« S'ils avaient suivi la loi, ils seraient juste passés pour des faibles et des idiots. »
(Capucine Motte, dans son roman Apollinaria, paru aux éditions Jean-Claude Lattès)
Ce que j'en pense
Passons sur cet emploi de juste à toutes les sauces adverbiales, quand bien même nous ne comprendrions pas toujours ce qu'il signifie au juste (précisément, seulement, éventuellement ?), pour nous intéresser au tour passer pour utilisé au sens de « être considéré comme, avoir la réputation de ». Les spécialistes de la langue, une fois n'est pas coutume, sont unanimes : c'est l'auxiliaire avoir qui est requis aux temps composés. Témoin ces exemples puisés aux meilleures sources : « Il a passé pour un arrogant » (Robert), « Il a répondu d'une façon telle qu'il a passé pour un rustre » (Grand Larousse), « Deux couteaux en croix sur une table ont longtemps passé pour un mauvais présage » (Dictionnaire de l'Académie), « Elle avait jusqu'alors passé pour délicate » (Hanse), « J'ai passé pour un idiot » (Office québécois de la langue française), « Moïse a toujours passé [...] pour le législateur des Juifs et pour l'auteur des livres qu'ils lui attribuent » (Bossuet), « Qui eût dit que l'autre femme qu'il compromettait ainsi n'était pas en réalité sa maîtresse eût passé pour un naïf » (Proust), « Ce vieillard instruit qui a passé [...] pour prudent » (Martin du Gard), « Il n'a jamais passé pour un fou » (Jean Dutourd).
L'hésitation, soit dit en passant, tient ici à la particularité du verbe passer qui, employé à la forme intransitive (c'est-à-dire sans complément d'objet), peut en principe se conjuguer avec avoir ou être selon que l'on insiste sur l'action ou sur le fait accompli : l'hiver a passé bien vite, l'hiver est maintenant passé. Force est toutefois de constater avec le Dictionnaire de l'Académie que « l'usage actuel tend à faire prévaloir l'auxiliaire être dans les deux cas » − avoir restant possible pour exprimer l'action, mais pouvant être senti comme vieilli −, alors que passer se construit toujours avec l'auxiliaire avoir quand il est suivi d'un complément d'objet direct. Comparez : il est passé par là (plus couramment que il a passé par là), l'envie lui est passée (ou lui a passé), un an est passé (ou a passé), mais nous avons passé de bonnes vacances, il a passé la rivière. Être s'impose encore quand le sens est « devenir » : Il est passé maître dans l'art de plaire.
Gageons qu'à l'aune de ces considérations ceux qui sont passés maîtres dans l'art de prôner l'indulgence n'hésiteront pas, dans cette affaire, à passer... l'éponge.
Remarque 1 : Passer pour a la valeur d'un verbe d'état. S'il introduit le plus souvent un adjectif ou un substantif en fonction d'attribut, il peut à l'occasion être suivi d'un infinitif : « Un penseur qui n’a jamais passé pour abuser des lieux communs » (Joseph Autran), « Il passe pour appartenir à une très ancienne famille » (Marguerite Yourcenar). On notera par ailleurs que ledit tour s'est employé transitivement, à l'époque classique, au sens de « considérer comme, tenir pour » : « Il passe pour tyran quiconque s'y fait maître » (Corneille), « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière » (Bossuet).
Remarque 2 : On écrira correctement : il l'a fait passer pour une idiote mais elle s'est fait passer pour une idiote ; elle a passé pour une lumière mais elle est passée pour éteindre la lumière.
Ce qu'il conviendrait de dire
S'ils avaient suivi la loi, ils auraient passé pour des faibles et des idiots.