« Solutré : la préhistoire, c'est tout une histoire ! »
(Christophe Tarrisse, sur francetvinfo.fr, le 28 juillet 2019 )
La Roche de Solutré (photo Wikipédia sous licence GFDL par Yelkrokoyade)
Ce que j'en pense
Vous fallait-il une illustration de la complexité d'emploi du mot tout en français ? En voici une nouvelle : doit-on écrire c'est tout une histoire ou c'est toute une histoire ? Bienheureux les hommes de Cro-Magnon qui n'avaient pas à s'occuper de pareilles finasseries...
La réponse du TLFi est représentative de la confusion ambiante : « Tout [avec une valeur de renchérissement, devant un déterminant indéfini]. Véritable. C'est tout un art, tout un programme. Loc. C'est toute une histoire, tout un roman. Rem. Certains ne font pas l'accord au féminin : "[Il] l'avait injurié tout une soirée" (Dorgelès, Croix de bois, 1919). » Avouez que la remarque a de quoi laisser tout chose. Car enfin, que vient faire la citation de Roland Dorgelès dans cette affaire ? Le sens y est-il celui de « une véritable soirée » ? Certes pas ! Il s'agit bien plutôt de l'emploi « traditionnel » de l'adjectif tout au sens de « entier, complet », et tout porte à croire que l'invariabilité observée relève ici de la simple coquille (de fossile). Ne trouve-t-on pas ailleurs dans le même ouvrage tout régulièrement accordé avec le substantif qui suit : « pendant toute une après-midi », « toute une nuit », etc. ?
Las ! le TLFi n'est pas le seul spécialiste à s'être laissé abuser. Robert mériterait tout autant qu'on lui jetât le premier silex : « Tout, adjectif qualificatif, avec l'article indéfini [...]. Devant un féminin, certains laissent tout invariable, comme s'il était adverbe. C'est tout une écurie ! (Hugo). » L'écurie a beau être « véritable », c'est bien la graphie toute qui figure dans la publication originale du Roi s'amuse, parue chez Renduel en décembre 1832 ; on trouve de même c'est toute une histoire dans le manuscrit de Marion de Lorme (1829)... Pas de quoi en faire toute une histoire pour le linguiste danois Kristian Sandfeld, tout persuadé qu'il est que dans ladite locution « l'orthographe flotte entre toute et tout : "C'est toute une histoire" (André Lichtenberger, Paul Margueritte), "C'est tout une histoire" (Lucien Fabre, Jules Lévy, Charles Lexpert) » (Syntaxe du français contemporain, 1928). Y aurait-il vraiment anguille sous la roche (de Solutré) ? Plongeons donc entre deux eaux, pour étudier de plus près ces exemples d'invariabilité :
- Il m'est difficile de me prononcer sur les cas de Lucien Fabre et de Charles Lexpert, dans la mesure où je n'ai pas pu consulter l'intégralité des œuvres alléguées, respectivement Rabevel (1923) et Nouvelles Gauloises (1887). On trouve toutefois sous la plume du premier : « toute une théorie intellectuelle et morale », « toute une chose » (Le Rire et les rieurs, 1929) ; « toute une vie », « toute une nuit » (Le Paradis des amants, 1931).
- Jules Lévy, quant à lui, écrit : « C'est tout une histoire ! » dans Ça vient d'paraître ! (1902), mais : « Oh ! c'est toute une histoire ! » dans Tout ça, c'est des histoires de femmes (1895).
- On pourrait encore citer Ponson du Terrail : « Ah ! c'est tout une histoire ! », mais « passer toute une soirée » (Les Nuits du quartier Breda, 1865) ; « C'est tout une histoire » (Le Dernier Mot de Rocambole, volume III, 1867), mais « C'était toute une histoire » (Id., volume IV) ; « C'est tout une histoire, allez ! », « C'était toute une conspiration qu'il avait à déjouer » (La Jeunesse du roi Henri, édition de 1870), mais « C'est tout une histoire, allez ! », « C'était tout une conspiration », « C'est là toute une longue histoire », « C'est toute une histoire, Sire, une histoire véritable » (La Jeunesse du roi Henri, édition de 1884) ; etc. Vous l'aurez compris : tout cela relève du grand n'importe quoi !
