissaire au tourisme » (Les Mots trompeurs, 1970) ; celle du Dictionnaire historique de la langue française, qui hésite entre haut commissaire et haut-commissaire ; celle de Michèle Lenoble-Pinson, qui écrit haut-commissaire, mais haut (-) fonctionnaire avec trait d'union facultatif (Le Français correct, édition 2009) ; et même − haut-resco, pardon horresco referens ! − celle de l'Académie, qui, sur son site Internet, refuse invariablement à haut-commissaire le trait d'union qu'elle exige pourtant dans son Dictionnaire (1). Il s'en faut heureusement de beaucoup (on est loin du seuil de 279 opposants...) que lesdites voix réussissent à renverser l'usage majoritaire.

    La ou les majuscules, ensuite. « Il n'y aucune raison [d'en] mettre » ni à haut, ni à fonctionnaire, ni à commissaire, nous dit en substance Jean-Pierre Colignon sur son blog(ue). « La minuscule est de rigueur aux titres de postes », confirment les Clefs du français pratique... mais pas la Commission générale de terminologie et de néologie, qui gratifie Haut-commissaire d'une majuscule sur le modèle de Premier ministre (Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, 1998).

    Venons-en enfin à la question qui brûle toutes les lèvres : haut, dans ces emplois, est-il adjectif ou adverbe ? La réponse des spécialistes de la langue est, cette fois, unanime :

    « Emploi adjectival. Qui occupe une position supérieure, un rang éminent et qui est investi de responsabilités, d'honneurs. Synonymes grand, puissant, important, éminent. Haut personnage, haut fonctionnaire, haut magistrat ; haute administration, haute banque, haute noblesse, haute bourgeoisie ; hautes sphères » (TLFi, à l'article « haut »).

    « Haut entre comme élément initial dans la construction de mots composés avec une valeur adjectivale (haut-commissaire) » (Id.).

    « Adjectif. Se dit d'une personne, d'un groupe qui occupe une place éminente dans une hiérarchie. Un haut personnage. Un haut magistrat. Une réunion de hauts fonctionnaires. Un haut responsable. Haut-commissaire » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, à l'article « haut »).

    Partant, la logique voudrait que ledit adjectif s'accordât avec le nom qualifié. Re-las ! si la cause de l'accord en nombre paraît entendue : « Hauts fonctionnaires » (Petit Robert), « Des hauts-commissaires (avec un s aux deux éléments) » (Larousse en ligne), « Des hauts-commissaires, des hauts fonctionnaires » (Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias), celle de l'accord en genre l'est nettement moins. Jugez-en plutôt :

    « Une haute fonctionnaire » (Bernard Cerquiglini, Femme, j'écris ton nom, 1998 ; Christine Da Silva-Genest, Le Grevisse de l'orthophoniste, 2018).

    « Sont généralement épicènes les noms suivants : haut-commissaire, haut (-) fonctionnaire » (Michèle Lenoble-Pinson, 2009).

    « Le, la haut-commissaire au Plan » (Robert en ligne).

    « Au féminin, on peut employer : la haute-commissaire ou la haut-commissaire » (Clefs du français pratique).

    « Le féminin de haut-commissaire est haute-commissaire [...]. Rien n'empêche le féminin puisqu'il s'agit bien d'un adjectif » (Office québécois de la langue française).

    « Une haute-commissaire, des hautes-commissaires » (dictionnaire en ligne Usito). (2)

    Autrement dit, les uns appliquent à la lettre les recommandations syntaxiques du Conseil supérieur de la langue française de Belgique (1993) : recours systématique aux déterminants féminins et accord automatique des adjectifs et des participes avec le substantif ; les autres font le choix de traiter ces appellations comme des noms épicènes (comprenez : qui peuvent être précédés d'un déterminant masculin ou féminin sans changer de forme) et écrivent une haut fonctionnaire, une haut-commissaire comme un haut fonctionnaire, un haut-commissaire. Quant aux gardiens de la neutralité liée aux fonctions, aux titres et aux grades − dont les rangs sont de plus en plus clairsemés, en ces temps de féminisation galopante −, ils s'en tiennent au masculin, en tant que genre non marqué : un haut-commissaire, un haut fonctionnaire (quel que soit le sexe de la personne ; cf. l'exemple de Bota Sot) ou une femme haut-commissaire, une femme haut fonctionnaire.

