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Un point d'interrogation

« Avant qu'il ne devienne ministre de l'Intérieur, Bruno Le Roux a fait signer 24 contrats de collaboratrices parlementaires à ses filles, dès l'âge de 15 ans. Certaines dates interrogent sur la réalité de leur travail. »
(paru sur lefigaro.fr, le 21 mars 2017)

(photo Wikipédia sous licence GFDL par Sébastien Denaja)

 

 FlècheCe que j'en pense


Il y a de quoi s'interroger, en effet. Car enfin, le verbe interroger ne se construit-il pas exclusivement avec un nom de personne (ou de chose personnifiée) comme sujet, sur le modèle : quelqu'un interroge quelqu'un (ou quelque chose) sur quelqu'un (ou sur quelque chose) ?

Inutile d'interroger les ouvrages de référence, peu diserts sur le sujet. Dupré évoque bien la construction dudit verbe, emprunté du latin interrogare, mais ne s'intéresse qu'à ses compléments : « Interroger se construit de façon transitive directe avec le nom de la personne (ou de la chose) ; ce qui fait l'objet de l'interrogation est amené indirectement, par la préposition sur. Interroger un candidat sur la géométrie. » Quid du sujet ? Mystère. À ma connaissance, seul le Centre de communication écrite de l'Université de Montréal prend clairement position : « Quant au verbe interroger, son sujet doit toujours être humain : quelqu'un interroge. Quelque chose ne peut interroger quelqu'un. Notons cependant que [...] interroger peut s'employer avec un complément inanimé (contrairement à questionner [*]) » au sens figuré de « examiner avec attention pour trouver une réponse à des questions » (interroger les faits, le passé, le ciel, sa mémoire, sa conscience).

La construction suspecte n'est pourtant pas rare. Témoin ces exemples glanés sur la Toile : (avec ellipse du COD) « Cela interroge sur la nature même du scrutin » (Le Monde), « Cela interroge sur la crédibilité de ces instituts de sondage » (L'Express), « Cela interroge sur la conscience de soi » (L'Humanité), « Cette affaire interroge sur le statut juridique des lanceurs d'alerte » (France Info) ; (avec ellipse du COI) « Cette question interroge la pratique même des médecins » (texte daté de 1857), « Cette question interroge les juifs, elle interroge aussi les chrétiens » (L'Express), « Cette affaire interroge aussi deux concepts qui ont été banalisés par les médias » (Le Figaro). J'entends déjà les avocats de la défense crier au mauvais procès. Il faut bien avouer − pour peu que l'on fricote avec ceux du diable − qu'il n'existe pas d'équivalents simples en français correct. Selon le contexte, on citera à la barre : cela attire notre attention sur, cela nous incite à nous interroger sur ; cela fait douter de, cela met en doute, cela (re)met en question, etc. Fin de l'interrogatoire.


(*) Sur ce point litigieux, voir le billet Questionner.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Certaines dates font douter de la réalité de leur travail.

 

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M
R' je ne sais pas si cette phrase que je trouve dans Le Bon Usage {Chap. 983b} ferait/irait bien  pour l'affaire Le Roux: Autrement grave sont les faits sur lesquels il nous reste à appeler l'attention. Merci.
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M
Bonjour M. Marc, en tant que ministre de l'Interieur n'aurait-il pas été plus convenable ou décent d'exprimer ou de penser  que certaines dates interpellaient le bon sens et la morale ? 
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H
Fillon-nous cependant à l'analyse de Marc ! 
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Y
Pour tout dire, moi aussi je m'interroge sur cette, fréquente (à la limite de l'indigestion) utilisation d'interroger, qui, part ailleurs, n'est même pas forcément toujours adapté au contexte. Il en va de même pour "questionner" d'ailleurs.<br /> En fait je me demande si le problème fondamental ne vient pas d'un appauvrissement du vocabulaire des rédacteurs.
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T
Je pense à « nous permettent de nous interroger » ou « nous poussent à nous interroger », mais votre solution est plus élégante.
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