« Elle trouve un faux prétexte pour l’éloigner de Valentina. »
(Benoît Mandin, sur toutelatele.com, le 9 septembre 2017)
Ce que j'en pense
Quel que soit le spécialiste consulté, la cause paraît entendue : « Faux prétexte est un pléonasme » (Dupré), « C'est un pléonasme de dire qu'[un prétexte] est faux » (Hanse), « On évitera le pléonasme un faux prétexte » (Girodet), « On ne peut dire un faux prétexte » (Thomas), « Faux prétexte est évidemment un pléonasme, à ne pas dire ni écrire ! » (Jean-Pierre Colignon), « On évitera le pléonasme chercher un faux prétexte » (Jean-Paul Colin), « Faux prétexte [compte parmi les] pléonasmes négligents des écrivains » (René Georgin), « L'expression faux prétexte est donc un pléonasme » (Alain Bentolila) (1). C'est que, nous explique-t-on en chœur, un prétexte est « par définition » une cause simulée, une fausse raison alléguée pour dissimuler le véritable motif d'une action ; partant, le mot, emprunté du latin praetextus (« action de mettre en avant ; prétexte »), lui-même dérivé de praetexere (« border, garnir de ; mettre en évidence [comme la bordure du vêtement] ; alléguer comme excuse, prétexter »), ne saurait être attelé à l'adjectif faux sans verser dans la redondance.
Voire. Car enfin, cela fait belle lurette que les auteurs de textes et de prétextes font la sourde oreille. Jugez-en plutôt : « Sous un pretexte faulx de liberté contrainte » (Du Bellay, 1558), « Sous le faux pretexte de la religion » (Lettres missives d'Henri IV, 18 mai 1593), « C'est un prétexte faux, dont l'amour est la cause » (Pierre Corneille, 1642), « Sous un faux prétexte d'hospitalité » (Thomas Corneille, frère du précédent, 1694), « Je les trompais en les quittant sous un faux prétexte (abbé Prévost, 1731), « Les plus grands crimes qui affligent la société humaine sont tous commis sous un faux prétexte de justice » (Voltaire, 1766), « Je ne vous ferai donc pas de compliments sur une œuvre que je n'ai pas lue, et n'inventerai pas de faux prétextes pour me dispenser de la lire » (George Sand, 1840), « Sous un faux prétexte de pudeur » (Alexandre Dumas fils, 1852), « Comme il est timide, il a donné un faux prétexte et inventé cette malheureuse dépêche » (Paul Bourget, 1889), « Il se dérobe, hypocrite, derrière les faux prétextes » (Claude Farrère, 1907), « Une dizaine de réactionnaires [...] firent revenir sous un faux prétexte leurs maîtres émigrés » (Jean Giraudoux, 1909), « Détruire en eux-mêmes tous les faux prétextes de se soustraire à l'amour » (Maurice Barrès, 1913), « Sous le faux prétexte de mesures à prendre pour de nouveaux travaux » (Romain Rolland, 1919), « Une "défaite", mot qui dans son monde signifie un faux prétexte pour ne pas accepter une invitation » (Marcel Proust, 1922), « En colorant leur défection de faux prétextes » (Francis Ambrière, 1946), « Déjà il cherchait un faux prétexte à sa visite » (Françoise Sagan, 1957), « Édouard Manneret vient d'être assassiné par les communistes, sous le prétexte − évidemment faux − qu'il était un agent double au service de Formose » (Alain Robbe-Grillet, 1965), « Une invasion, décidée sous de faux prétextes » (Amin Maalouf, 2009). Pourquoi cet entêtement, vous demandez-vous ? Parce que tout dépend de ce que l'on entend par prétexte !
L'exemple du TLFi est, à cet égard, édifiant. On y lit à la rubrique historique de l'entrée « prétexte » : « 1530 "motif spécieux mis en avant pour cacher le motif réel d'une action" (Palsgrave, p.234). » Foutaises ! Si tout porte à croire que la première attestation de notre substantif se trouve bien dans l’Éclaircissement de la langue française de l'Anglais John Palsgrave, la définition qui y est donnée est tout autre : « [anglais] Intent − [français] entent, entention, pretexte. » Autrement dit, prétexte, dans son sens premier, a pour synonymes d'anciennes formes de intention... intention dont le Dictionnaire du moyen français nous apprend qu'elle pouvait être autrefois qualifiée de fausse (ou de mauvaise) dans le cas d'un dessein malhonnête : « Et doncques se l'entention est malvese, tele puissance est appellée astuce ou malicieuseté » (Oresme, 1370), « [Il] descouvrit la faulce entencion que avoient les deux Augustins qui fendirent la teste au roy Charles VI » (Simon de Phares, 1498). En 1690, la définition donnée par Furetière se veut plus précise : « Motif, ou cause vraye ou apparente, ou dont on couvre un dessein qui a souvent quelque chose de vicieux, ou de blasmable. [...] C'est un pretexte fort specieux, un honneste pretexte. » N'en déplaise à tous les experts cités au début de ce billet, il n'est que trop clair que prétexte, à l'origine, n'était pas une fausse raison « par définition »... mais par option ! À l'idée initiale d'explication, de justification contenue dans motif, cause est venue s'ajouter celle, éventuelle, de dissimulation. Ces deux notions se trouvent, pour le coup, fidèlement retranscrites dans la définition donnée par le TLFi : « Raison alléguée [1] pour justifier un dessein, un acte, un comportement (synon. allégation, argument, motif), [2] pour dissimuler la vraie cause d'une action ou pour refuser quelque chose (synon. couverture, excuse, échappatoire, faux-fuyant). » Comparez : « Anna commençait à recevoir la visite de personnes qu'elle n'avait point vues depuis plusieurs mois ; elles venaient, sous des prétextes [raisons, motifs sans intention de dissimulation] variés, les unes craignant qu'elle ne fût malade, les autres prenant un intérêt nouveau à ses affaires, à son mari, à sa maison » (Romain Rolland) et « Ces tombeaux où la vanité des héritiers se cache sous le prétexte d'honorer les défunts » (Eugène Le Roy). Grande est alors la tentation, vous en conviendrez, de différencier les deux emplois en recourant, dans le second, et en dépit du risque de redondance, à des adjectifs tels que faux, mensonger, fallacieux, spécieux, trompeur, etc. pour mieux souligner l'idée de dissimulation, de tromperie, absente du premier.
