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Voilà qui n'est pas banal !

« Guerre de Bosnie : Ratko Mladic ferme le ban des accusés. »
(Mersiha Nezic, sur liberation.fr, le 21 novembre 2017)

 

 

  FlècheCe que j'en pense


Dieu que cette formulation est bancale ! Car enfin, elle prête le flan, pardon le flanc à toutes les critiques. Qu'on en juge plutôt.

Ban, terme polysémique et fécond (on le retrouve dans banal, banlieue, banneret, bannière, bannir, forban...), désigne, en droit féodal, la convocation faite par le suzerain à ses vassaux (surtout pour aller à la guerre) et, par métonymie, l'ensemble des nobles ainsi convoqués. De là la locution (convoquer, réunir) le ban et l'arrière-ban, qui a pris le sens figuré de « (faire appel, pour le succès d'une affaire, à) tous ceux dont on peut espérer du secours, un appui » : « [Il] convoqua le ban et l'arrière-ban de la parentèle et du voisinage pour la moisson » (Charles Le Quintrec). Plus largement, le mot désigne une proclamation (ordre, règlement ou interdiction annoncés publiquement) : que l'on songe aux locutions publier le ban (de guerre)publier les bans (de mariage), publier ou battre le ban (des récoltes, des vendanges et d'autres travaux agricoles). Par métonymie, ban s'est également dit du roulement de tambour (ou de la sonnerie de clairon) qui annonce ou conclut ladite proclamation ou la remise d'une décoration, et c'est dans cette acception qu'il se combine avec le verbe ouvrir et plus encore, de nos jours, avec le verbe fermer : (au sens propre) « L'unique tambour du bord ferme le ban » (François d'Orléans) ; (au sens figuré et moderne de « tout est dit, fin de l'histoire, restons-en là ») « [Drieu la Rochelle] s'est suicidé après avoir écrit qu'il réclamait la mort comme traître, son dossier est bouclé, fermez le ban » (Philippe Sollers).

Ban dans fermer (ouvrir) le ban a beau ne jamais être suivi d'un complément dans les exemples cités par les ouvrages de référence, grande est assurément la tentation, en ville comme en banlieue, de lui en ajouter un et d'écrire : fermer le ban d'une célébration, d'une manifestation, d'une exposition, des festivités, etc. pour « en sonner la fin ». Passe encore (1). Pour autant, est-on fondé à fermer le ban... de quelqu'un ? Avouez que cela n'a aucun sens. Notre journaliste n'avait-elle pas plutôt en tête le fait que Ratko Mladic est l'accusé qui ferme le bal, qui ferme la marche − autrement dit qu'il est le dernier à être jugé par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ? À moins, me fera-t-on observer avec quelque apparence de raison, qu'elle ne compte elle-même parmi les innombrables victimes non pas du « boucher des Balkans », mais de l'homophonie, ban étant plus souvent qu'à son tour confondu, dans les tribunaux, avec le long siège sur lequel tous les regards se portent : le banc des accusés (2). Ladite expression désigne proprement, comme chacun l'aura deviné, la banquette réservée aux accusés pendant toute la durée de leur procès (et pas seulement aux assises) : « Ayant pris place, dans la salle magnifique et sombre, sur le banc des accusés, il vit les juges, les greffiers, les avocats en robe, l'huissier portant la chaîne, les gendarmes et, derrière une cloison, les têtes nues des spectateurs silencieux » (Anatole France) ; au figuré, être sur le banc des accusés signifie « se voir reprocher une action jugée répréhensible » : « Brigitte [...] se retrouvait là, sur le banc des accusés, comme nous tous, à se faire traiter de menteurs, d'incompétents » (André Glucksmann).

