« [Rodin] travaille dans l’atelier de l’ornemaniste Albert-Ernest Carrier-Belleuse, à Paris puis à Bruxelles, où il fait preuve d’une grande habilité pour les sujets décoratifs, d’esprit XVIIIe. »
(vu sur musee-rodin.fr, le 16 septembre 2012)
(Auguste Rodin, photo wikipédia)
Ce que j'en pense
Le musée Rodin est annoncé comme l'un des plus visités de France. Si tel est également le cas de son site Internet, je ne suis pas certain qu'il y ait là matière à satisfaction. On a, en effet, peine à croire que cet établissement réputé, public qui plus est, ne soit pas en mesure de concevoir un texte dans un français aussi délicatement ciselé que les chefs-d'œuvre qu'il abrite...
C'est que Féraud entend que l'usager de la langue montre quelque habileté à distinguer ledit substantif de son paronyme : « Il ne faut pas confondre ce mot [habilité] avec habileté » (Dictionnaire critique, 1788). Emprunté au XIVe siècle du latin habilitas (« aptitude, faculté »), habilité s'est en effet spécialisé comme terme de droit pour désigner l'aptitude, la capacité juridique à accomplir certains actes ou à exercer certains pouvoirs : Vous n'êtes pas habilités à signer ce contrat (= vous ne remplissez pas les conditions requises pour accomplir cet acte), quand habileté, probablement dérivé directement de l'adjectif habile, est attesté depuis le XVe siècle au sens de « qualité d'une personne qui procède avec adresse, de ce qui est fait avec adresse » : Elle a déployé beaucoup d'habileté dans cette affaire (= elle a mené cette affaire avec beaucoup d'adresse, d'ingéniosité).
Si Rodin, pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, était pour ainsi dire « habilité » par son employeur de l'époque à réaliser des ornements, il était surtout réputé pour son adresse, son habileté !
Remarque 1 : À la décharge des contrevenants, reconnaissons que l'utile distinction entre nos deux paronymes n'a pas toujours été de mise. « Anciennement, on disait habilité pour habileté », reconnaît Féraud dans son Dictionnaire critique (1788). L'inverse semble tout aussi vrai, comme le montrent ces exemples anciens : « Avoir puissance et abilité de faire ses besoingnes » (Oresme, vers 1370) et « Habileté de se mouvoir » (Robert Estienne, 1539) ; « Tournoyemens et esbatemens d'abilité » (Roman des sept sages, XIVe siècle), « C'est ung grant tour d'abilité » (Les Menus Propos, 1461) et « Joueur d'abiletez » (Barthélémy Trotin, vers 1467). La confusion était telle qu'en 1670 François-Antoine Pomey n'enregistra dans son Petit Dictionaire royal que le nom habilité, avec les anciens sens de « aptitude ; industrie ; suffisance ; promptitude » ; dix ans plus tard, les auteurs de l'édition augmentée posthume changèrent leur fusil d'épaule et optèrent pour la variante habileté sans autre forme de procès. Même malaise éprouvé lors la consultation du Dictionnaire de Trévoux : absent des premières éditions, habilité apparaît dans celle de 1740, sous l'article habileté et avec cette mention : « On emploie encore plus rarement habileté qu'habilité, quand il est question de littérature. » Suivent plusieurs exemples repris au Dictionnaire de Furetière, mais où habileté a été subrepticement remplacé par habilité.
Remarque 2 : En termes de sculpture, l'ornemaniste (de ornement) est l'artiste qui conçoit et exécute des motifs décoratifs en stuc ou en plâtre.
Ce qu'il conviendrait de dire
Il fait preuve d’une grande habileté pour les sujets décoratifs.