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Un "ne" peut en cacher un autre

« L'attaque [de l'Iran contre Israël] a été "déjouée" mais a suscité de vives condamnations dans le monde [et] des appels à la retenue pour ne pas que la situation ne s'embrase davantage dans la région. »
(lu sur marianne.net, le 14 avril 2024.)

  

FlècheCe que j'en pense


Chronique de langue oblige, je me garderai bien de me prononcer sur le fond de l'affaire. Pour ce qui est de la forme de l'article paru sur le site du journal Marianne, c'est une autre histoire...

La question de l'emploi de pour (ne) pas que a fait couler beaucoup d'encre et suscité bien des controverses, dont Étienne Le Gal nous donne un aperçu :

« Si vous dites, selon le tour officiellement admis : je lui téléphone pour qu'il ne m'attende pas, la négation complète n'apparaît qu'après le verbe. La portée négative de la phrase en est d'abord affaiblie. Or, ce que veut l'esprit, c'est insister sur le côté négatif de la phrase. Ce qui lui importe, c'est que la chose ne se fasse pas. La marche de la pensée est telle que, naturellement, la négation est mise en avant, entière, en bloc, pourrait-on dire. C'est pourquoi on dit souvent : [je lui téléphone pour ne pas qu'il m'attende]. Bref, pour ne pas que, ainsi employé, devient une sorte de locution conjonctive négative, réplique de pour que. Il est possible, au surplus, que si pas développe sa force négative − et il peut la développer, car il porte l'accent et ne s'élide pas − pour ne pas que se réduise à pour pas que, aujourd'hui populaire. Telle est la thèse des partisans de pour ne pas que.
Que leur répondent les partisans du tour officiel [pour que... ne... pas] ? Ils répondent d'abord que pour ne pas que, sorte de locution conjonctive, n'est pas heureux, parce que nos locutions conjonctives pour que, bien que, afin que forment un tout dans lequel on ne peut introduire un élément étranger. Certes, répondent les premiers, il faut éviter, en principe, de désarticuler une locution conjonctive. Mais peut-on méconnaître l'usage ? N'écrit-on pas couramment "à condition, bien entendu, que", "ainsi d'ailleurs que", "pourvu néanmoins que", "sans toutefois que" ? La règle, par suite, souffre des tolérances. Les adversaires de pour ne pas que mettent alors en avant l'analogie et la logique. Si l'on dit pour ne pas que, pour pas que, il faut admettre afin ne pas que, parce que pas que, bien pas que. Cette influence analogique, leur dit-on, n'est pas à craindre ici. C'est l'emploi répété de pour ne pas devant l'infinitif qui nous a valu pour ne pas que [1] ; pour ne pas étant devenu, en quelque sorte, inséparable. Rien de tel avec bien que, parce que. A-t-on jamais dit : bien ne pas faire, parce que ne pas faire ? Même avec afın que, le cas est différent, car, dans afin de ne pas faire, la préposition de s'intercale entre afin et ne pas précédant l’infinitif. La cohésion de pour ne pas n'existe donc pas ici. Ainsi pensent les défenseurs du tour nouveau » (Parlons mieux, 1953) (2).

Est-il besoin de préciser le camp choisi par l'Académie ?

« La subordonnée complétive de but, encore appelée complétive finale, peut être introduite par la locution conjonctive pour que : Il prie pour qu'il pleuve. Lorsque cette subordonnée est à la forme négative, la négation se trouve à l'intérieur de la subordonnée, c'est-à-dire après pour que : Il prie pour qu'il ne pleuve pas. Placer [...] ne pas entre pour et que est une incorrection, qui s'accompagne souvent de l'omission de la négation ne » (rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet, 2014).

Seulement voilà : l'auteur dudit avertissement serait sans doute surpris d'apprendre que se multiplient les exemples, à l'instar de celui qui nous occupe aujourd'hui, où ne prend sa revanche en se maintenant dans la subordonnée. Je vous laisse apprécier l'ampleur de la riposte :

