« En France, le diagnostic spécifique de la Covid-19 est réalisé actuellement par une méthode de biologie moléculaire sur un écouvillonnage nasopharyngé dont le résultat est obtenu en 24 heures. »
(Franck Nouchi, sur lemonde.fr, le 14 mars 2020.)
Ce que j'en pense
Non content de mettre notre santé et nos nerfs confinés à rude épreuve, voilà que le fléau fraîchement baptisé COVID-19 par l'OMS (1) s'invite sur le terrain autrement secondaire de la langue. C'est qu'il ne vous aura pas échappé que son genre grammatical est aussi incertain que la durée d'une quarantaine sanitaire : majoritairement masculin en français hexagonal, il est le plus souvent féminin chez nos cousins québécois. Comparez : « Une adolescente de 12 ans est morte en Belgique des suites du Covid-19 » (Libération) et « Une adolescente de 12 ans est morte en Belgique des suites de la COVID-19 » (Le Journal de Montréal).
Pourtant, nul besoin de potion à la chloroquine, à en croire les spécialistes de la langue, pour venir à bout de la question du genre des sigles, évacuée d'un trait de plume aseptisé : « Quant au genre donné au sigle, c'est normalement celui du nom de base de l'ensemble » (Hanse), « Il faut retenir comme règle que tout sigle prend le genre du premier substantif énoncé » (Dupré), « Les sigles et les acronymes prennent le genre du mot principal qui les compose » (Le Bescherelle pratique), « Le genre d'un sigle ou d'un acronyme est déterminé par le genre du noyau du groupe nominal que le sigle ou l'acronyme formait avant la réduction » (site Internet de l'Académie française). Voire. Car enfin, si l'affaire est aussi simple, pourquoi l'usage n'en finit-il pas d'hésiter entre une et un H.L.M. (habitation à loyer modéré) ? « En principe féminin (comme habitation), mais l'influence du genre de immeuble fait que H.L.M. est souvent employé au masculin. L'emploi au masculin est aujourd'hui si fréquent qu'il ne peut plus être considéré comme fautif », lit-on dans le Larousse en ligne. Au demeurant, la règle formulée à la va vite par nos experts manque singulièrement de précision − vaut-elle pour tous les sigles ou seulement pour ceux formés à partir de mots français ? − et de cohérence − doit-on considérer le genre du nom de base ou celui du premier substantif énoncé ? Vous l'aurez compris : le flottement de genre observé dans le cas qui nous occupe n'a, hélas ! rien d'exceptionnel.
Les tenants du féminin, au premier rang desquels se trouvent l'Office québécois de la langue française, l'Organisation mondiale de la Santé et (depuis le 7 mai 2020) l'Académie française, font valoir que les sigles en langue étrangère prennent le genre qu'aurait en français le nom de base de la forme développée. COVID-19 étant en l'espèce un acronyme anglais qui signifie « Coronavirus Disease 2019 » − comprenez : maladie à coronavirus 2019 (2) −, il paraît logique de lui donner en français le genre du mot maladie. Le camp adverse observe de son côté que ladite règle souffre de nombreuses exceptions (laser = Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation, radar = Radio Detection And Ranging, ADSL = Asymmetric Digital Subscriber Line, qui devraient être féminins ; URL = Uniform Resource Locator, qui hésite entre les deux genres) et que le masculin, en tant que genre indifférencié, se justifie pleinement dans le cas des sigles étrangers exprimés au neutre (3). À la réflexion, un autre élément joue vraisemblablement en faveur du masculin : la confusion entre la dénomination officielle de la maladie (COVID-19) et celle du virus qui en est responsable (à savoir le SARS-CoV-2 pour « coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère »). Ne lit-on pas sur le site Internet du ministère (français) de la Santé : « Retrouvez toute l'information sur le coronavirus COVID-19 » ? (4) Grande est en effet la tentation de tenir l'acronyme COVID-19 pour masculin parce que l'on pense spontanément au nom (corona)virus plutôt qu'à « maladie à coronavirus 2019 ».
Une chose est sûre, en attendant le verdict de l'usage : au masculin ou au féminin, il s'agit là d'une belle saloperie...
(1) Le 11 février 2020 précisément.
(2) Composé des mots latins corona (« couronne ») et virus (« suc, poison »), le terme coronavirus désigne une famille de virus reconnaissables à leur capsule de protéines en forme de couronne. Quant au nombre 19, il correspond à l'année de découverte du virus en question chez l'être humain.
(3) Force est de constater, là encore, que les contre-exemples ne sont pas rares : la BBC (British Broadcasting Corporation), la CIA (Central Intelligence Agency).
(4) Cela revient à écrire : « Retrouvez toute l'information sur le virus sida (au lieu de : sur le V.I.H.). »
Remarque 1 : D'autres arguments en faveur du masculin fleurissent sur les forums de langue :
- « Les noms de maladie ne sont pas forcément féminins : le choléra, le typhus... » Mais là n'est pas la question : nous nous intéressons ici au genre des sigles (ce que ne sont ni choléra ni typhus).
- « En français hexagonal, c'est le masculin qui s'est établi dans l'usage général. Il est trop tard pour faire machine arrière. » COVID-19 n'a que quelques semaines d'existence ; il est permis d'espérer...
- Plus étonnant : « On ne peut pas passer sans cesse, dans les écrits et dans les propos, de "la Covid" à "le coronavirus", et inversement » (selon Jean-Pierre Colignon). C'est pourtant ce que l'on fait avec la grippe et le virus de la grippe, le sida et le V.I.H.
Remarque 2 : L'Académie française distingue les acronymes, qui se prononcent comme des mots ordinaires et s'écrivent en majuscules et sans points (UNESCO, ENA, OTAN), des sigles, dont chaque lettre est épelée et dans lesquels on place des points après chaque lettre (S.A.R.L., R.A.T.P., O.G.M., P.-D.G.). Par ailleurs, un acronyme lexicalisé (delco, laser, ovni, radar, sida) se comporte comme un nom commun : il perd ses majuscules et s'accorde en nombre.
Ce qu'il conviendrait de dire
La COVID-19 (selon l'OMS), Le COVID-19 (selon le ministère de la Santé) ou, de façon unanime, La maladie à coronavirus 2019.