« On va arrêter avec les explosions. Rapport à mon appartement. »
(publicité pour les brownies Granola)
Ce que j'en pense
Rapport à ? Autant préciser d'emblée que les palais les plus délicats n'ont guère d'appétit pour ce biscuit-là. C'est que le bougre − qui, vous l'aurez deviné, n'est autre que la forme abrégée de par rapport à, gauchement employée au sens de « à cause de » (Il n'a pas pu venir rapport à son fils qui est malade) ou de « au sujet de, à propos de, en ce qui concerne » (Je vous écris rapport à notre affaire) − ressortirait à la langue « familière » (Académie), « relâchée » (Larousse en ligne), « populaire » (Littré, Thomas, Girodet), « populaire ou très familière » (Goosse, Hanse) ou « très vulgaire » (Dupré). Vous voilà prévenus !
Sans doute me rétorquera-t-on, et avec quelque apparence de raison, que ledit tour est attesté de longue date en littérature. Certes, confirme Dupré, mais sous des plumes qui, cherchant à imiter le parler des faubourgs, versent dans l'« affectation comique d'incorrection » : « C'est que ma mémoire se brouille, rapport à cet autre » (Marivaux), « Le président du conseil a dit deux mots dans le tuyau de l'oreille [du préfet de police], rapport à vous » (Balzac), « [Il] tourne autour de ma jupe, rapport à mes rentes » (Balzac), « Pourquoi donc ? demandai-je. Pardi, rapport à sa maison, reprit le garde champêtre » (Émile Souvestre), « Aujourd'hui il s'est retardé, rapport à un enterrement, qu'il a dit à Joseph » (Alphonse Daudet), « C'est toujours rapport à ton jardin ? » (Henri Lavedan), « Ici tous les employés partent, rapport à la loge » (Proust), « C'est rapport à vot' dame » (Henri Bauche), « D'abord, essuie-toi les pieds, rapport au tapis » (Bernanos), « Tu vas pas chialer, rapport au temps ? dit-il » (Francis Carco), « − Dites donc, vous savez, c'est vrai ce qu'on raconte des pendus. − Quoi donc ? demande Étienne. − Rapport à la virilité » (Queneau). À y regarder de plus près, force est pourtant de constater que la fortune de rapport à à l'écrit ne s'est pas toujours limitée au seul registre de la dérision : « Il avait pris par les rives de l'Ouest, rapport au coup d’œil qu'il avait donné par là » (Alphonse de Châteaubriant), « On fait son ménage avec d'infinies précautions, rapport aux papiers qui encombrent tous les fauteuils » (Armand Hoog, cité par René Georgin).
D'aucuns se demanderont encore si redonner à la locution sa forme pleine suffit à se prémunir contre toute critique. Rien n'est moins sûr. Car, si par rapport à s'est effectivement dit au sens de « en ce qui concerne », cet emploi semble tombé en désuétude à en croire André Goosse. Quant à par rapport à au sens de « à cause de », il n'en demeure pas moins suspect que sa forme réduite : ne lit-on pas dans Le Bon Usage que ladite nuance causale s'est observée « dans le langage parlé, surtout populaire » ?
Vous l'aurez compris : si, à l'oral, le tour rapport à peut à la rigueur se concevoir, spécialement dans la bouche d'une étudiante en train de se gaver de brownies comme dans la publicité qui nous occupe, à l'écrit, mieux vaut passer son chemin, sous peine de friser l'indigestion.
Remarque 1 : La langue populaire se sert aussi de rapport à ce que, rapport que.
Remarque 2 : Littré admet par rapport à pour exprimer, non la cause, mais le but : Il a fait cela par rapport à vous, c'est-à-dire « en vue de vous obliger, pour vous ».
Remarque 3 : Selon Napoléon Caillot (Grammaire générale, 1838), avoir rapport à exprimerait une idée de liaison, de relation (les effets ont rapport aux causes), quand avoir rapport (du rapport, un rapport, des rapports) avec renfermerait une idée d'analogie, de ressemblance, de conformité (nos plus belles tragédies ont beaucoup de rapport avec celles des Grecs). De nos jours, observe Hanse, avoir rapport à n'a plus guère ce sens, mais signifie « avoir trait à, concerner ».
Ce qu'il conviendrait de dire
On va arrêter avec les explosions. Ce n'est pas bon pour mon appartement (?).