    Les bonnes âmes soucieuses d'assurer une meilleure « visibilité linguistique » à la gent féminine ne manqueront pas de pousser les hauts cris contre toute velléité de laisser haut invariable dans ces emplois. Elles devraient être d'autant plus facilement entendues que le terrain, n'en déplaise à leurs adversaires, a été préparé de longue date : « Par l'intermédiaire d'une haute fonctionnaire » (journal Les Coulisses, 1841), « C'était là de ces choses inouïes dans la pensée de la haute fonctionnaire » (Charlotte de Sor, 1844), « Voilà qui me donne une excellente opinion de ces hautes fonctionnaires » (Charles Buet, 1878), « Citronet est abordé par une haute fonctionnaire, la belle Trombolinette » (Camille Le Senne, 1889), « La haute fonctionnaire mit sa subordonnée au courant des faits » (Arthur Bernède, 1912) ; « Vous désirez devenir mairesse, conseillère générale, ministresse, haute-commissaire » (Michel Provins, 1919), « Le plus haut salaire payé à une femme [...] est attribué à la Haute Commissaire du service civil des femmes » (Georges Lechartier, 1927) (3).

    Mais brisons là : c'est bientôt l'heure des J... hauts !

    (1) Signalons également cette remarque de Léger Noël, qui prouve assez que l'hésitation ne date pas d'hier : « Quand on voit le Journal des Débats écrire avec traits d'union [...] haut-fonctionnaire, haut-commissaire, haute-justice, etc. ; quand on voit l'abus du trait d'union multiplier ses racines, au point qu'il menace de tout envahir, il est temps à coup sûr de s'armer du fer et du feu » (Nouvelle Grammaire française, 1861).

    (2) Et aussi : « La haute-fonctionnaire, les hautes-fonctionnaires » (Guide de féminisation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022) ; « Une Haute-commissaire » (Rapport de la Commission générale de terminologie et de néologie, 1998), « Haut-commissaire, haute-commissaire » (Louise-Laurence Larivière, Guide de féminisation des noms communs de personnes, 2005), « Madame la haute-commissaire » (La Féminisation des titres de fonction, dans Le Guide du rédacteur).

    (3) De même : « La dernière classe des corps de métiers eut plus de puissance que la haute-bourgeoise » (Toussaint Guiraudet, 1799), « [Dès] que les hautes bourgeoises eurent été placées à une distance respectueuse [des dames d'honneur] » (Alexandre Duval, 1805), « Les hautes bourgeoises, vivant noblement, étoient ordinairement appelées Mademoiselle » (Paulin Paris, 1860), « Les hautes bourgeoises de Munich » (Jean Giraudoux, 1922).

    Remarque 1 : Le nom commissaire, longtemps donné comme masculin, est désormais présenté comme épicène par la plupart des dictionnaires usuels : un commissaire, une commissaire, comme un fonctionnaire, une fonctionnaire. Le Bescherelle pratique l'accompagne de la marque d'usage suivante : « L'emploi au féminin se rencontre à l'oral. »

    Remarque 2 : Dans son Rapport sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions (2019), l'Académie observe que la résistance à ladite féminisation « augmente indéniablement au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie professionnelle ». Et elle ajoute : « L'imposition de normes rigides en matière de féminisation méconnaît le souhait exprimé par certaines femmes de conserver les appellations masculines pour désigner la profession qu'elles exercent. »

    Remarque 3 : On écrira, avec haut adverbe, des haut gradés (= des militaires hautement gradés), des personnes haut placées.

    Remarque 4 : Cet article, initialement publié en 2015, a été refondu pour l'occasion.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La haute fonctionnaire Lucie Castets (forme féminine la plus courante).

     


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  • « Nouveau Front populaire, négociations tout azimut. »
    (vu sur la chaîne Franceinfo, le 8 juillet 2024.)

     

     

    (capture d'écran)

      

    FlècheCe que j'en pense


    On le sait, certaines expressions formées avec tout peuvent s'écrire au singulier ou au pluriel, selon que l'on donne à tout le sens distributif de « n'importe quel » ou le sens collectif de « l'ensemble des » : de tout côté ou de tous côtés, à tout moment ou à tous moments, en tout point ou en tous points, etc. Il est pourtant des cas, à l'instar de celui qui nous occupe aujourd'hui, où le sens ne nous laisse guère de latitude dans le choix du nombre.