« Pour ne pas qu'ils ne causent de nouveaux dégâts » (journal Le Bien public, 1906), « Protégez toujours vos viroles par un obturateur [...] pour ne pas qu'elles ne s'encrassent » (La Revue limousine, 1927), « Pour ne pas que cela ne devienne une rengaine » (journal Le Populaire, 1950) et, plus près de nous, « Pour ne pas que la France ne cède à la tentation de donner des leçons sur tous les sujets » (Hubert Védrine, 1998 ; discours), « Pour ne pas que l'affaire ne se termine en eau de boudin » (Le Télégramme, 2017), « Nathalie Quintane a écrit ce livre pour ne pas qu'on n'oublie qu'il s'est passé quelque chose » (site des éditions P.O.L., 2018), « Racheter des locaux pour ne pas qu'ils ne restent vides » (L'Est éclair, 2020), « Pour ne pas que la situation ne dégénère » (France 3, 2022), « Pour ne pas que cela ne se reproduise » (Radio France, 2023), « Pour ne pas que cela ne l'épuise complètement » (Ça m'intéresse, 2023), « Pour ne pas qu'il n'y ait de préjudices » (France Bleu, 2023), « Encercler la victime pour ne pas qu'elle ne s'enfuie » (Ouest-France, 2024), « Pour ne pas que sa femme ne le croise dans un état second » (Le Télégramme, 2024) (3).

J'entends d'ici les mauvaises langues railler l'esprit de contradiction des Français, qui n'aiment rien tant que se passer de la négation ne le lundi (« Ils sont entrés en donnant des ordres : "Bougez plus !" ») et la redoubler le mardi (« J'ai fait le mort. Je n'ai pas voulu bouger pour ne pas qu'ils ne viennent me finir »). Pourrait, à la rigueur, se justifier la séquence pour pas que... ne, dont l'ordre singulier des termes trahit le trouble de l'usager, partagé entre « le désir instinctif d'énoncer la particule négative aussi près que possible du début de la phrase » (dixit les Le Bidois) et le souci de respecter la règle qui veut que ne soit directement lié à un verbe :

« Pour pas qu'il ne s'enferre en essayant de nier » (Alfred Rastoul, 1887), « Pour pas qu'il ne l'ignore » (journal Le Diable rouge, 1910), « Pour pas qu'il ne s'évade » (Sorj Chalandon et Pascale Nivelle, 1998), « Pour pas que l'Histoire ne soit un éternel recommencement » (Le Télégramme, 2010), « Pour pas qu'il ne m'oublie » (Le Monde, 2018), « Pour pas qu'elle ne s'abîme » (France Bleu, 2021), « Pour pas qu'elle ne bascule » (BFM TV, 2022), « Pour pas qu'elle ne pleure » (AFP, 2023), « Pour pas qu'il ne se passe ce genre de chose » (TF1 Info, 2023), « [Du riz] tiède pour pas qu'il ne cuise le poisson » (Libération, 2024), « Pour pas qu'il ne s'enfuie » (La Voix du Nord, 2024).

Mais l'argument ne vaut pas pour pour ne pas que... ne. Que peut bien expliquer cette déroutante combinaison ? Une nouvelle analogie, pardi ! Et c'est un linguiste suédois qui nous met sur la voie : « Ce qui est nié [avec pour ne pas que], ce n'est pas le prédicat de la subordonnée, mais la relation, le rapport qu'exprime la conjonction pour que, c'est-à-dire l'intention. Pour ne pas qu'il vienne est proche, pour le sens, de pour éviter qu'il ne vienne » (Alf Lombard, Den franska Konjunktionen pour pas que, 1948). Vous aurez compris que les deux ne de pour ne pas que... ne ne sont pas forcément de même nature : si le premier est toujours négatif, le second peut être analysé comme explétif.

Quitte à subir l'influence du verbe éviter, me direz-vous, pourquoi ne pas inviter l'intéressé aux premières loges ? André Thérive approuve l'idée : « Vous n'osez point [écrire, selon l'instinct, pour pas que] ? Alors employez d'autres artifices, avec empêcher, éviter, etc. » (Les Nouvelles littéraires, 1927). « Usons, si possible, de l'infinitif, qui est léger, renchérit Le Gal : faisons tout pour l'empêcher de [venir]. » Bref, évitons autant que faire se peut de sortir l'artillerie lourde et redondante...
 

