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Une affaire de gros sous
« Paris 2024 : les dispendieux du stade. »
(titre du reportage diffusé dans l'émission Complément d'enquête, le 28 mars 2024 sur France 2.)Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention de juger du fond de l'affaire : avec un sujet aussi sensible, grand est le risque de prendre cher, comme disent (disaient ?) les jeunes. Je laisse cela aux champions du journalisme d'investigation et me bornerai ici, chronique de langue oblige, à saisir le jeu de mots au bond.À en croire les lexicographes modernes, dispendieux est emprunté du latin impérial dispendiosus (« dommageable, préjudiciable »), lui-même dérivé du latin dispendium (« dépense, frais » et « dommage, perte »), de dispendere (« distribuer, partager »). Selon le TLFi, l'adjectif est attesté isolément en 1495, avant de reparaître au début du XVIIIe siècle : « Une campagne aussi dispendieuse » (Journal historique sur les matieres du tems, mai 1709). Même son de cloche du côté du Dictionnaire historique de la langue française : « Le mot semble quasi inusité avant le début du XVIIIe siècle. »
L'ennui, c'est qu'un ouvrage paru en 1846 met à mal cette présentation communément admise : « Columelle [agronome romain de la première moitié du Ier siècle de notre ère] s'est servi [du mot dispendiosus] dans le sens de "nuisible, préjudiciable", mais dans la basse-latinité on l'a employé dans l'acception moderne "qui ne se fait qu'avec beaucoup de dépense, très coûteux". [L'adjectif dispendieux] est du XVIIe siècle » (Louis Gaudeau et al., Glossaire français polyglotte). Vérification faite, et quoi qu'en disent les équipes du TLFi ou d'Alain Rey, les attestations antérieures au XVIIIe siècle ne manquent pas, en effet, d'abord avec le sens qu'avait l'adjectif dispendiosus en latin impérial, puis avec celui qu'il avait en bas-latin (le contexte, du reste, ne permettant pas toujours de les distinguer nettement) (1) :
« Il nest rien plus dispendieux ne plus desplaisant que de ire, il nest rien plus precieux que de paix » (Le Miroir historial, édition de 1495), « Ce qui est contentieux et incertain [...] consume par contagion dispendieuse le liquide et le certain » (Guillaume Budé, De l'institution du prince, édition posthume de 1547), « Dispendieux, Schadelijc [= nuisible, dommageable] » (Gabriel Meurier, Dictionaire françoys-flameng, édition de 1584), « De peur que son labeur et hazard ne luy soit dispendieux » (Louis Gollut, 1589), « Un long et dispendieux proces [...]. Ce dispendieux chemin » (Guillaume d'Oncieu, 1591), « Procez dispendieux » (Édit de Charles-Emmanuel Ier, 1598), « Outre ce qu'il est dispendieux [...] » (Jean de Marnix, Résolutions politiques, édition posthume de 1612 ; l'édition de 1610 comporte « outre ce qu'il est de grand despence »), « Une guerre incommode, dispendieuse, et à la fin ingrate » (Lettre de Raymond Phélypeaux d'Herbault à Richelieu, 1625), « Esviter les suittes et consequences dispendieuses qui peuvent arriver à la Province » (Délibérations et ordonnances faictes en l'assemblée générale des communautés du pays de Provence, 1636), « Tous ces penibles, dispendieux et dangereux voyages » (Charles-Auguste de Sales, 1659), « Et ce pour obvier à la longue et dispendieuse vacation des benefices » (Claude Bernard, avocat, 1660), « Une chose tres inutile, et mesme dispendieuse et incommode » (Advertissement pour Me Jacques Michel, 1667), « Il l'envoye dans une ambassade [= mission] dispendieuse » (Mathias de Grati, 1676), « Long et dispendieux sejour » (Le Mercure hollandois, 1680), « On ne peut disconvenir que cela ne soit et fort pénible et fort dispendieux » (Jacques Bernard, 1686), « Des fâcheuses et frequentes maladies qui estoient extrémément dispandieuses [sic] » (Reglement de l'hospital des insensés d'Aix, 1705), etc.