Mais poursuivons notre tour d'horizon. Dans Études sur la syntaxe et la sémantique du mot français tout (1954), Sven Andersson écrit sans plus de précaution : « Devant l'article indéfini, tout est souvent invariable. [Philipp] Plattner, qui d’ailleurs désapprouve cet usage, en donne quelques exemples : "C'est tout une histoire" (Barrière), "Il a fallu tout une révolution dans les études historiques" (Vermorel), "Tu as tout une vie, toi ; moi, j'ai à peine quelques mois" (Dumas), "Il lui importait de finir cette affaire, dans laquelle il sentait tout une fortune" (id.). » Penchons-nous tout de suite sur cette nouvelle moisson :
- Si Théodore Barrière opte en effet pour la graphie c'est tout une histoire dans Un Monsieur qui suit les femmes (1850) et dans Les Parisiens (1854), il écrit : « Mais c'est toute une fortune », « Elles disent toute une histoire romanesque et terrible » dans Malheur aux vaincus (1870).
- Dans son ouvrage sur Mirabeau (1864), Auguste Vermorel hésite entre « il a fallu tout une révolution » et « c'est toute une nation », « dans toute une nation », « toute une ville si industrieuse ».
- Le cas d'Alexandre Dumas paraît plus troublant, dans la mesure où l'on trouve sous sa plume, en plus des deux extraits déjà cités du Collier de la reine (d'abord paru dans La Presse en 1849), plusieurs attestations de la graphie c'est tout une histoire (dans Ascanio, Albine...). Il n'empêche, les exemples d'accord sont tout aussi nombreux : « toute une garde robe », « toute une armée de mendians », « il y avait naturellement là-dessous toute une intrigue politique », « toute une vallée », « toute une haie de princes » (Le Collier de la reine) ; « toute une vie », « toute une partie » (Ascanio, 1843) ; « pendant toute une nuit », « toute une minute » (Albine, 1843) ; « son installation fut toute une affaire », « toute une histoire » (Black, 1858) ; etc. De plus, c'est toute qui figure en lieu et place de tout dans l'édition du Collier chez Meline, Cans et compagnie (1849).
« Voici encore deux exemples avec un tout invariable, croit utile d'ajouter Andersson : "Ça me prit tout une après-midi" (Daudet), "Quand lui-même avait trimé tout une longue vie" (Bordeaux). » Vérification faite, la réalité est, là encore, autrement contrastée : chez Alphonse Daudet, « tout une après-midi », « tout une mimique d'impatience », « ce fut tout une affaire » côtoient sans la moindre cohérence « toute une causerie », « toute une carriole de gens », « toute une vie de vertu », « toute une saison », « toute une nuit », « toute une forêt » ; même désolant constat du côté d'Henry Bordeaux : « tout une longue vie », mais « toute une soirée », « toute une part », « toute une séquelle d'huissiers », « toute une existence ». Quel crédit apporter dans ces conditions à ce flot de citations, je vous le demande ? Et Andersson de conclure : « L'invariabilité de tout se trouve, comme on vient de le voir, aussi bien dans le cas où tout a son sens primitif que dans celui où il offre "une nuance de sens spéciale". Il est probable qu'il s’agit d'une simple variante graphique. » On ne peut s'empêcher de sourire : une simple variante graphique ? Une joyeuse cacophonie, oui, où l'on peine à distinguer les coquilles des éditeurs des hésitations des auteurs ! Le grand Grevisse lui-même, persuadé d'avoir mis la main sur un exemple d'invariabilité chez Anatole France, se fait reprendre par son propre gendre : « "C'est tout une histoire" (Crainquebille et autres récits profitables, 1904). Plutôt qu'à un emploi adverbial, on pense à une faute d'impression. Certaines éditions ont toute », lit-on dans la quinzième édition du Bon Usage. Goosse a mille fois raison. France n'écrivait-il pas par ailleurs : « C'était toute une affaire de me coucher » (Le Livre de mon ami, 1885), « Quant à les [= les femmes du monde] aimer, c'est toute une affaire » (Le Lys rouge, 1894) ? La confusion est telle que même des ouvrages de référence en viennent à écrire tout et son contraire. Comparez : « C'est tout une histoire, c'est un fait long à raconter, compliqué et plein de rebondissements » (Grand Larousse, à l'article « histoire ») et « C'est toute une affaire, c'est une chose difficile » (à l'article « affaire »). Comprenne qui pourra. (Les cervelles de diplodocus passeront leur chemin, histoire de ménager leurs neurones clairsemés...)
