« Y-a-t-il encore des places de libre ? Finns det några lediga platser kvar ? »
(Johannes Schumann, dans book2 français-suédois pour débutants, chez Goethe Verlag)
Ce que j'en pense
Je serais bien incapable − est-il besoin de le préciser ? − de dire si les débutants en suédois y trouveront leur compte, mais, pour ce qui est de l'apprentissage du français, il me semble que ce n'est pas gagné.
Le trait d'union, tout d'abord : rappelons ici que, si les deux servant à encadrer le t euphonique sont nécessaires, celui entre y et a n'est pas justifié. En effet, n'est rattaché par un trait d'union au verbe dont il dépend qu'un pronom qui suit immédiatement ledit verbe. C'est notamment le cas du pronom sujet inversé (Vient-il ?) et des pronoms compléments d'un verbe à l'impératif (Allez-y). Dans notre exemple, le pronom complément y précédant naturellement le verbe, le trait d'union n'a pas lieu d'être.
Ensuite, ce non-accord de l'adjectif libre. Gageons que notre auteur n'aurait pourtant pas hésité à écrire : Il y a encore des places libres. C'est que, après les tours impersonnels il y a, il est, il reste, il se trouve, ça fait, voici, voilà (*), la préposition de est généralement facultative devant un adjectif − ou, plus souvent, un participe passé pris adjectivement − qui se rapporte à un nom accompagné d'une indication de quantité (article indéfini, numéral, déterminant indéfini) : son emploi, comme cheville syntaxique, met l'adjectif en relief (dixit Hanse), le présente avec une valeur d'attribut (dixit Grevisse) et, partant, ne saurait en empêcher l'accord régulier en genre et en nombre (avec le nom qualifié). Pour preuve, ces exemples trouvés dans les ouvrages de référence : « Deux jours (de) libres » (Grevisse), « Il y eut cent hommes (de) tués » (Littré), « Encore une semaine (de) passée » (Hanse), « Deux jours de perdus » (Académie), « Les bermes [...] s'il en est de prévues » (Larousse) ; et jusque sous les meilleures plumes : « Il y a déjà deux mailles de rompues » (Molière), « Voilà déjà mes quatre repas de sûrs » (Marivaux), « Si la mer bouillait, il y aurait, comme on dit, bien des poissons de cuits » (Diderot), « Il y eut encore quelques mots d'échangés » (Stendhal), « Il y a déjà de la vigne vierge de plantée » (Balzac), « En voilà encore une [= une nuit] de passée ! » (Sand), « Il y a deux femmes de tuées ! » (Flaubert), « Vingt francs de fichus » (Courteline), « Il y a eu des fautes de commises » (Proust), « Encore une journée de perdue pour le travail » (Mauriac), « Il y a deux personnes d'arrivées » (Ionesco).
À tout hasard, y aurait-il encore un correcteur de disponible sur le prochain Paris-Stockholm ?
(*) Et aussi des verbes marquant l'état, la possession ou la perception, comme avoir, connaître, donner, être, posséder, remarquer, rencontrer, voir, etc. : « Mais on n'a pas toujours deux cent mille francs de disponibles comme ça » (Mirbeau), « On en [= des ladies] voyait d'étalées dans des voitures » (Flaubert), « Le plus ingénieux piégeur, le plus subtil braconnier d'un pays qui en possède de transcendants » (La Varende).
Remarque 1 : Déjà débattu du temps de Vaugelas, l'emploi de ce de unissant l'expression d'une quantité à un adjectif ou un participe passé a fait couler beaucoup d'encre et continue de diviser les spécialistes. Il est aujourd'hui « consacré par l'usage » (selon Littré), « accepté dans le bon usage » (selon Thomas), « admis » (selon le Larousse en ligne), « familier » (selon l'Académie), voire carrément « à éviter » chaque fois que cela est possible (selon Girodet). Grevisse s'empresse d'ajouter que cette construction n'a rien d'incorrect, qu'elle ressortit plutôt au langage parlé, mais qu'on la trouve également chez de bons auteurs (cf. exemples sus-cités). Toujours selon lui, il est, du reste, des cas où la préposition de est obligatoire : quand l'adjectif attribut précède son sujet et que le verbe est construit avec ne... que (« Il n'est sans doute de purs que les solitaires », Henri Bosco) ; quand l'adjectif se rapporte à quelqu'un, quelque chose (autre chose, grand-chose), personne, rien, à que relatif, à qui, que et quoi interrogatifs, à ceci et cela − voilà belle lurette, en effet, que l'on dit rien de bon au lieu de rien bon (« Ceux qui trouvent rien bon », Du Bellay), rien d'impossible au lieu de rien impossible (« À qui venge son père, il n'est rien impossible », Corneille), afin d'éviter le hiatus ; voire quand l'expression comporte le pronom en − encore que, dans ce cas, les exemples sans de ne sont pas si rares : « Il y en a plusieurs attrapées à ce piège » (Furetière), « Sur quatre femmes, il y en a toujours deux frisées » (Hippolyte Taine), « Sur neuf prises, il m'en reste deux bonnes » (Cocteau).
Remarque 2 : Girodet laisse entendre que l'adjectif ou le participe resterait « généralement invariable » quand il y a inversion, c'est-à-dire postposition du nom : « Il n'y avait d'ouvert qu'une boulangerie. » En l'espèce, il me semble que la seule inversion ne suffit pas à justifier l'invariabilité (voir Balzac : « Nous avons de prêtes deux livraisons d’Études philosophiques ») ; il faut encore que le verbe soit construit avec ne... que. L'attribut, précise Grevisse, s'accorde alors généralement avec le complément d'objet lorsque celui-ci précède l'attribut et reste invariable dans le cas contraire. Comparez : « Il n’y a de divin que la pitié » (Léon Bloy) − tour perçu comme une ellipse de il n'y a rien de divin que..., d'où l'accord fréquent au masculin singulier − et « Il n'y avait que deux personnes de suspectes » (Grevisse).
Ce qu'il conviendrait de dire
Y a-t-il encore des places de libres (ou des places libres) ?