Il n'en demeure pas moins que dispendieux ne semble pas d'usage courant avant la seconde moitié du XVIIIe siècle : « Ce terme, qui n'est pas encore bien accrédité, manquoit à notre langue et est d'un grand secours [pour servir d'adjectif à dépense] » (Supplément au Dictionnaire de Trévoux, 1752), « Dispendieux est très commun chez [François] Quesnay et ses disciples. Mais ils ne l'ont pas inventé » (Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, Le XVIIIe siècle, 1930). Le mot a beau recevoir les honneurs du Dictionnaire de Trévoux, en 1743, puis du Dictionnaire de l'Académie, en 1762, il ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes :
« [Dispendieux] n'est pas du beau style » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787).
« Je ne sais [...] dans quel intérêt, puisqu'on avait coûteux, on est allé chercher à la fois "frayeux" et "dispendieux". C'était du luxe » (Ferdinand Brunot, op. cit.).
« On utilise cet adjectif tout simplement parce qu'il fait chic [...]. C'est le type même de mot savant que l'on croit noble et qui est cuistre [...]. Il est synonyme de cher, onéreux, coûteux, voire ruineux, que l'on doit largement lui préférer » (Bernard Cerquiglini, Petites Chroniques du français comme on l'aime, 2012).
Surtout, Féraud met en garde contre le risque de confusion avec dépensier (« qui est porté à la dépense ») : « Plusieurs disent cet homme est dispendieux, cette femme est fort dispendieuse. L'usage n'admet pas cette acception dans l'emploi de ce mot. Il ne se dit point des personnes. »
Cette condamnation a de quoi surprendre. D'abord, parce que l'emploi de dispendieux pour qualifier une personne ne courait pas les rues à l'époque (cf. les maigres attestations mentionnées plus bas). Ensuite, parce que ledit emploi s'explique par la même métonymie qui fait dire de quelqu'un (commerçant, ouvrier...) qu'il est cher, au sens de « qui vend une denrée ou exécute un travail à plus haut prix que les autres ». Pourquoi refuser à dispendieux ce que l'on concède depuis belle lurette à la concurrence ? (2) Toujours est-il que la condamnation de Féraud sera reprise aux siècles suivants : « [Dispendieux] ne se dit que des choses, et se met ordinairement après son substantif » (Jean-Charles Laveaux, Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires, 1818), « Expensive, (choses) dispendieux ; (personnes) dépensier » (Alexander Spiers, General English and French Dictionary, 1846) et, plus récemment, « Ne pas confondre [dispendieux] avec dépensier, "qui aime dépenser" » (Jean-Paul Colin, Dictionnaire des difficultés du français, 1994), « Il ne faut pas confondre [dispendieux] avec dépensier qui, lui, s'applique essentiellement à des personnes » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2020).Mais voilà que d'autres spécialistes, prompts à introduire des subtilités supplémentaires, exigent que la chose qualifiée par l'adjectif dispendieux soit en outre :
- grande : « Coûteux a cela de propre qu'il ne se dit que dans le petit, qu'en parlant d'objets peu considérables [...]. Mais dispendieux a un caractère tout opposé : il ne convient que dans le grand. Une guerre, par exemple, se qualifie de dispendieuse (Voltaire, La Harpe, Beaumarchais, Marmontel), et non pas de coûteuse » (Pierre-Benjamin Lafaye, Supplément du Dictionnaire des synonymes, 1865), « Dispendieux se dit toujours de dépenses considérables, et ne s'emploie qu'au sujet de grandes entreprises, tandis que coûteux se dit pour les moindres dépenses » (Bergerol et Bourguignon, Dictionnaire des synonymes, 1884), « Dispendieux, qui provoque des frais élevés, se dit d'une grande chose ou d'un luxe et implique le gaspillage » (Henri Bénac, Dictionnaire des synonymes, 1957) ;
- abstraite : « On le dira d'une taxe, d'un emploi, non d'un objet » (Ferdinand Brunot, 1930), « L'adjectif dispendieux [...] s'emploie, non pour qualifier des personnes, mais le plus souvent des noms abstraits : des habitudes dispendieuses, un train de vie dispendieux ; des guerres, des voyages dispendieux » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2020), « Dispendieux implique plusieurs dépenses, en parlant de quelque chose d'abstrait » (Office québécois de la langue française), « En français de France, dispendieux se dit plutôt d'habitudes, d'activités ou d'entreprises entraînant des dépenses considérables » (Dictionnaire historique du français québécois, 2023).
