« "Un tien vaut mieux que deux tu l'auras" dit le proverbe. »
(Charles Foucault, sur usinenouvelle.com, le 10 avril 2015)
(Le petit Poisson et le Pêcheur, illustration de Gustave Doré)
Ce que j'en pense
Eh bien non, justement, ce n'est pas ce que dit le fameux proverbe. J'en veux pour preuve la graphie unanimement retenue par les ouvrages de référence depuis le XIXe siècle (Académie, Littré, Bescherelle, Grevisse, Larousse, Robert) : Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, comprenez la possession d'un bien présent, quelque modique qu'il soit, est préférable à la promesse d'un bien plus considérable.
Tiens, tiens, se demanderont certains d'entre nous, mais que vient faire ce s à tiens ? C'est qu'il s'agit de l'impératif présent du verbe tenir, ici dans un emploi substantivé (1), et non du pronom possessif tien comme on le croit trop souvent. Rien que de très logique, au demeurant, tant notre langue − que l'on sait peu encline à mélanger les torchons et les serviettes − s'attend, dans ce type de construction, à ce qu'une forme verbale fasse pendant au futur tu l'auras.
Mais voilà : les esprits rebelles ne manqueront pas de faire remarquer que l'Académie elle-même, dans la première édition de son Dictionnaire (1694), écrit : « On dit proverbialement Un tien vaux mieux que deux tu l'auras ». La graphie sans s se trouve également dans le Dictionnaire de Richelet (1680), dans le Dictionnaire de Furetière (1690), dans le Dictionnaire de Trévoux (1771), ainsi que dans une édition des Fables de La Fontaine publiée en 1668 : « Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras » (Le petit Poisson et le Pêcheur). Voudrait-on nous faire croire, après tout, qu'un pronom possessif employé comme nom masculin au sens de « ce qui t'appartient en propre »... ça se tient ? C'est oublier que tien correspond d'abord à la forme ancienne de l'impératif tiens. L'ajout du s à l'impératif des verbes du troisième groupe ne s'est généralisé qu'assez tardivement et Jean Nicot écrivait encore dans son Trésor de la langue française publié en 1606 : « Tien regarde », « Tien, tien, vien ça » et, partant, « J'aime mieux un tien, que deux tu l'auras ». Les académiciens de 1694 ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont pris soin d'enregistrer ledit proverbe − fût-il orthographié à l'époque sans s à tien − à l'entrée tenir (au sens concret de « garder dans sa main ») et non à l'entrée tien, preuve s'il en était encore besoin qu'ils avaient bien conscience d'avoir affaire à la forme verbale et non au possessif. Tenez-vous-le pour dit !
(1) « Par l'adjonction d'un déterminant, tout mot et même tout élément de la langue peut devenir un nom » (Nouvelle grammaire française de Grevisse). L'impératif ne fait pas exception : Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Un rendez-vous.
Remarque 1 : Force est de constater que les spécialistes sont partagés sur l'analyse de la forme conjuguée. Selon les sources, il s'agirait non pas du présent de l'impératif, mais du présent de l'indicatif du verbe tenir à la première personne du singulier (« Un je tiens, vaut mieux que deux tu l'auras » lit-on dans Les Ursulines de Québec, 1866), à la deuxième personne du singulier (« Dans le proverbe un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, on n'a pas affaire au possessif, mais à la forme verbale tu tiens », dans la Grammaire française de Knud Togeby, 1982), voire... à la troisième personne du singulier (« Un tient vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras », dans le Dictionnaire critique de la langue française de Féraud, 1787) ! Voilà qui n'arrange rien à notre affaire...
Remarque 2 : Il suffit de se promener sur la Toile pour constater que notre proverbe a connu de nombreuses variantes : « assez vaut miex un tien que quatre tu l'auras » (Aye d'Avignon, fin du XIIe siècle), « mieux vaut un tien que deux auras » (fin du XIIe siècle), « Mieus vaut un tien ne font deus qu'on atent » (Adam de Givenchy, XIIIe siècle), « J'aimeroye, pour le cueur mien, Mieux que tu l'auras, un tien » (Charles d'Orléans, XVe siècle), « Mieux vaut un tenez que deux vous l'aurez » (Dictionnaire français-anglais de Cotgrave, 1673) ; et, ironiquement : « Tant vaut tiens que chose promise » (Villon) ; « Ainsi sommes-nous faits que deux tiens valent moins à nos yeux qu'un tu ne l'auras jamais » (Mauriac). Sans doute le vaut-il bien...
Ce qu'il conviendrait de dire
Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.