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Vive la langue française !

Vive la langue française

« Vive les Bleues : fort engouement pour le foot féminin. »
(paru sur arte.tv, le 7 juin 2019)  

 


FlècheCe que j'en pense


Allons droit au but : faut-il écrire Vivent les Bleues ! ou Vive les Bleues ! ? Voilà un pavé jeté dans les eaux troubles d'une mare traversée par des courants longtemps opposés. Qu'on en juge : « Locution vicieuse : Vivent les Bourbons ! Locution corrigée : Vive les Bourbons ! » (Jean-Noël Blondin, Manuel de la pureté du langage, 1823), « Orthographe vicieuse : Vive les gens d'esprit ! Orthographe corrigée : Vivent les gens d'esprit ! » (Louis Platt, Dictionnaire critique et raisonné du langage vicieux, 1835). Un partout, le ballon au centre... et la faute pour horizon. Mais ça, c'était au XIXe siècle ! Renseignements pris auprès des arbitres de la langue contemporaine, l'usager devrait désormais échapper au carton rouge, quelle que soit la graphie sélectionnée (même si celle accordée au pluriel est tenue pour vieillie par mon Robert illustré 2013). C'est que, nous assène-t-on d'un coup franc, l'accord peut se faire ou non avec un nom pluriel (ou deux noms au singulier unis par et), selon que l'on considère que vive a conservé sa valeur verbale devant son sujet (il s'agit du subjonctif présent du verbe vivre, sous une forme archaïque sans que) ou qu'il joue le rôle d'une interjection (d'après Grevisse, Hanse, Thomas, Girodet et l'Office québécois de la langue française), d'un introducteur (d'après Goosse), d'une particule à valeur prépositionnelle (d'après l'Académie), d'un adverbe antonyme de « à bas » (d'après le site Orthonet) ou de tout autre joyeuseté invariable. Comparez : « Vivent les vacances et vive la rentrée ! » (Robert Sabatier) et « Vive les mouches ! » (André Brincourt). Les supporteurs de l'accord feront valoir que « quelle que soit la place du sujet, le verbe doit toujours en revêtir le nombre » (Grammaire nationale de Louis-Nicolas Bescherelle, 1834) et, partant, écriront : Vivent les femmes de caractère ! comme Périssent les traîtres ! Meurent les tyrans ! Puissent les dieux du stade vous être favorables ! Les défenseurs de l'invariabilité, quant à eux, argueront qu'il s'agit là d'une formule d'exclamation (« un cri d'exaltation », selon Goosse) qui a perdu son sens premier impliquant un souhait de longue vie et de prospérité (1), au profit de celui de « gloire à, honneur à » ou « bravo » marquant un enthousiasme ou une simple approbation à l'égard d'une personne, d'une idée, d'une pratique.