Force est de constater que nombreux sont les auteurs à ne pas s'embarrasser de telles restrictions :
(en parlant d'une personne, dont le train de vie, les habitudes, les goûts, les exigences nécessitent de grandes dépenses) « Les femmes n'en sont pas moins dispendieuses [...]. En vérité, il n'y a plus moyen d'y tenir ; il faut voler, ou faire banqueroute » (Louis-Sébastien Mercier, 1775), « [Il] fut bientôt las d'un revenu qu'on bornoit et d'une épouse dispendieuse » (Jean-Gaspard Dubois-Fontanelle traduisant l'anglais d'Anna Maria Bennett, 1788), « L'expérience est un maître dispendieux » (La Décade philosophique, littéraire et politique, 1795), « [Il] avait pensé qu'une petite actrice des boulevards serait peu dispendieuse ; mais en onze mois, Florine lui coûta cent mille francs » (Balzac, 1839), « Il était naturel à Claire Derveneuse d'être dispendieuse » (Henri de Régnier, 1925), « Famille dispendieuse et fantasque » (Guy Mazeline, 1951), « Le bon roi craintif et sa femme dispendieuse » (Henri Queffélec, 1969), « L'antithèse de l'artiste dispendieux est donc le bourgeois » (Michel Onfray, 1993), « Je ne dis pas qu'il faut entretenir l'ignorance comme une courtisane dispendieuse. Elle pourrait finir par nous coûter cher, elle aussi » (Jean-Claude Carrière, 2006), « Il en avait vu des adolescents dispendieux, des flambeurs » (Pierre Lemaitre, 2013), « Tahiti faisait figure de danseuse dispendieuse » (Patrick Deville, 2021) (3) ;
(en parlant d'une chose concrète, dont le coût est plus ou moins élevé) « La difficulté de rassembler tant d'éditions dispendieuses » (Journal de Trévoux, 1737), « Les vêtemens ne sont pas plus compliqués, quoiqu'ils soient bien plus dispendieux » (Volney, 1787), « Livrés aux spéculations de la mode et de la nouveauté, les ouvrages de l'art ne sont plus recherchés que comme des objets dispendieux » (Encyclopédie méthodique, 1825), « Mets dispendieux et délicats » (Narcisse-Achille de Salvandy, 1829), « Il y a aussi un avantage à ce costume dispendieux des paysannes » (Jean de Sismondi, 1834), « Objets peu dispendieux » (Louis-Marie Quicherat, Dictionnaire français-latin, 1844), « Tous les bijoux dispendieux qu'il pouvait acquérir » (Arthur de Gobineau, 1869), « Des denrées jusque-là trop dispendieuses à acquérir » (Proust, 1922), « La plupart des livres n'ont besoin d'être lus qu'une fois. Tout gros lecteur finit par être encombré d'un tas de détritus dispendieux aussi inutiles que ceux de la digestion » (Paul Claudel, 1926 ; Lafaye doit se retourner dans sa tombe), « Les accessoires du cotillon le plus modeste étaient encore assez dispendieux » (Abel Hermant, 1935), « Grand-mère nous chaussait de galoches en été et de bottillons de caoutchouc en hiver. Madame mère les trouva dispendieux » (Hervé Bazin, 1948), « La petite combinaison de soie dispendieuse et sexy qu'elle vient d'acheter » (Madeleine Chapsal, 1998), « L'endroit avait la réputation d'être abominablement cher — le plus dispendieux des établissements parisiens » (Claude Duneton, 2009), « Des achats dispendieux » (Michel Peyramaure, 2017) (4).