    Emprunté de l'espagnol acimut, d'origine arabe, le substantif masculin azimut (encore parfois orthographié azimuth [1]) est un terme d'astronomie qui désigne le « cercle vertical passant par le point que l'on considère » (Littré) et, par extension, l'« angle formé par le plan vertical d'un astre et le plan méridien du point d'observation » (Petit Robert) :

    « Azimus sont 360 cercles qui issent hors dou pol de l'orizont cercle par mi orizont » (Li Compilacions de la science des estoilles, avant 1324), « Cercles imperfaictz, appellez azimuthz par les Arabes, qui passent tous per nostre zenith » (Dominique Jacquinot, L'Usaige de l'astrolabe, 1545), « L'azimut du soleil se peut aisément connoître par l'ombre d'un style élevé à plomb sur la ligne meridienne marquée sur un plan horizontal » (Jacques Ozanam, 1693).

    De là le syntagme prépositionnel pluriel dans tous les azimuts qui, en débordant son domaine technique d'origine, est venu concurrencer − bien inutilement, siffleront les mauvaises langues (2) − les traditionnels « dans toutes les directions, dans tous les sens » (selon le Robert en ligne), « de tous les côtés » (selon Claude Duneton et Jean Pruvost) :

    « Faire mouvoir [tel instrument astronomique] successivement dans tous les azimuths, sans que son axe ou sa lunette souffre aucune inclinaison » (Pierre-Charles Le Monnier, Histoire céleste, 1741), « Imprimer au trépan un mouvement de rotation qui lui permette de battre successivement dans tous les azimuths » (Édouard Grateau, ingénieur, 1858), « L'aspiration de l'air se produit dans tous les azimuts, et le vent éprouvé par un observateur dépend de sa position à la surface du globe par rapport au point vers lequel l'air afflue de tous côtés » (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1867), « Tir [d'artillerie] également précis dans tous les azimuts » (Hervé Faye, Sur l'affût de l'amiral Labrousse, 1870), « Les vents [...] ont viré dans tous les azimuts » (journal Le Temps, 1875), « Et il orientait le bouquin dans tous les azimuts pour arriver enfin au succès de son expérience » (Armand Silvestre, journal Gil Blas, 1888), « Un ventilateur [...] ayant la propriété de propulser l'air dans tous les azimuts » (journal Le Progrès moderne, 1903), « [Des] mitrailleuses pouvant "cracher le feu dans tous les azimuts" » (journal L'Époque, 1938), « Bordels [...] dans tous les sens, tous les azimuts, sous toutes les longitudes » (Maurice Raphaël, 1948), « Tout avait foutu le camp dans tous les azimuts » (Jean Ferniot, 1973).

    Mais c'est sous la forme raccourcie tous azimuts, d'abord attestée dans le vocabulaire militaire avec le sens propre de « (qui peut viser) dans toutes les directions [en parlant d'une pièce d'artillerie] », que le tour a fait florès à la toute fin des années 1960, à la faveur de ses sonorités expressives et, plus encore, des polémiques autour de la politique militaire du général de Gaulle :

    (emplois adjectivaux) « Les canons tous azimuts ont le champ de tir total de 360° » (Frédéric-Georges Herr, L'Artillerie, 1923), « Du téléférique forestier à la tronçonneuse tous azimuths » (journal La Victoire, 1946), « Une brigade d'artillerie, pourvue de pièces tous-azimuts » (De Gaulle, 1954), « L'œil vif et tous azimuts » (Pierre Nord, 1965), « Le faux technicien à l'incompétence tous azimuts » (colonel Roger Niel, 1967), « Défense dirigée ou défense tous azimuts » (général Charles Ailleret [3], 1967), « Notre stratégie [de défense] doit être tous azimuts » (De Gaulle, 1968), « Des pistes pour skieurs tous azimuts » (Monique Gilbert, 1969), « Cette technique de régression tous azimuts » (Félix Guattari, 1973), « On ne peut négliger l'importance d'une action "tous azimuts" » (Jacques Delors, 1975), « Le droit à la critique tous azimuts » (Luc Ferry, 2014), « Cet ensemble imposant d'interventions tous azimuts » (Pierre Nora, 2016), « La répressions tous azimuts prend un caractère impitoyable » (Xavier Darcos, 2017), « Une intelligence tous azimuts » (Jean-Marie Rouart, 2019) ;