Mais reprenons depuis le (tout) début − sans pour autant remonter jusqu'aux temps préhistoriques. À l'origine, écrit Kristoffer Nyrop dans sa Grammaire historique de la langue française (1925), « tout n'admet aucun déterminatif devant le substantif, et cela s'explique facilement puisque tout généralise. Mais petit à petit, à mesure que l'emploi de l'article devient de plus en plus général, il s'introduit après tout. Comme déterminatif, on emploie aussi le pronom possessif, le pronom démonstratif et l'article indéfini : toute ville, toute la ville, toute ma maison, toute cette misère, toute une histoire » (1). La combinaison tout un est attestée sans discontinuer depuis au moins la fin du XIIe siècle dans des emplois où tout, gardant son sens primitif de « entier, complet », s'accorde normalement avec le nom qu'il détermine : « tote une nuit » (Benoît de Sainte-Maure, vers 1175), « presque tote une quinzainne » (Chrétien de Troyes, vers 1180), « procurer le bien de toute une cité, et encore plus le bien de tout un pays » (Nicole Oresme, vers 1370), « toute une sepmaine » (Christine de Pizan, 1403), « Dieu [...] a saulvé toute une ville de mourir de fain » (Rabelais, 1532), etc. Très vite, pourtant, apparurent des exemples d'invariabilité : « Tout une cuve en fist emplir » (Le Roman de Rou, fin du XIIe siècle), « tout une bille » (Le Roman de la Rose, XIIIe siècle), « tout une meson » (Henri de Lancastre, 1354), « gouverner tout une navie [= flotte] » (Oresme), « tout une sepmaine » (Martial d'Auvergne, 1493), « tout une journée » (Jacques Vincent, 1549), « le labeur de tout une vie » (Pierre Victor Palma Cayet, 1593), « perdre tout une partie » (Antoine Oudin, 1640). Lapsus d'auteurs ? fautes de copistes ? coquilles de typographes ? (2) Le Dictionnaire du moyen français avance une autre explication : tout reste parfois invariable devant un substantif féminin précédé de l'article indéfini « en raison de la proximité de l'emploi adverbial ». C'est que, toujours selon ledit ouvrage, tout s'employait aussi au sens de « entièrement, pleinement » dans le tour être tout + numéral un(e), qui signifiait « le même, la même » : « Ce n'est pas tout une chose en tous cas faire juste et faire justement » (Oresme), « Eins ont tout une volenté » (Machaut, avant 1377), « Penses tu que ce soit tout une chose [...] ? » (Étienne Dolet, 1544). Est-il besoin de préciser que le phénomène inverse − accord de tout à valeur d'adverbe « en raison de la proximité de l'emploi adjectival » − s'observait également : « Que c'iert toute une volenté » (Machaut, vers 1340), « voulenté toute une » (Christine de Pizan, vers 1418) ? Autrement dit, les flottements de l'usage ne seraient que le reflet des difficultés de l'époque à nettement distinguer l'adverbe tout de l'adjectif tout. Mais voilà que deux nouvelles citations me mènent sur une tout autre piste : « [La beauté] ne semble jamais tout'une à touts les hommes » (Louis Le Caron, 1556), « Or la fin [...] en est tout'une » (Montaigne, 1580). Et si l'hésitation entre toute une et tout une ressortissait à des considérations phonétiques plutôt que grammaticales ? (3) Si la seconde forme le devait plus à la liaison entre ses éléments qu'à la valeur adverbiale de tout ? Après tout, le recours à l'apostrophe (qui marque ici l'élision du e de toute devant le u de une) confirme assez que les deux graphies concurrentes se prononcent de la même façon. Ce ne serait pas la première fois, au demeurant, que la grammaire cède le pas à la prononciation. Que l'on songe à l'anomalie que constitue la règle d'accord à venir de l'adverbe tout devant un adjectif féminin commençant par une consonne : dans l'ancienne langue, explique Georges Gougenheim (Système grammatical de la langue française, 1963), la dernière syllabe de toute(s) était nettement prononcée devant un mot à initiale consonantique. « Les grammairiens ont dû transiger et admettre une graphie qui répondait à la prononciation. »