Il faut dire que les censeurs eux-mêmes ne sont pas toujours à l'aise avec leurs propres recommandations. La médaille de la maladresse, en la matière, revient à l'auteur de l'article Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, partiellement cité plus haut : « L'adjectif dispendieux, écrit-il, signifie "qui occasionne des dépenses, qui coûte cher". Il s'emploie, non pour qualifier des personnes, mais le plus souvent des noms abstraits. » Pourquoi « le plus souvent » ? ne peut-on s'empêcher de se demander. Sans doute parce que figure dans les éditions de 1835, de 1878 et de 1935 du Dictionnaire de l'Académie un exemple d'emploi avec un nom de chose concrète : « Une maison dispendieuse. » Vous parlez d'un embarras ! Quant à l'acception « qui coûte cher », elle est étrangère audit ouvrage, lequel ne connaît que « ce qui ne se fait qu'avec beaucoup de dépense » (1762-1798), « qui exige beaucoup de dépense » (1835-1935) et « coûteux [pauvre Lafaye, décidément !] » (depuis 1992). Cette initiative est d'autant plus malvenue que l'emploi de dispendieux au sens étendu de « qui coûte cher », quand il serait courant au Canada, « est critiqué par les puristes, en France » d'après le Dictionnaire historique de la langue française. Pour quelle autre raison nous déconseillerait-on d'employer ledit adjectif avec un nom de chose concrète ? « On confond souvent cher et dispendieux, confirme Paul Roux, ancien chroniqueur de langue au journal québécois La Presse. Le premier [qualifie] une chose dont le prix est élevé ; le second, une chose qui entraîne des dépenses. Une voiture de grand luxe est plus chère qu'une [petite citadine], mais l'une et l'autre peuvent être dispendieuses. » (5) De là l'ambiguïté de l'ancien exemple donné par les académiciens : une maison dispendieuse, comprenez qui exige beaucoup de dépenses (de remise en état ou d'entretien), peut s'entendre au sens litigieux de « dont le prix (d'achat) est élevé », contrairement à un train de vie dispendieux, des goûts dispendieux, etc.
On retiendra que la nature, concrète ou abstraite, du nom qualifié importe moins, n'en déplaise au service du Dictionnaire de l'Académie, que le sens dans lequel l'adjectif est employé (6).Vous l'aurez compris : les spécialistes de la langue ont bien du mal à rendre scrupuleusement compte de l'usage de dispendieux. Ajoutez à cette situation déjà confuse le fait que le mot, qui n'était pas du beau style à l'origine, est désormais considéré comme soutenu ou littéraire (selon le Robert méthodique et le Larousse en ligne [7]) dans son acception « régulière », mais comme populaire ou familier (selon le Grand Robert, mais pas selon le Larousse en ligne) dans son acception critiquée − laquelle est d'usage courant chez nos cousins québécois −, et vous ne manquerez pas de vous demander, avec Bernard Cerquiglini, si dispendieux est un adjectif qui vaut vraiment... le coût !
(1) On notera qu'avant de se spécialiser dans le domaine financier dispendieux s'est également employé − sous l'influence de onéreux (dérivé du latin onus, oneris « charge, fardeau, poids ») ? − au sens de « lourd, pénible, difficile à faire ou à supporter », quel que soit le domaine d'application. Déjà, en latin : « Dispendiosus. 1 Dommageable, nuisible, préjudiciable. 2 Lourd, onéreux. Dispendioso labore quaerere (Cassiodore, VIe siècle). Rechercher à grand'peine » (Louis-Marie Quicherat, Dictionnaire français-latin, 1844). Cette acception ancienne est encore attestée au XIXe siècle : « Le travail lent et dispendieux des grands bœufs [de labour] » (Sand, 1857).