Seulement voilà, si la plupart des forces vives du bon usage linguistique s'accordent sur le fait que la seconde analyse tend à s'imposer de nos jours, il ne faudrait pas croire que le phénomène de figement en jeu soit de date récente, comme le donnent encore à penser trop de raccourcis : « [À l'origine,] vive était perçu comme un subjonctif elliptique du verbe vivre [...] et l'accord allait de soi. Petit à petit, pourtant, vive a perdu son sens premier en même temps qu'il étendait son rayon d'action à ce qui n'était pas doué de vie [...] et l'on n'a bientôt plus perçu en lui qu'un "introducteur" qui n'avait pas lieu de varier en nombre » (Bruno Dewaele, 1997), « Le verbe ne varie plus comme autrefois » (Ferdinand Brunot, 1932), « La troisième personne du subjonctif-optatif de vivre, placée devant le sujet, est en train de se figer. [...] cette forme verbale se cristallise en particule impersonnelle à valeur d'interjection » (Georges et Robert Le Bidois, 1935), « Vivent les vacances reste l'orthographe normale, mais vive tend à devenir une véritable interjection » (René Georgin, 1964) et, de façon plus ambiguë, « Vive est aujourd'hui perçu plus souvent comme un simple mot exclamatif que comme un verbe traduisant un véritable souhait de longue existence, ce qui explique que ce terme tende à perdre sa valeur verbale » (site Internet de l'Académie). C'est oublier que l'invariabilité, dans notre affaire, est attestée depuis au moins... six siècles : « Vive le roy et le dalphin et la paix ! » (Journal d'un bourgeois de Paris, édition de Tuetey, 1414), « Vive le roy et son filz » (Enguerrand de Monstrelet, avant 1444), « Vive l'emperiere Nerons, Les senateurs et les barons ! » (Le Martyre de saint Pierre et de saint Paul, vers 1440). L'accord allait-il de soi avant le XVe siècle ? Difficile à dire en l'état actuel de mes recherches, faute d'exemples au pluriel trouvés en ancien français (2). J'en viendrais presque à me demander si ce n'est pas plutôt l'invariabilité qui a précédé l'accord, au vu de cette observation de Kristoffer Nyrop sur une œuvre de Molière : « On lit dans les éditions modernes du Malade imaginaire : Vivent les collèges d'où l’on sort si habile homme ! Toutes les vieilles éditions donnent vive » (Grammaire historique de la langue française, 1925) (3). La situation est d'autant plus confuse que les trois exemples que j'ai précédemment cités pour illustrer l'invariabilité ne manqueront pas d'être déclarés hors jeu par les esprits sur le qui-vive, dans la mesure où le premier nom qui suit vive y est toujours au singulier. L'abbé Éloi Ragon n'affirmait-il pas, à la suite de Léon Clédat, qu'« un verbe peut s'accorder seulement avec l'un de ses sujets, surtout lorsqu'il est à un temps où la troisième personne du singulier se prononce comme la troisième du pluriel » ? Et il ajoutait, exemples à l'appui : « C'est surtout quand le verbe est en tête de phrase que s'impose [!] l'accord avec le sujet le plus rapproché [...] : Quelle était en secret ma honte et mes chagrins ! (Racine), Qu'importe sa piété, sa joie et sa vengeance ? (Voltaire), Tombe Argos et ses murs ! (Népomucène Lemercier), Que lui importe le nom, la parure et les habitudes de la beauté qui le frappe ? (Sand) » (L'Enseignement chrétien, 1904) (4). Vous l'aurez compris : pour parler à coup sûr d'invariabilité et non pas d'accord de proximité, mieux vaudrait mettre la main sur un exemple suffisamment ancien d'emploi de la graphie vive les... En voici quatre empruntés au mitan du XVIe siècle (je peine à remonter plus loin [5]) : « Nous crirons vive les trois roys » (Jean Molinet, édition de 1540), « Vive les bons Françoys ! » (Antoine Fauquel, 1558), « Vive les gueux » (Lancelot Voisin de La Popelinière, 1572), « Vive les gueuz » (Étienne Pasquier, 1586). L'invariabilité est donc attestée depuis près de cinq cents ans !

Aussi le Grand Larousse a-t-il beau jeu d'enterrer vive la forme accordée au pluriel : « Comme, depuis longtemps, ce mot [vive] est devenu une interjection à valeur prépositive, l'accord au pluriel n'est plus qu'un archaïsme de puriste, et les textes où il se présente témoignent d'un état de langue révolu. » Vous parlez d'un tacle ! À peine l'intéressé a-t-il le temps de mentionner le traditionnel exemple : Vive les vacances ! que l'équipe adverse du Dictionnaire historique de la langue française lui emboîte le pas : « Dans cet emploi, [vive] tend à devenir invariable et l'accord à l'écrit, qui suppose la conscience du verbe, marque un certain pédantisme. » (6) Robert Sabatier appréciera... vivement ! Il est, au demeurant, un cas où même les plus fervents partisans de l'accord n'ont d'autre choix que de laisser vive invariable : quand le mot qui suit n'est pas de la troisième personne. Pour preuve ces exemples décisifs : « Vivent les Longevernes ! » mais « Vive nous ! » (Louis Pergaud, 1912) ; « Vivent les types-qui ! » mais « Vive toi ! » (Roger Ikor, 1961) ; « Vivent les sans-culottes ! » mais « Vive nous tous ! » (André Castelot, 1965) (7). Voilà qui n'est pas banal et rien moins que conséquent, car enfin, si vive est un « véritable verbe au subjonctif » ainsi que l'affirme Louis Platt, ne devrait-il pas varier en personne aussi bien qu'en nombre ? D'aucuns affirmeront, de vive voix et de pied ferme, que c'est là la preuve irréfutable de la valeur interjective de vive...