C'est dans ce contexte de grande confusion que se développa un emploi « particulier » de tout un : « C'est toute une histoire, tout un roman » (Dictionnaire français-hollandais de Pieter Marin, édition de 1717), « C'est toute une histoire » (Dictionnaire de Richelet, édition de 1732). D'après les auteurs de ces ouvrages, le sens était celui de « une (très) longue histoire », et la plupart des lexicographes s'y conformeront : « C'est toute une histoire, se dit d'un récit qui sera long » (Littré), « C'est toute une histoire, c'est une affaire longue et compliquée » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Des subtilités d'analyse se firent pourtant jour entre les grammairiens. Selon Kristian Sandfeld, tout sert ici à « renchérir sur l'idée représentée par le substantif en question ». Selon les Le Bidois, tout « marque encore la totalité mais avec une nuance spéciale de superlatif. Cf. l'expression emphatique de la langue familière : "Oh ! mais c'est toute une affaire !" (= une très grande affaire) » (Syntaxe du français moderne, 1935). Selon Wartburg et Zumthor, tout suivi de l'article un s'emploie « pour opposer le substantif qui suit à un autre substantif sous-entendu [ou exprimé], représentant une entité moins considérable » (Précis de syntaxe du français contemporain, 1947) : Que me proposes-tu là ! C’est toute une entreprise ! − Sa vie est tout un roman. Selon Andersson, « tout garde à la rigueur ici son sens de totalité massive, mais il souligne à la fois d’une manière plus ou moins nette l’exactitude de la caractérisation, de sorte qu'on peut le traduire par "vrai" ou "véritable". Toute une affaire signifie donc, plutôt qu'“une grande affaire”, quelque chose qui mérite vraiment d'être appelé "une affaire", tout un roman, "un véritable roman", etc. » Selon Grevisse, « dans la langue moderne, l'assemblage tout(e) un(e) sert souvent à souligner le sens authentique et complet du nom devant lequel il est placé ; il prend alors à peu près le sens de "vrai", "véritable" : C'est tout un roman ! C'est tout un problème. C'est toute une histoire » (Le Bon Usage, 1975). Selon Knud Togeby, toute une dans c'est toute une histoire « exprime l'emphase » (Grammaire française, 1982). Selon Marc Wilmet, « tout(e), tous, toutes modifient adverbialement [le déterminant qui suit], dans le sens de l'exhaustivité [...]. L'alliance tout(e) + un(e) redevient compréhensible : toute une histoire = "du début à la fin" » (La Détermination nominale, 1986). Selon Michel Arrivé, « au singulier, tout [prédéterminant] marque la notion de totalité dans l'unité. Le contexte fait cependant apparaître parfois des effets de sens dérivés : c'est toute une histoire » (La Grammaire d'aujourd'hui, 1986). Selon le Larousse en ligne, enfin, « tout au singulier, devant un déterminant, [peut] exprime[r] la grandeur ; considérable : C'est toute une affaire ». Ouf ! Tout bien pesé, (c'est) toute une histoire a donc comme équivalent, selon les sources et le contexte : « une longue histoire », « une très grande histoire », « une histoire compliquée », « une histoire considérable », « une véritable histoire », « une histoire du début à la fin », voire, en suivant l'analyse de Wartburg et Zumthor, « tout comme une histoire ». Allez vous étonner, après cela, que l'homo sapiens des temps modernes n'y comprenne plus rien du tout...