(2) Le même phénomène s'observe en latin : « Sumptuosus. 1 Coûteux, onéreux, somptueux. 2 Dépensier, prodigue, fastueux » (Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français, 1934) et en grec : « Dapaniros. 1 Dépensier. 2 Dispendieux » (Alexis Chassang, Lexique grec-français, 1880).
(3) Et aussi : « [Dorat] peuploit la salle d'amis dispendieux qui donnoient à sa pièce l'air d'être suivie » (Jean-Baptiste-Denis Despré, 1827), « Mais comment avait-il pu tenir ses ressources [...] au niveau d'une maîtresse dispendieuse ? » (Eugène Deligny, 1877), « Les caprices des comédiens dispendieux » (Jacques de Launay, 1988), « Mademoiselle de Kœnigsmark était une compagne dispendieuse » (Frédéric Hulot, 1989), « Tout fonctionne comme si chaque ministre était perçu comme un irresponsable ou un enfant dispendieux » (Lionel Jospin, 1991), « [Gustav Ottrott] était difficile à nourrir, exigeant, dispendieux » (Elvire de Brissac, 1993), « Leurs épouses dispendieuses ou infidèles » (Jean Hatzfeld, 2007), « Une épouse dépossédée de ses biens par un mari dispendieux » (Robert Alexis, 2008), « On le taxait [...] de pédant oiseux et dispendieux » (Patrick Roegiers, 2010), « Un maire dispendieux » (Alfred Gilder, 2014), « Naturellement dispendieux, très généreux avec la gent féminine, von Bismarck finira par s'endetter lourdement » (Michel Meyer, 2019).
(4) Et aussi : « En mettant [...] la voix au rang des instrumens musicaux, il sera vrai de dire qu'il en est le premier, le plus attrayant et le moins dispendieux » (Mercure de France, 1805), « Un ouvrage rare et dispendieux » (J. Estinbert-la-Servière, 1806), « Ce potage, très dispendieux, ne se montre que sur les tables somptueuses » (Charles-Yves Cousin d'Avallon, 1825), « Les épaulettes [d'officier] coûtent moitié plus cher qu'il y a trente ans. Elles seront encore plus dispendieuses à présent qu'une nouvelle ordonnance vient d'en augmenter le luxe » (François-Gervais-Édouard Lecouturier, 1825), « Tel instrument coûteux d'agriculture qu'il peut y avoir de l'économie à employer dans une grande exploitation serait d'un usage onéreux dans une petite ferme où il n'y a pas assez d'ouvrage à faire pour qu'un outil dispendieux y rapporte l'intérêt du prix qu'il a coûté » (Charles Dunoyer, 1845), « Cette étoffe dispendieuse » (Francisque Michel, 1852), « Pour lui, un piano était un meuble dispendieux mais nécessaire » (Paulin Niboyet, 1885), « Ils tâchaient d'obtenir [...] quelques-uns de ces rares et dispendieux instruments de travail. Une grammaire manuscrite était une petite fortune » (Gustave Carré, 1888), « Qu'il n'y ait dorénavant aucun tableau dispendieux ou recherché (tabulae sumptuosae seu curiosae) au-dessus de l'autel » (Christian Mouchel, 2001), « Des tenues dispendieuses » (Mona Ozouf, 2001), « Montre dispendieuse au poignet » (Maxime Chattam, 2022).
