« Mardi prochain, le collectif boulageois devrait rencontrer la sous-préfette de la Moselle. »
(Armêl Balogog, sur francebleu.fr, le 22 octobre 2016)
Ce que j'en pense
Un habitué de ce blog(ue) m'interpelle récemment en ces termes : « Préfet a donné préfète ; c'est en tout cas ce que je lis régulièrement. Pourquoi ne pas avoir retenu préfette ? »
Commençons par rappeler, avec le linguiste Kristoffer Nyrop, qu'en français « le redoublement du t n'est sujet à aucune règle fixe ». Que l'on songe à : chat-chatterie mais bigot-bigoterie, cotte mais cotillon, patte mais pataud, etc. Le Conseil supérieur de la langue française a eu beau s'efforcer, en 1990, de mettre un peu d'ordre dans certaines séries désaccordées (greloter désormais aligné sur grelot, par exemple), il n'a pas mis fin, tant s'en faut, à toutes les anomalies orthographiques qui émaillent notre langue. Ainsi des adjectifs en -et, lesquels redoublent le t au féminin (coquet-coquette, muet-muette...), à l'exception de complet (incomplet), concret, désuet, discret (indiscret), quiet (inquiet), replet et secret, qui prennent -ète à la place de -ette.
Du côté des noms en -et, la situation paraît moins confuse, si l'on en croit Grevisse, puisque seul préfet et sous-préfet − allez savoir pourquoi − échapperaient à la règle du redoublement du t au féminin (sur le modèle de cadet-cadette). À y regarder de plus près, la réalité se révèle autrement complexe. Rappelons tout d'abord, pour l'anecdote, que le substantif gourmet (et ses avatars groumet, gromet, grommet, gerromet) a également eu un féminin en -ète, au sens de « femme qui s'y connaît en vins, courtière en vins » : « Est-elle, dis-je, groumete / Qui d'essaier vins s'entremete ? » (Guillaume de Digulleville, 1331). Ensuite, force est de constater que le féminin de préfet (autrefois écrit prefect, préfect) a connu plusieurs variantes orthographiques selon les siècles et les acceptions. Sont ainsi attestées les formes : préfette au sens de « protectrice, maîtresse » chez Gilles Durant de la Bergerie (« Leur père [des Muses] les fit préfettes / De toutes les arts parfaites / Qu'ici bas nous cognoissons », 1594) ; prefecte au sens de « religieuse responsable des études et de la conduite des pensionnaires » chez Pierre Fourier (« La prefecte des pensionnaires », 1649) ; préfète au sens aujourd'hui vieilli de « épouse d'un préfet » chez François Guizot (« Madame de la Tour du Pin, baronne de l'Empire depuis deux ans, préfète de la Dyle depuis trois ans », 1811), puis au sens moderne de « femme préfet » dans un roman d'anticipation d'Albert Robida (« On s'est aperçu que là même où échouait un préfet masculin, une préfète pouvait réussir », « À la veille des élections, le ministère révoque le préfet et le remplace par une préfète remarquable par sa beauté », 1883). N'allez pas croire pour autant que, depuis le XIXe siècle, seule la graphie préfète ait pignon sur rue : quand elle aurait les faveurs des dictionnaires, elle n'en demeure pas moins concurrencée par la forme préfette. Témoin ces exemples triés sur la volette, pardon sur le volet : « On pourroit faire un chapitre très curieux concernant les préfettes, sous-préfettes, mairesses et adjointes » (Actes du second Concile national de France, 1801), « Préfette, comme elle la nommait » (Étienne-Léon de Lamothe-Langon, 1825), « Madame la sous-préfette étai[t] dans le salon » (Delphine de Girardin, 1835), « sur la recommandation de la belle préfette » (Talleyrand, 1838), « La sous-préfette fut très aigre avec l'Anglais » (George Sand, 1844), « Vive Madame la sous-préfette » (Romain Gary, 1937), à côté de « La préfète laissa Lucien en lui mimant une petite inclination de tête » (Honoré de Balzac, 1843), « Être "madame la préfète" » (Victor Hugo, 1862), « Voilà la préfète » (Hector Malot, 1873), « L'Amoureux de la préfète » (André Theuriet, 1889), « Le prêtre avait rencontré la préfète » (Anatole France, 1897), « Les préfets déchirent leur courrier. Les préfètes s'éveillent, alanguies d'orgueil » (Jean Giraudoux, 1921), « Madame la préfète » (Françoise Sagan, 1983), « La ministresse est l'épouse du ministre, comme l'ambassadrice est celle de l'ambassadeur, la consulesse celle du consul, la mairesse celle du maire, la préfète celle du préfet, la présidente celle du président » (Jean Dutourd, 1984).
En l'absence d'arguments de la part des spécialistes de la langue, mieux vaut encore s'en tenir à la graphie préfète, seule consignée dans les ouvrages de référence actuels, ou à la neutralité préconisée par la commission générale de terminologie et de néologie pour la désignation des fonctions, des titres et des grades : « Si l'usage ne s'y est pas trompé qui féminise aisément les métiers, il résiste cependant à étendre cette féminisation aux fonctions qui sont des mandats publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires et accessibles aux hommes et aux femmes à égalité, sans considération de leur spécificité. […] Pour nommer le sujet de droit, indifférent par nature au sexe de l’individu qu’il désigne, il faut se résoudre à utiliser le masculin, le français ne disposant pas de neutre. » Ainsi l'Académie distingue-t-elle dans la dernière édition de son Dictionnaire « Madame la préfète » (l'épouse du préfet) de « Madame le préfet » (la femme à la tête d'une préfecture). Quand on vous dit que la langue française est subtile...
Remarque 1 : Emprunté du latin praefectus (« gouverneur, commandant, préfet »), lui-même composé à partir de prae (« devant, avant, à la tête de ») et de facere (« instituer, nommer »), préfet désignait dans l'Antiquité un haut magistrat chargé de l'administration de Rome.
Remarque 2 : En 1981, Yvette Chassagne est devenue la première femme préfet en France.
Ce qu'il conviendrait de dire
La sous-préfète (ou le sous-préfet).