    (emplois adverbiaux [4]) « [Des pièces d'artillerie] sur voie ferrée, tirant tous azimuts » (La Batterie de Côte, 1932), « D'habitude, les truands [...] ne mitraillent pas tous azimuts » (Michèle Manceaux, 1969), « Les coups de griffe lancés tous azimuts » (Jean Collet, 1973), « [Le bandit] a cru que la vie c'était du cinéma et qu'on pouvait s'emplir les poches en deux minutes, s'en sortir en tirant tous azimuts » (René Barjavel, 1976), « Le nouveau bureau d'études de l'usine attaque tous azimuts » (Jean Rambaud, 1981), « L'enquête officielle se poursuit tous azimuts » (Laurence Lacour, 1993), « Procréer tous azimuts » (Alphonse Boudard, 1995), « Le véhicule lançait des appels de phares tous azimuts » (Marc Lambron, 2006), « Des capitaux lâchés tous azimuts » (Patrick Grainville, 2013), « [Mauriac] lance des flèches tous azimuts » (Jean-Marie Rouart, 2019).

    On le voit, la formule, en passant dans le langage courant, a été accommodée à toutes les sauces (5), au point de développer des acceptions figurées aussi diverses que : « par tous les moyens et avec les objectifs les plus variés » (Grand Robert), « pouvant convenir à tous les cas, s'appliquer dans toutes les éventualités » (Grevisse), « dans des domaines très divers ; de toute sorte, en tous genres ; de toutes catégories, de tous niveaux (en parlant de personnes) » (TLFi, à l'article « tout »), « dans tous les domaines, dans toutes les catégories ; de toutes espèces, de toute sorte ; en tous genres, en tous sens ; sur tous les plans ; dont les activités, les capacités, les compétences, ou encore les origines, etc., sont extrêmement variées (à propos de personnes ou de groupes) » (Dictionnaire des mots contemporains), « satisfaisant à tous les besoins, à tous les goûts » (Pierre Pamart, Vie et langage), « à usage multiple » (Dictionnaire du français argotique et populaire), « contre tout, sans exception » (Dictionnaire d'apprentissage du français langue étrangère, Université de Louvain), « qui se développe de façon désordonnée, rapide, incohérente » (forum de langue), etc.
    Surtout, on observera que le pluriel est encore de rigueur, comme le confirme plus d'un spécialiste de la langue :

    « L'expression tous azimuts est, bien naturellement, au pluriel, puisqu'elle signifie "dans toutes les directions" » (Jean-Pierre Colignon, Plus une faute, 2023), « Locution figée au pluriel » (Id., 30 dictées et jeux, 2018).

    « La locution tous azimuts prend la marque du pluriel » (Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, 1997).

    « Tous azimuts. Toujours au pluriel : une défense tous azimuts » (Larousse en ligne).

    « Tous azimuts est toujours au pluriel. On ne doit donc pas faire entendre de [t] en liaison. Une campagne électorale tous azimuts » (Le Bescherelle pratique).

    « Dans tous azimuts, le mot azimut est toujours au pluriel et, par conséquent, le déterminant tous qui précède, également. On prononce donc en faisant la liaison en [z] entre tous et azimuts » (Office québécois de la langue française).

    « On se gardera d'écrire, et aussi de dire − or on l'entend −, "tout azimut" à la place de la bonne forme tous azimuts » (Bernard Laygues, 500 fautes d'orthographe à ne plus commettre, 2004).

    « La forme de masculin pluriel tous correspond à [tuz] dans tous azimuts » (Michel Arrivé et alii, La Grammaire d'aujourd'hui, 1986).

    « Tous azimuts tu-za-zi-myt » (André Rigault, La Grammaire du français parlé, 1971 ; Alain Frontier, La Grammaire du français, 1997 ; Léon Warnant, Orthographe et prononciation en français, 2006).

    Seulement voilà, le linguiste québécois Philippe Barbaud vient rompre cette belle unanimité, en se demandant, sans rire, s'il convient d'écrire une réforme tous azimuts ou... tout azimuts :

    « L'usage orthographique − de tradition récente − [préconise tous azimuts, mais] contredit l'usage oral puisque personne ne dit "tou-z-azimuts". On dit immanquablement "tou-t-azimuts". C'est pourquoi j'incline à croire que "tout" a un sens adverbial qui le rend invariable, ce qui l'assimile au "tout" qu'on retrouve dans des expressions adjectivales du genre : "Elles sont tout sourires", "Ils sont tout miel", "C'était un petit être tout nerfs" (Courteline) » (Le Français sans façon, 1987).