De toute cette cacophonie digne d'un troupeau de mammouths dans un magasin de porcelaine on retiendra que c'est la graphie toute une (histoire, affaire...) qui prévaut parmi les spécialistes (4), jusques et y compris ceux qui sont enclins à octroyer une valeur adverbiale à tout dans cet emploi − c'est tout dire ! Et quand la forme « élidée » (ou, selon l'analyse, « non accordée ») se voit mentionner − sur la foi de citations sujettes à caution −, c'est en tant que variante nettement moins usuelle : « Rarement, en ce sens, [tout est] traité comme adverbe » (Grevisse), « Rare. C'est tout une histoire » (Petit Robert), « Certains ne font pas l'accord au féminin » (TLFi) (5). Autrement dit, toute une est la règle, et tout une, l'exception.
Mais brisons là : je suis attendu par la famille Pierrafeu et le capitaine Caverne pour une initiation au régime paléolithique. Ce sera tout pour aujourd'hui.
(1) Des grammairiens font la distinction entre tout déterminant (directement suivi d'un substantif : toute ville) et tout prédéterminant (directement suivi d'un déterminant : toute la ville, toute une ville...).
(2) Là encore, les divergences entre les différentes sources n'aident pas du tout à y voir clair. Comparez : « Après lui broiche [= éperonne] toute une randonnee » (Raoul de Cambrai, cité par Godefroy) et « Après lui broiche tout une randonnée » (Id., cité par Littré). On peut aussi signaler les incohérences suivantes : « On dit qu'une affaire intéresse tout le corps de la noblesse, toute une province » (Dictionnaire de l'Académie, 1718-1798), accidentellement orthographié « tout une province » dans la troisième édition (1740) ; « Les termes synonimes presentent touts une même idée principale » (Gabriel Girard, 1718), déformé en « presentent tout une même idée principale » dans le Dictionnaire de Richelet (édition de 1758).
(3) C'est peut-être ce qu'avait à l'esprit Andersson quand il qualifiait, un peu vaguement, tout une de « simple variante graphique »...
(4) On peut encore citer à la barre Girodet : « Toute une affaire, toute une histoire. Dans ces expressions, tout s'accorde », Hanse : « Tout est adjectif qualificatif [...] devant un article défini (toute la nuit, tout le monde) ou indéfini (toute une nuit, tout un temps ; c'est toute une affaire, toute une histoire, tout un problème, c'est une véritable (et grave) affaire, etc.) », Bénédicte Gaillard et Jean-Pierre Colignon : « Il ne faut pas en faire toute une histoire », l'Office québécois de la langue française : « Son voyage au Rwanda fut toute une aventure », le site canadien du Bescherelle : « Le mot tout et le déterminant qui le suit forment un bloc. Ils reçoivent tous les deux les traits de genre et de nombre du nom qu'ils accompagnent : C'est toute une aventure ! », etc.
(5) Seul André Jouette, à ma connaissance, met encore de nos jours les deux graphies sur le même pied : « C'est tout(e) une histoire » (Dictionnaire de l'orthographe, 1991).