L'Académie, pour sa part, n'a curieusement retenu que cette dernière notion dans les différentes éditions de son Dictionnaire (de 1694 à 1878)... sans pour autant trouver quelque motif de critique à l'expression faux prétexte, déjà bien installée dans l'usage : « Cause simulée et supposée (2) ; raison apparente dont on se sert pour cacher le véritable motif d'un dessein, d'une action. Prétexte spécieux, plausible. Faux prétexte. » Ce n'est qu'en 1932 (sous la pression des grammairiens de l'époque ?) que les académiciens se décidèrent à supprimer l'exemple contesté... pour finalement le remplacer dans la neuvième et dernière édition par une variante tout aussi suspecte : « Cause, raison qu'on met en avant pour cacher le véritable motif d'un dessein, d'une action. Un prétexte plausible, facile, frivole. Des prétextes fallacieux. » Que doit-on comprendre ? Que prétexte fallacieux serait désormais de meilleure langue que faux prétexte ? Thomas en est convaincu : « On ne peut dire un faux prétexte, mais on dira très bien : Un prétexte spécieux, fallacieux » ; pour Dupré et Hanse, en revanche, seul prétexte spécieux est acceptable. Là encore, tout est question de définition. Quand Furetière écrivait autrefois : « C'est un pretexte fort specieux », il prenait spécieux au sens le plus ancien de « qui a belle apparence, surtout en matière de raisonnement » ; rien à redire dans ce cas. Mais quand le TLFi, pour illustrer le sens moderne et particulier de spécieux « qui est destiné à tromper, à induire en erreur ; qui repose sur un mensonge », propose cette citation de Marat : « En imposer par des exposés falsifiés, des prétextes spécieux, des raisons captieuses », un mot d'explication ne serait pas de refus pour éviter de semer le trouble dans les esprits. Surtout, on voit mal en quoi le prétexte fallacieux du Dictionnaire de l'Académie ou du Grand Larousse (3) échapperait à la critique dès lors que l'adjectif y est présenté avec le sens de « qui cherche ou vise à tromper » et le substantif, avec le sens [2] évoqué plus haut. Et que penser encore de cette recommandation de Léon Karlson dans Parlez-vous correctement français ? (2009) : « "Sous un faux prétexte" : il faut dire sous un prétexte trompeur, fallacieux » ? Comprenne qui pourra (4).
De son côté, André Goosse, le continuateur de Grevisse, observe que faux prétexte ne serait pas pléonastique lorsque la circonstance invoquée est elle-même sans fondement réel, inventée de toutes pièces : « Inventer un prétexte (Balzac) ou des prétextes (Edmond et Jules de Goncourt) [...] ne semble critiqué par personne. » Tel est, au demeurant, l'argument avancé par l'auteur du Bon Usage pour justifier le choix d'Amin Maalouf dans la phrase citée plus haut : « En supprimant faux, on donnerait à entendre que les raisons alléguées par les États-Unis pour la guerre en Irak [...] étaient fondées, quoiqu'elles ne fussent pas la vraie. » Autrement dit, parmi les différents prétextes avancés par les Américains pour dissimuler leur volonté de mettre la main sur le pétrole irakien, il y en avait de « vrais » (par exemple, mettre fin au régime tyrannique de Saddam Hussein) et il y en avait de « faux » (par exemple, faire croire à la présence d'armes de destruction massive en Irak). Les esprits moqueurs qui assurent qu'« un faux prétexte est donc une vraie raison » en seront pour leurs frais.