(5) Et aussi : « − Dispendieux n'est-il pas français ? − Si, Madame. Mais vous l'avez improprement employé dans le sens de coûteux ou de cher. Dispendieux se dit d'une chose qui occasionne beaucoup de dépenses prévues ou imprévues. Un cheval et une voiture sont dispendieux, parce qu'en dehors du prix d'achat il faut compter la dépense indispensable d'un palefrenier, des harnais et de leur entretien, du fourrage, de la ferrure, d'une écurie, d'une remise, et de bien des frais accidentels. La fréquentation habituelle du théâtre, même si l'on y va sans payer, est dispendieuse à cause des dépenses de toilette, de voitures, etc., que cela occasionne. Mais un piano, même lorsqu'on le paie à haut prix, n'est pas un objet dispendieux, attendu qu'une fois payé il n'entraîne d'autres frais que les frais d'accordage, ce qui est insignifiant [...]. Coûteux se dit de toute dépense élevée. Mais une chose peut être très coûteuse et n'être nullement dispendieuse. Elle peut même être très avantageuse. Ainsi certaines valeurs de tout repos, des actions de certaines lignes de chemins de fer, par exemple, qui produisent 10 ou 12 pour cent d'intérêt annuel, peuvent avoir été acquises pour un prix bien supérieur à leur prix d'émission. Elles ont coûté cher, mais elles sont d'un bon rapport, par conséquent avantageuses et non dispendieuses. Une ouvrière qui achète une machine à coudre à crédit la paiera deux fois sa valeur, c'est vrai. Ce sera un achat coûteux. Mais lorsqu'elle se sera libérée, le travail qu'elle accomplira avec sa machine lui donnera toutes les compensations désirables. L'acquisition d'une machine à coudre dans ces conditions est donc coûteuse, elle n'est pas dispendieuse. Vous voyez, Madame, qu'il y a une très grande différence de sens entre ces deux mots. On dit un objet cher, une étoffe chère, pour indiquer qu'ils sont d'un prix relativement élevé, tandis que coûteux marque l'élévation réelle de ce prix. Une maison de 100 000 francs peut être très bon marché par rapport à sa valeur réelle, c'est toujours une dépense coûteuse, à laquelle il faut appliquer une somme considérable dans toutes les circonstances et dans tous les pays. D'une pièce de drap vendue 200 francs, et manifestement au-dessus de sa valeur, on dira que c'est une marchandise chère, et non une marchandise coûteuse. Cependant il n'y a là qu'une nuance, car coûteux et cher peuvent à la rigueur se dire l'un pour l'autre. Mais je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il vaut toujours mieux observer la nuance » (Henri Roullaud, Rectification du vocabulaire, 1908).
(6) Comparez avec : « L'emploi de dispendieux associé à des objets concrets dans le sens de "cher à l'achat" est parfois critiqué » (dictionnaire en ligne Usito).
(7) « Littéraire. Qui nécessite une grande dépense, de grands frais ; cher, onéreux : Train de vie dispendieux » (Larousse), « On dit plus simplement coûteux » (Jean-Paul Colin).
Remarque 1 : On se gardera d'altérer dispendieux en dispensieux, graphie fautive (par attraction de dépense ?) qui se trouve, par exemple, dans une édition de 1840 des Stuarts d'Alexandre Dumas.
Remarque 2 : Pour ne rien simplifier, un adjectif despendeux est également attesté en moyen français, avec un sens sur lequel les spécialistes ont tout autant de mal à s'accorder : « dépensier » (selon Godefroy) mais « dispendieux » (selon Sainte-Palaye).
Ce qu'il conviendrait de dire
La même chose (jeu de mots oblige).
Tags : discriminer, sens, constructions
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Commentaires
Très utile et bien documenté, bravo comme toujours !
Pour compléter par un élément plus linguistique qu'académique, je donne ici quelques remarques après étude des fréquences du mot dans les publications depuis 1700 (issues de Google Books) :
1. Le terme (flexions au féminin et au pluriel comprises) apparait bien vers 1740 et connait une progression fulgurante en cinquante ans. Depuis le début du XIXe siècle, il ne cesse de reculer pour revenir de nos jours à un niveau… dérisoire.
2. Il est difficile d'analyser les substantifs les plus associés mais on voit clairement ressortir une utilisation importante avec le mot guerre(s) à la fin du XVIIIe siècle. À l'évidence, c'était le terme de référence pour ce qu'ont couté les campagnes militaires de la Révolution et de l'Empire…