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Très

L'adverbe très, qui marque le superlatif absolu (sans idée de comparaison), signifie « beaucoup, au plus haut point » et s'emploie ordinairement devant un adjectif, un participe passé pris adjectivement ou un autre adverbe.

Il est très grand. Il est très fatigué. Il vient très souvent.

C'est pourquoi les puristes (Académie en tête) condamnent son emploi dans les expressions avoir très faim, très soif, très peur, etc., un adverbe (quel qu'il soit) n'étant pas censé modifier un nom. Dans ces tours, ils préconisent de recourir correctement à grand, fort : avoir grand faim (ou avoir grand-faim, avoir une très grande faim), avoir grand peur (ou grand-peur), avoir fort soif, etc. Reconnaissons que ces formulations ont quelque peu vieilli (à peine a-t-on l'air un peu moins ridicule avec... avoir grand-peine à).

Cependant, rien n'étant jamais simple en français, l'usage actuel considère ces constructions – verbe (surtout avoir, parfois faire) suivi d'un nom sans déterminant désignant une sensation ou un sentiment – comme des locutions verbales pouvant être modifiées par un adverbe de degré comme très. En d'autres termes, Grevisse estime que, dans ces expressions que certains voudraient réserver à la seule langue parlée, l'adverbe « modifie non pas le nom seul, mais toute la locution verbale ».

Cet usage, qui s'est répandu par analogie avec avoir très chaud, avoir très froid (où les substantifs chaud et froid ont également valeur d'adjectifs), « s'explique dans la mesure où ces locutions verbales expriment un état physique ou affectif susceptible de variation d'intensité » (Le Robert).

Si Grevisse n'émet aucune réserve, Hanse, de son côté, fait la distinction (très... subjective) entre les locutions qui s'accommodent de l'adverbe très (avoir chaud, envie, faim, froid, mal, peur, soif, soin, sommeil ; se faire mal, peur ; faire attention, chaud, envie, froid, mal, peur, etc.) et celles qui ne s'en accommodent pas (avoir besoin, confiance, conscience, foi, hâte, honte, pitié, plaisir, raison, tort ; faire fortune, injure, pitié, plaisir, silence) et pour lesquelles il recommande d'employer grand, extrêmement, etc. (soit dit en passant, on peut légitimement se demander en quoi j'ai extrêmement faim, terriblement soif serait de meilleure langue que j'ai très faim, très soif). Selon moi, si distinction il devait y avoir, ce serait entre les locutions exprimant une action et celles exprimant un état (en vertu de la remarque du Robert), mais ce critère sémantique ne semble pas suffire à rendre compte des occurrences de très.

Force est de constater que nos meilleurs auteurs ne se sont pas embarrassés de ces scrupules, en écrivant : avoir très peur (A. France, Duhamel, J. Romains), avoir très faim (Colette, Mauriac, Proust), avoir très froid (A. France), avoir très mal (R. Rolland), avoir très envie (Anouilh, Camus, Proust), avoir très soif (Gide), faire très plaisir (M. Druon), etc. L'Académie elle-même, dans la huitième édition de son Dictionnaire, s'était laissé aller à un « avoir extrêmement faim »...

Dans le doute, il semble toutefois préférable de dire (tout du moins dans la langue soignée) : J'ai hâte, j'ai grande hâte, j'ai grand hâte... ou je suis très pressé !

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Remarque 1
: Les mêmes observations valent pour l'emploi des adverbes si, bien, tellement, trop, assez, plus, etc. dans ces locutions verbales.

Remarque 2 : On retiendra que, parmi les adverbes marquant l'intensité, tous ne modifient pas la même catégorie de mots : de façon générale, beaucoup et bien modifient un verbe ; grand un nom ; très, bien et fort un adjectif ou un adverbe. Avec un participe passé non employé adjectivement (ou conjugué à la voix active), on emploiera donc beaucoup et non très.

Un film que j'ai beaucoup aimé (et non que j'ai très aimé).

Mais on s'étonne que l'Académie accepte : C'est bien dommage ! C'est vraiment dommage ! Les adverbes bien et vraiment ne modifient-ils pas là un substantif ?... Dans la langue soignée, on dira : C'est très regrettable (de préférence à C'est très dommage).

Remarque 3 : L's final de très se lie : Il est très heureux (prononcé trèzeureu).

Remarque 4 : En raison de la valeur superlative de très, on conçoit aisément que l'expression très excessif est un pléonasme à éviter. De même, on dira : Ce vin est bien meilleur (et non très meilleur).

Remarque 5 : Contesté par les puristes, l'emploi absolu de très (par ellipse de l'adjectif) sera réservé au registre familier.

Est-ce que tu vas bien ? Non, pas très (bien est sous-entendu).

Est-ce que tu m'aimes ? Pas beaucoup (et non Pas très, cf. Remarque 2).

Très

Et Grand Ours Brun a... grand-faim !
(Livre de Danièle Bour)

 

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C
Je découvre votre billet après avoir fait des recherches de mon côté pour répondre à une question sur un site d'orthographe. Lesdites recherches m'ont entrainé au Moyen Âge et j'ai découvert (via le D.M.F) que très s'employait comme aussi comme adjectif : « il ne semble pas que.I.homme puisse estre tres amy a pluseurs pour ce que il ne puet pas amer pluseurs. (ORESME, 1370). La catégorisation adjectif-adverbe est postérieure, ainsi que les règles associées. Il continue d'ailleurs d'exister une porosité entre les deux, l'adjectif s'employant adverbialement lorsque l'adverbe classique est peu usité (cheveux coupés court, voix haut perchée, etc.). L'Académie a donc banni ce qu'elle classait comme un archaïsme mais celui-ci a eu la vie dure et on trouve des attestations hérétiques "adverbe + nom" jusqu'à notre époque.
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C
trop bien cette page ;<br /> <br />  
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M
Merci de votre message d'encouragement !
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M
Merci, j'ai BEAUCOUP  apprécié les explications ci-dessus, ainsi que le style et l'attitude argumentative qui y sont à l'oeuvre: j'en avais GRAND besoin. Fort utiles pour moi  (je suis un locuteur étranger francisant).
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