    Cette position a de quoi surprendre. D'abord, parce qu'elle contrevient à la thèse communément admise selon laquelle tous azimuts compte parmi les « syntagmes figés dont la préposition s'est effacée » (dixit Goosse dans Le Bon Usage(6) : (dans) tous (les) azimuts → tous azimuts (après ellipse de la préposition et de l'article). Ensuite, parce que le parallèle établi entre tous azimuts et les autres expressions citées peine à convaincre : si l'on conçoit aisément que être sourire(s) est mis pour « être souriant », être miel pour « être mielleux », être nerfs pour « être nerveux » (7), on se demande quel pourrait bien être l'équivalent de être azimuts ! Même le Belge Marc Wilmet, pourtant enclin à partager l'analyse adverbiale de son collègue québécois, ne remet pas en cause la graphie avec tous : « Les pluriels nus [comprenez sans l'article les] tous et toutes dans en toutes positions, à toutes jambes, tous azimuts, tous feux éteints, tous frais payés... [peuvent être vus comme] des expansions adverbiales de l'article zéro » (Grammaire critique du français, 1997). Enfin, parce que les quelque vingt-sept mille occurrences (recensées par Google) de la graphie tous azimut, injustifiable au point de vue de la grammaire mais pas à celui de l'oreille, viennent relativiser l'affirmation d'une liaison « immanquablement » faite en [t]. Je ne sache pas, au demeurant, que l'usage oral ait davantage scrupule à faire celle en [z] dans à tous égards ou de tous horizons (8).

    Quant à la forme singulière tout azimut (popularisée par les romans en tous genres de Frédéric Dard dans les années 1970 ?), force est de constater, à la décharge des contrevenants, qu'elle est attestée jusque sous de bonnes plumes : « L'Inachevé, c'est Puig tout azimut, Puig dé-multiplié » (Jean-Paul Sartre, préface du roman L'Inachevé d'André Puig, 1970), « César ordonne une défense tout azimuth » (Michel Rambaud, L'Espace dans le récit césarien, 1974), « D'énormes beuveries suivies de coucheries tout azimut » (Michel Tournier, Les Météores, 1975), « Une stratégie tout azimut de "refus du mensonge" » (André Glucksmann, Les Maîtres penseurs, 1977), « Des traîtres à la folie tout azimuth » (Jacques Renaud, Clandestine(s), 1980), « Tamagnot photographiait tout azimuth » (Françoise d'Eaubonne, Une Femme nommée Castor, 1986), « La caméra pointée tout azimut » (Charles Le Quintrec, Bretagne est univers, 1988).

    Dans le doute, vous l'aurez compris, mieux vaut s'en tenir prudemment à la graphie plurielle tous azimuts et à sa prononciation zézayante... histoire d'éviter de passer pour un doux azimuté.
     

    (1) Les spécialistes de tout poil répètent à l'envi que azimut s'écrit sans h après le t final sonore, contrairement à bismuth, luth, zénith... La graphie azimuth, qui a eu cours en moyen français (chez Pèlerin de Prusse, Jean Fusoris, etc.) et qui s'est maintenue en anglais, n'a pourtant jamais disparu des radars : attestée dans le Dictionnaire de Furetière (à l'article « vertical », 1690), dans le Dictionnaire des arts et des sciences (1694), dans l'Encyclopédie de Diderot (1751), dans le Dictionnaire de physique de Monge et Cassini (1793), dans le Nouveau Vocabulaire françois de François De Wailly (1813), dans le Supplément au Dictionnaire de l'Académie (à l'article « angle », 1836), dans le Dictionnaire national de Bescherelle (à l'article « cadran », 1845), dans le Dictionnaire étymologique des mots français d'origine orientale de Marcel Devic (1876), dans le Deuxième Supplément au Grand Larousse du XIXe siècle (à l'article « dévioscope », 1890) et dans le Dictionnaire encyclopédique universel de Camille Flammarion (1894), elle est encore signalée comme variante dans l'édition de 1965 du Dictionnaire encyclopédique Quillet, dans le Grand Robert (avec une citation d'Alain), dans Le Livre des métaphores de Marc Fumaroli (2012) et dans La Langue française pour les nuls d'Alain Bentolila (2012). Voilà qui devrait en inciter plus d'un à arrondir les angles orthographiques...