(1) Vive le roi ! (où le verbe vivre est à la troisième personne du singulier du présent du subjonctif, mode choisi pour exprimer le souhait) s'est dit dès le XIIe siècle pour « (Je souhaite que) le roi vive (longtemps) », sur le modèle du latin Vivat rex !

(2) Il faut attendre, semble-t-il, le milieu du XVIe siècle : « Vive l'amour, vivent les dames » (Clément Marot, 1535), « Vivent les Eiguenotz, [...] Vivent sur tous Messieurs les Alliez » (François Bonivard, 1551), « Vive la France et vivent ses enfans » (Pascal Robin du Faux, 1572), « Vivent les chardons des champs » (Rabelais, édition de 1573), « Vivent les deux chevaliers » (Gabriel Chappuys, 1578), « Vivent, seigneur, noz terres fortunees, [...] Vive ce roy et vivent ses guerriers » (Ronsard, 1582).

(3) Les ouvrages de référence semblent avoir suivi la même évolution : « Vive les gens qui nous font du bien » (Dictionnaire de Furetière, 1690) ; « Vive les gens qui nous font du bien. Vivant qui pro nobis favent » (Dictionnaire de Trévoux, 1704 ; on notera avec intérêt le singulier en français et le pluriel en latin) ; « Vive la Champagne et la Bourgogne pour les bons vins » (Dictionnaire de l'Académie, 1694-1762), puis « Vivent la Champagne et la Bourgogne pour les bons vins » (depuis 1798).

(4) On trouve ainsi sous la plume de Claude Fauchet : « Vive la nature et tous ses bons sentimens ! Vive la patrie et tous ses bons citoyens ! » mais « Vivent les loix et leurs bons instituteurs ! » (Discours sur la liberté française, 1789).

(5) Citons avec toutes les réserves qui s'imposent cet extrait d'une farce datée du XVe siècle, sans plus de précision : « Vive les enfants de Beauvais. »

(6) C'est donc avec une once de pédantisme qu'Alain Rey − qui n'en est plus à une contradiction près − s'est laissé aller à écrire : « Vivent les soldes » dans son livre À mots découverts (2003).

(7) On notera que seuls les pronoms personnels toniques sont possibles après vive : Vive toi ! et non Vive tu ! Quant à la graphie Vivent nous !, attestée çà et là, elle est « difficilement justifiable » de l'aveu même de Grevisse. Aussi peine-t-on à comprendre l'enthousiasme de Philippe Lasserre dans Parler franc (2001) : « Certains auteurs font, ou ont fait, subtilement, la distinction [entre forme accordée et forme invariable], comme Verlaine qui écrit, dans Chansons pour elle : "Vivent nous et vive l'amour". Ce sont, là, nuances délicates, celles qui font la richesse de notre langue. » Pauvre de nous !

Remarque 1 : D'aucuns − à l'instar de Matthias Kramer dans son Essai d'une bonne grammaire française (1696), puis de Benjamin Legoarant dans sa Nouvelle Orthologie française (1832) − ont voulu établir une distinction entre l'accord avec les noms de personnes (ou, plus largement, d'êtres vivants) : Vivent les Français ! Vivent les animaux ! et l'invariabilité avec les noms de choses inanimées : Vive les vacances ! L'usage littéraire vient toutefois contredire cette thèse, et l'on trouve les deux graphies avec les personnes comme avec les choses.

Remarque 2 : La graphie incorrecte Vives les... ! se répand par confusion avec l'adjectif vif, vive : « Vives les mariés ! » (Closer), « Vives les vacances ! » (Rolland Abonnel).

Remarque 3 : Les hésitations sur l'accord de vive ne sont pas sans rappeler celles sur l'accord de soit, placé en tête de phrase pour introduire une hypothèse dans l'énoncé d'un problème. On pense également à Allez ! qui, employé comme interjection pour renforcer un ordre ou une affirmation, « n'est pas perçu comme une forme verbale » selon le Dictionnaire de l'Académie.

   

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


La même chose ou, moins couramment, Vivent les Bleues !

 

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