Remarque 1 : L'argument traditionnellement avancé selon lequel tout est adverbe quand il peut être remplacé par entièrement ne vaut pas devant un nom précédé d'un déterminant, comme l'observe avec malice François Cavanna dans Mignonne, allons voir si la rose... (1989) : « Un autre cas embarrassant est celui de tout. Tout, vous le savez ou êtes censé le savoir, peut être, selon le cas, adjectif ou adverbe. S'il est adjectif, il s'accorde. S'il est adverbe, il ne s'accorde pas. Quand je dis "J'ai mangé tout le boudin", tout est ici adjectif. Bien. Au pluriel, nous aurions par conséquent "J'ai mangé tous les boudins" [...]. Par contre, si je dis "Ces femmes sont tout heureuses", tout est adverbe et reste invariable. Parfait. Mais comment reconnaître à coup sûr si l'on a affaire à un tout adjectif ou à un tout adverbe ? Eh bien, il y a un truc, qu'on m'a appris quand j'étais petit. Ce truc est comme je vais vous dire, pour le cas où vous ne le connaîtriez pas. On essaie de remplacer le tout suspect par un adverbe qui signifie la même chose mais qui possède une physionomie d'adverbe absolument indubitable, reconnaissable à vingt pas comme une enseigne de bureau de tabac. Par exemple : entièrement. Un adverbe en ment, ça, c'est de l'adverbe ! Essayons. "Ces femmes sont entièrement heureuses." Ça marche ! Ce n'est pas joli joli, mais ça marche. Pas de doute, notre tout était bien un adverbe [...]. Pardon ? Oui, vous, là, au fond... Vous avez essayé avec "tout le boudin" ? Très bien. Là, tout est adjectif, aucun problème. Comment ? Ça donne "J'ai mangé entièrement le boudin" ? Tiens donc [...]. C'est pourtant vrai. Je ne sais plus quoi dire, moi. »
Remarque 2 : Le tour tout une autre (histoire, affaire...), dans lequel la grammaire moderne voit l'adverbe tout modifier l'adjectif autre, a-t-il favorisé la graphie c'est tout une histoire ? Rien n'est moins sûr, tant la forme fléchie toute une autre, qui avait cours au XVIIe siècle, semble vouloir se maintenir malgré tout. Comparez (si tant est que l'on puisse se fier aux citations qui suivent) : « Et vestir en trois jour tout une autre figure » (Du Bellay, 1558), « Il semble que l'on ait toute une autre âme quand on aime que quand on n'aime pas » (Pascal, 1653), « La gloire où j'aspire est toute une autre gloire » (Corneille, 1663), « Elle seroit toute une autre personne » (Mme de Sévigné, 1690), « C'est toute une autre histoire » (Henri Richer, 1723), « [Il] aurait donné toute une autre forme à son poème » à côté de « C'était tout une autre affaire » (Grand Larousse du XIXe siècle, 1875), « C'était là toute une autre affaire » (Léon Daudet, 1931), « Mais ce serait tout une autre étude » (Paul Hazard, 1932), « C'est toute une autre manière » (Georges Bernanos, 1935), « Cela nécessiterait tout une autre procédure (c'est-à-dire : une procédure tout à fait autre) » (Office québécois de la langue française). On dit plus couramment, avec le même sens, une tout autre (histoire, affaire...).
Remarque 3 : Selon la linguiste Hava Bat-Zeev Shyldkrot, l'évolution de sens de tout marqueur de la totalité à tout marqueur d'intensité est facile à expliquer : « Prenons par exemple le cas de "sa vie fut tout un roman" : un roman "pris dans sa totalité" possède évidemment toutes les qualités d'un roman, c'est donc un véritable roman. » C'est oublier un peu vite, me semble-t-il, que les formules de ce type se disent tout aussi bien sans tout : « C'est une histoire, toute une histoire » (Petit Robert), « Ce fut une affaire pour l'installer » (Zola, 1880), « Tu as tort de faire un plat de cette histoire » (Sartre, 1945), « En fais pas un roman » (Auguste Le Breton, 1953).
Remarque 4 : D'aucuns sont tentés de distinguer par l'orthographe les emplois de tout au sens de « entier » de ceux au sens de « véritable » : Il a écrit toute une histoire en anglais mais Il a fait tout une histoire de ce malentendu. Cette répartition n'est appuyée par aucune autorité.
Ce qu'il conviendrait de dire
La préhistoire, c'est toute une histoire !