    (2) « Dans tous les azimuts, tous azimuts sont des locutions familières qui ne disent rien de plus que "dans tous les sens, de tous les côtés" » (Jean-Paul Colin, 1994).

    (3) L'homme est présenté par Goosse comme le vulgarisateur de notre locution.

    (4) Contre toute attente, un certain nombre de spécialistes rechignent à mentionner les deux types d'emplois. Comparez :

    « L'expression tous azimuts [...] s'emploie avec une valeur d'adjectif » (Hanse), « Dans l'usage général, tous azimuts s'emploie familièrement comme épithète » (Grevisse, Le Français correct), « Le tour adjectival tous azimuts » (Robert Le Bidois, Le Monde ; Pierre Gilbert, Remarques sur la diffusion des mots scientifiques et techniques dans le lexique commun), « L'expression [dans tous les azimuts] s'est lexicalisée sous la forme tous azimuts, qui joue une fonction d'adjectif » (Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire d'expressions et locutions), « Tous azimuts, expression qui tient lieu d'adjectif » (Philippe Barbaud) ;

    « Les locutions adverbiales : à toutes jambes, tous azimuts, tous feux éteints » (Marc Wilmet, La Détermination nominale), « Les adverbes figés [avec déterminant au pluriel] dans les airs, tous azimuts, sous toutes les coutures... » (Maurice Gross, Sur les déterminants dans les expressions figées) ;

    « Tous azimuts. Dans des tournures à fonction adjectivale. Dans toutes les directions. Emploi adverbial. De tous côtés » (TLFi), « Répression tous azimuts. Vendre tous azimuts » (Grand Robert), « Locution adjectivale et adverbiale » (Pierre Gilbert, Dictionnaire des mots contemporains), « L'expression dans tous les azimuts [a été] resserr[ée] jusqu'au mode télégraphique [et] lexicalis[ée] en tous azimuts pour en faire aussi bien un adjectif qu'un adverbe » (Pierre Germa, Dictionnaire des expressions toutes faites).

    (5) Cette diffusion... tous azimuts n'est décidément pas du goût de tout le monde : « Ces emplois métaphoriques enrichissent sans doute la langue, mais il ne faut pas en abuser. Il y a quelque ridicule, par exemple, à parler de mode tous azimuts comme l'a fait un chroniqueur mondain [...]. En cette matière comme en beaucoup d'autres, la fantaisie et l'invention ont des limites qu'on ne doit pas franchir » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1970), « Ce succès est d'autant plus surprenant qu'azimut est un substantif dont personne, en fait, ne connaît la signification exacte » (Pierre Germa, Dictionnaire des expressions toutes faites, 1986).

    (6) Et aussi : « Tous azimuts, ellipse du tour dans tous les azimuts » (Pierre Gilbert, Dictionnaire des mots contemporains, 1980), « La défense tous azimuts pour "la défense vers / pour tous les azimuts" » (Bernard Pottier, Le Langage, 1973).

    (7) Selon le modèle rappelé par Noël et Chapsal : « Dans le chien est tout ardeur (Buffon), le substantif, équivalant alors à un adjectif, est modifié par l'adverbe tout. C'est comme s'il y avait : le chien est tout ardent » (Nouvelle Grammaire française, édition de 1830).

    (8) Rappelons à toutes fins utiles que tous, adjectif pluriel, « se prononce [tu] (comme dans mou) devant une consonne, [tuz] (comme dans douze) devant une voyelle ou un h muet : tous les matins [tulɛmatɛ̃] ; à tous égards [atuzegaʀ] ; des hommes venus de tous horizons [dətuzɔʀizɔ̃] » (Larousse en ligne).

    Remarque 1 : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le verbe dérivé azimuter « vient de l'argot des artilleurs (1892) "regarder, observer", d'où être azimuté "être repéré [défavorablement, le plus souvent]" et par métonymie "être bombardé", puis par une autre métaphore (1937) "avoir perdu la bonne direction, “le Nord”, être fou" ».

    Remarque 2 : Voir également le billet Expressions avec tout.

     

    « Le système de coordonnées horizontales est un système de coordonnées célestes qui utilise l'horizon local de l'observateur comme plan fondamental pour définir deux angles : l'altitude et l'azimut » (source : site jeretiens.net).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Négociations tous azimuts.

     


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