(1) Dans l'ancienne langue (et encore souvent à l'époque classique), la locution négative encadrait l'infinitif : « [Pour ce] est-il bon de ne se haster point » (Geoffroi de La Tour Landry, 1372), « Elle amast mieulx n'y aller point » (Les Quinze Joyes de mariage, vers 1430), « [Elle] commencea à ne le chercher pas » (Marguerite de Navarre, avant 1549), « Falloit-il que je te revisse pour ne te revoir jamais plus ? » (Honoré d'Urfé, 1619), « Il verra ce que c'est que de n'obeïr pas » (Corneille, 1637), « Pour ne vous perdre pas, j'ay longtemps combattu » (Jean de Rotrou, 1647). Il faut attendre le XVIe siècle pour voir apparaître les premières attestations de la construction moderne (avec les deux éléments de la négation placés avant l'infinitif) : « Car par ainsi pourrés estre quicte de n'en point donner » (Philippe de Vigneulles, vers 1505) et la fin du siècle suivant pour qu'elle se répande dans l'usage, avec la bénédiction de Vaugelas : « Il est à noter qu'avec les infinitifs pas et point ont beaucoup meilleure grace estant mis devant qu'apres, par exemple pour ne pas (ou point) tomber dans les inconvenients est bien plus elegant que de dire pour ne tomber pas (ou point) dans les inconvenients » (Remarques, 1647).

(2) Un autre argument en faveur de la construction pour (ne) pas que est parfois avancé : « Il paraît souvent normal de dire que l'on a le même sens dans le couple d'énoncés suivant : pour qu'il tombe pas, pour pas qu'il tombe. Or ici les formes concurrentes sont révélatrices d'un découpage différent des significations [...]. Seule la forme pour pas que permet de faire porter la négation sur un couple de verbes, comme c'est le cas dans : je fais ça pour pas que plus on l'énerve moins il parle, ce qui est impossible avec pour que... pas » (Groupe aixois de recherche en syntaxe, 1980), « Il est possible de mettre en regard pour pas qu'il parle et (qu'il) fasse tout rater, avec une négation externe portant sur les deux propositions, et pour qu'il ne parle pas et (qu'il) ne fasse pas tout rater, avec une négation interne qu'il est nécessaire de répéter dans chaque proposition » (Frédérique Fleck, 2008).

(3) Je laisse de côté les pures redondances du type pour ne pas que... ne... pas (combinaison de pour ne pas que et de pour que... ne... pas), dont la fréquence ne laisse pas d'étonner : « Pour ne pas que ses parents ne sachent pas qu'il est acteur » (Guy Deloeuvre, 2017), « Pour ne pas qu'ils ne soient pas eux-mêmes vecteurs de la maladie » (La Voix du Nord, 2020), « Pour ne pas que les gens ne se croisent pas » (Ouest-France, 2020), « Ils ont juste fait ça pour ne pas qu'il n'y ait pas de jurisprudence » (La Provence, 2022), « Pour ne pas que sa femme ne se lasse pas » (Puremédias, 2022), « Passer [les fêtes] avec lui pour ne pas qu'il ne soit pas tout seul » (Marie Claire, 2023), « Il faudrait un incroyable concours de circonstances pour ne pas qu'on ne revoie pas les Malouins en N2 la saison prochaine » (Ouest-France, 2023), « Pour ne pas qu'il [= le mot de passe] ne soit pas déchiffré trop facilement » (La Voix du Nord, 2023).

Remarque 1 : Curieusement, le TLFi mentionne un exemple (emprunté à la langue populaire) avec redoublement de pas : « Pour pas qu'on se casse pas la gargoulette avec » (Auguste Robinet, Cagayous aviateur, 1909), mais n'en donne aucun avec redoublement de ne !

Remarque 2 : Selon Grevisse, « la construction pour ne pas que, formée par analogie avec pour ne pas + infinitif, tend à passer de la langue populaire dans la langue littéraire, mais [...] elle reste suspecte d'incorrection ». Goosse apporte les précisions suivantes : « Cette construction, isolée parmi les locutions conjonctives, reste généralement mal accueillie, même par les observateurs non puristes : "laisser à la langue populaire [le remplacement de pour qu'il n'y ait pas de jaloux par pour ne pas qu'il y ait de jaloux]" (Hanse) ; "parler populaire" (Riegel, Pellat et Rioul, Grammaire méthodique) ; "populaire" (TLFi) ; "langue familière" (Jean-Paul Colin) ; "langue très familière" (Robert 2001). Pour pas que (que Ferdinand Brunot trouvait "logique et commode") n'est que du français parlé négligé. »

Remarque 3 : Voir également les articles Pour ne pas que et L'école est finie !

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Des appels à la retenue pour que la situation ne s'embrase pas (ou pour éviter que la situation ne s'embrase).

 

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P
Bonjour,<br /> peut-être avez-vous oublié un mot : "...celui qui nous occupe aujourd'hui, où ne prend sa revanche."<br /> Ne serait-ce pas "ne pas" qui prend sa revanche ?
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