Que conclure ? Les subtilités sémantiques que recèle prétexte, et dont seul le TLFi rend fidèlement compte, sont source de confusions. Le mot, dans son acception moderne et restreinte (celle de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie et de la plupart des ouvrages de référence actuels), a beau véhiculer l'idée de fausseté, l'enchaînement faux prétexte, quoique souvent trop automatique, pourrait bien être employé à bon escient quand l'argument avancé est clairement interprété comme irrecevable, quand il n'est pas ancré dans la réalité. Toutefois, le locuteur soucieux de ne prêter le flanc à la critique sous aucun prétexte gagnera, selon le contexte, à recourir au tour mauvais prétexte, irréprochable, ou à remplacer prétexte par argument, motif, raison, etc. chaque fois que lui prend l'envie de lui associer les adjectifs fallacieux, faux, mensonger, spécieux, trompeur...
(1) Seuls Albert Dauzat et Knud Togeby, à ma connaissance, font bande à part : « Ce dernier terme [legs], orthographié jadis lais, fut massacré ensuite par des grammairiens mal informés sous le faux prétexte que le mot était apparenté à léguer » (La Philosophie du langage, 1912), « On remarque qu'on emploie l'indicatif même lorsqu'il s'agit d'un prétexte faux » (Grammaire française, 1982). Il est toutefois intéressant de noter que, souvent, ceux qui crient au pléonasme ne sont pas les derniers à en commettre un. Ainsi de Pascal-Raphaël Ambrogi, qui condamne faux prétexte dans Particularités et finesses de la langue française (2007), mais ne rechigne pas à l'employer dans un article intitulé De la langue française (2008) : « Sous le faux prétexte de briser les contraintes, de simplifier, on perturbe, on appauvrit la communication entre les êtres » ; et d'Alain Bentolila, qui se laisse aller à écrire dans Urgence école (2007) : « Il est hors de question de renoncer à l'étude logiquement programmée de la grammaire sous le faux prétexte que l'observation des mécanismes de la langue n'aurait d'autre intérêt que de tenter de formaliser les structures des textes au fil de leur découverte. »
(2) La « cause vraye » de Furetière a définitivement disparu...
(3) « Classique et littéraire. Prétexte fallacieux invoqué pour justifier une action » (à l'entrée « couleur »).
(4) Force est de constater, là encore, que nombreux sont les écrivains à ne pas s'embarrasser de ces subtilités : « D'un specieux pretexte il tasche le voiler » (Antoine de Montchrestien), « Songez à trouver [...] quelque prétexte spécieux de pèlerinage nocturne » (Molière), « Leurs injustices étaient d'autant plus dangereuses, qu'ils savaient mieux les couvrir du prétexte spécieux de l'équité » (Bossuet), « Malgré le prétexte spécieux des exclusions nécessaires par rapport à la politique » (Fénelon), « Le congé qu'on lui a fait donner sous quelque spécieux prétexte » (La Bruyère), « Sous le spécieux prétexte de la gloire des morts » (Voltaire), « seul prétexte spécieux de cet usage » (Condorcet), « Les oreilles s'ouvraient au spécieux prétexte que les alliés ne se lassaient point de semer » (Saint-Simon), « Sous de spécieux prétextes de cafard » (Baudelaire) ; « Sous le prétexte fallacieux de faire des études » (Louis Énault), « Sous des prétextes fallacieux » (Ernest Daudet), « Je vous indique, qu'ayant voulu me rendre à Beyrouth et à Brazzaville au début de mai, le gouvernement britannique m'en a détourné sous des prétextes fallacieux » (De Gaulle), « Le français n'est pas un don gratuit du libre-échange et du laisser-aller. Il dut constamment se défendre contre la corruption, et surtout depuis que chacun, sous le prétexte fallacieux qu'il sait lire, s'arroge sur le patrimoine ancestral tous les droits, y compris celui de le dilapider » (René Étiemble), « Sous le fallacieux prétexte [...] de me coiffer pour la nuit » (Jean Dutourd), « Sous le fallacieux prétexte d'une démarche à faire à la préfecture de Versailles » (Jorge Semprún), « Il s'était retiré sous le prétexte fallacieux d'une colique » (Joseph Joffo), « On peut facilement être accusé d'antisémitisme sous des prétextes fallacieux » (Jacques Attali), « C'est ça l'histoire réelle, pas les prétextes fallacieux de Truman » (Maxime Chattam) ; « [Elle] avait cherché quelque prétexte menteur pour rejoindre sa mère » (Balzac), « Sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d'État » (Zola), « Annette rougit un peu qu'il ait démasqué son prétexte mensonger » (Romain Rolland), « Prétexte facile [...], mais prétexte mensonger » (Jean Rostand), « Sous le prétexte mensonger qu'il venait de recueillir sa vieille mère » (Marcel Aymé), « Prétexte mensonger » (Jean-Marie Rouart).
Remarque 1 : D'aucuns avancent que faux prétexte serait la survivance de la structure latine fictis causis : « Qui fictis causis innocentes opprimunt (ceux qui oppriment les innocents sous de faux prétextes) » (Phèdre, le fabuliste).
Remarque 2 : Dérivé du même verbe latin praetexere, prétexte est également un substantif féminin qui désignait dans l'Antiquité la toge blanche bordée d'une bande de pourpre, que portaient les jeunes patriciens romains (toge prétexte).
Ce qu'il conviendrait de dire
Elle trouve un prétexte (sens [1]) pour l’éloigner de Valentina.