La sortie de route, dans l'affaire qui nous occupe, serait donc consécutive au télescopage entre les locutions fermer le ban et le banc des accusés. L'hypothèse est d'autant plus probable que l'usage, en la matière, prend un malin plaisir à entretenir la confusion. N'admet-il pas, séance tenante, la variante être (assis) au banc des accusés, à l'instar de ces exemples trouvés sous des plumes autorisées : « Au lever du rideau, les députés de la Gironde sont au banc des accusés » (Alexandre Dumas), « Au banc, entre les gendarmes, quelque chose comme un paquet lamentable et qui devient, quand le président lui dit de se lever, une petite vieille épouvantable » (Edmond et Jules de Goncourt), « Au banc des accusés la vieille garde bolchevique, particulièrement Zinoviev et Kamenev, en tout seize personnes » (Romain Rolland), « Celui-ci, au banc des accusés, ne se souvient plus de rien, dit qu'il a perdu la mémoire » (Julien Green), « Rudi s'assit au banc des accusés, dans le Palais de justice de Bruxelles, en compagnie d'une quinzaine d'autres adeptes » (Michel Houellebecq) ? Je m'interroge sur le choix de la préposition : pourquoi diable irait-on s'asseoir à un banc, quand sur sied à la logique grammaticale (3) ? Parce que ledit banc n'est plus senti comme l'objet mais, par un énième développement métonymique, comme le lieu réservé à une catégorie de personnes ? Après tout, Musset écrivait bien dans Les Deux Maîtresses (1840) : « Il lui arrivait de pleurer au milieu de la classe, quand il n'avait pas, le samedi, sa place au banc d'honneur », là où l'on aurait dit, avec une valeur dépréciative, au coin, au piquet...

D'aucuns voient bien plutôt dans ce « au » le signe probant d'une nouvelle confusion, cette fois entre les locutions être (assis) au banc des accusés et être (mis) au ban de la société, où ban s'entend au sens ancien de « condamnation à l'exil, au bannissement ; interdiction de séjour sur le territoire soumis à la juridiction d'un suzerain ». Mettre quelqu'un au ban (de l'opinion, de la société...), mettre un pays au ban (des nations) s'emploient ainsi au figuré pour « l'exclure de la communauté, le déclarer indigne de toute considération, le dénoncer au mépris public » : « En province, tous les conseils municipaux socialistes ont voté des ordres pour [...] mettre l'Allemagne au ban des nations civilisées » (Roger Martin du Gard), « Considérez-vous qu'un homme doive être mis au ban de la société quand il a commis le crime d'anthropophagie ? » (Georges Duhamel), « On disait au garnement qui se tenait mal : "Quitte la table." Cet ordre le mettait au ban de la famille pendant un moment » (Jean Cayrol) (4).

Vous l'aurez compris : la langue joue ici avec nos nerfs. A-t-on idée, aussi, de faire siéger à sa table deux noms à la graphie aussi proche dans des expressions de forme aussi voisine, lesquelles semblent avoir été forgées pour nous faire échouer... sur un banc de sable ?

(1) Le tour se trouve jusque sous la plume d'un académicien : « Nous croyons que la chute des totalitarismes et la déconfiture du marxisme ont fermé le ban des idéologies. Rien n’est plus faux » (Xavier Darcos).

(2) On parle de même du banc du procureur, du banc des avocats, du banc des jurés, du banc des prévenus, du banc des témoins, du banc de jugement, du banc de la défense, du banc de l'accusation... et, par métaphore, du banc d'infamie.

(3) Il est à noter que, quand les dictionnaires usuels enregistrent d'ordinaire les deux graphies, seule celle avec sur est consignée dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Sur le banc des accusés, une brochette d'assassins » (à l'entrée « brochette »), « S'asseoir sur le banc d'infamie, comparaître à la cour d'assises ou en correctionnelle » (à l'entrée « asseoir »). Force est pourtant de constater que les deux prépositions sont en concurrence dès les premières attestations : « [Ils] ont pris place au banc des accusés » (Jean-Gabriel Peltier, 1801), « Vous voilà vous-mêmes, ici, dans ce sanctuaire redoutable, assis sur le banc des accusés » (Auguste-Charles Guichard, 1804).

(4) La même idée de bannissement se trouve dans l'expression être en rupture de ban, qui signifie au sens propre « contrevenir à une interdiction de séjour » et au sens figuré « avoir rompu avec les contraintes et les préjugés de son milieu social, et vivre d'une manière moralement condamnable » ou, selon les sources, « avoir changé d'occupation » : « Les peines de police qui s'adressent au condamné en rupture de ban » (Victor Hugo), « J'étais un fils de famille en rupture de ban, un polisson, un mauvais drôle » (Alphonse Daudet), « Cet universitaire en rupture de ban se complaît dans les explications de textes » (André Maurois). Voir également ce billet.

    

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Ratko Mladic ferme le bal des accusés (?).

 

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