« Le travail, seul échappatoire des Caennais » (à propos de l'équipe de football locale).
(paru sur ouest-france.fr, le 27 août 2016 )
Ce que j'en pense
Il est des mots dont le destin, allez savoir pourquoi, est placé sous le signe de la confusion. Échappatoire fait partie de ceux-là.
L'intéressé, nous dit-on, est du genre féminin : chercher, trouver une échappatoire, comprenez un moyen (excuse, expédient, faux-fuyant, prétexte, subterfuge) pour se tirer d'embarras ou, par extension, pour échapper à une réalité pénible. Force est pourtant de constater qu'il n'en fut pas toujours ainsi. Ne lit-on pas dans le Dictionnaire du moyen français : « Eschappatoire, substantif masculin ou féminin » ? L'Académie, à ses débuts, n'était pas loin de partager cet avis : si le féminin est bien de rigueur à l'entrée « eschappatoire » de la première édition de son Dictionnaire (1694), c'est le genre opposé qui s'invite à l'entrée « porte » de la deuxième (1718) : « Un faux fuyant, une défaite, un eschappatoire. » Le mot est même exclusivement masculin chez Nicot (1606), chez Furetière (1690) et dans les dictionnaires de l'ancienne langue française de La Curne de Sainte-Palaye et de Godefroy.
À l'époque (comme encore trop souvent de nos jours), l'hésitation portait, du reste, aussi bien sur le genre que sur la graphie de notre substantif. Jugez-en plutôt : « Ce n'est rien qu'un eschapatore » (Le Mystère de la sainte hostie, 1444), « ung eschapatoire » (Jean Michel, 1486), « un eschapatoire » (Jean Calvin, 1545), « un autre eschapatoire » (François de La Noue, 1587), « un eschapatoire » (Louis Richeome, 1610), « par cet eschapatoire » (André Rivet, 1617), « un bel echappatoire » (Richelieu, 1647), « cet eschappatoire ne vaut rien » (Vaugelas, 1665), mais « ceste eschappatoire » (Martin du Bellay, 1569), « C'est une eschappatoire si sotte et inepte » (Guy de Brès, 1595), « Heureuse échappatoire ! » (Mathurin Régnier, 1606), « Ceste eschappatoire » (Jean Chapelain, 1662), « C'est une échapatoire » (Richelet, 1680), « Ils se préparent une échappatoire » (Bossuet, 1688). De son côté, Féraud préconisait la forme une échapatoire : « On écrit ordinairement ces mots avec deux p ; c'est l'ancien usage, qui n'est fondé sur rien » (Dictionnaire critique de la langue française, 1787). Il n'aura échappé à aucun esprit curieux d'étymologie que la réalité est tout inverse : les représentants de la famille d'échapper se sont d'abord écrits avec un p, avant d'être refaits à partir du XVIe siècle d'après le latin populaire excappare, issu de cappa (« sorte de capuchon, chape, manteau »), proprement « sortir de la chape en l'abandonnant aux mains de ses poursuivants » ou « quitter la chape ».
La confusion − qui ne date pas d'hier, donc − perdure aux siècles suivants : le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui donne échappatoire féminin à son entrée, ne laisse-t-il pas échapper « un pur échappatoire » dans l'article « Communes [Chambre des] » (et aussi « cet échappatoire » dans l'article « Deane », d'après Grevisse) ? Cent cinquante ans plus tard, le site Internet de l'Académie française n'est pas davantage épargné : « un échappatoire » s'est glissé dans la Réponse au discours de réception de Paul Morand par Jacques Chastenet. Confusion encore chez Dupré qui, après avoir soutenu à l'entrée « échappatoire » de son Encyclopédie du bon français qu'« il n'y a aucune raison de le faire masculin, sinon par lapsus de plume », en trouve finalement une (de raison) quelques pages plus loin, à l'entrée « écritoire » : « Quant au genre féminin dans écritoire, il était dû à la finale féminine malgré l'étymologie qu'impliquait le masculin représentant le neutre latin. Il en est de même pour échappatoire. » Oserai-je avouer ici que l'argument... m'échappe ? Car enfin, laisser entendre que la terminaison en -toire ait pu faire pencher la balance du côté du beau sexe, c'est oublier que les mots conservatoire, consistoire, exutoire, observatoire, réfectoire, suppositoire, territoire, etc. sont... du masculin. Quant au parallèle avec écritoire, il paraît particulièrement hasardeux, dans la mesure où ce dernier est emprunté du neutre latin scriptorium (« style en métal pour écrire sur la cire ») alors qu'échappatoire (milieu du XVe siècle) est directement dérivé d'échapper (fin du XIe siècle) si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française, le Dictionnaire de l'Académie et le TLFi. Dupré fait-il allusion à l'ancêtre escapiamentum, neutre latin consigné par Pierre Carpentier dans son supplément au Du Cange ? La caution est mince et l'hypothèse, isolée...
Et l'on s'étonnera, après tout cela, que l'époque verse dans la confusion des genres. Allez, ne nous plaignons pas trop. Notre journaliste nous aura au moins épargné cette échapattoire de bien curieuse facture aperçue sous la plume de François Bégaudeau. Vrai, on l'a échappé belle !
Ce qu'il conviendrait de dire
Le travail, seule échappatoire pour les Caennais.