« À de multiples reprises, l'astrophysicien a ainsi averti sur le danger potentiel d'une prise de contact avec une espèce extraterrestre » (à propos de Stephen Hawking, photo ci-contre, décédé le 14 mars 2018).
(Alexandra Saviana, sur marianne.net, le 14 mars 2018)
(photo Wikipédia par NASA StarChild)
Ce que j'en pense
Vous fallait-il une nouvelle illustration de l'hégémonie actuellement exercée par la préposition sur sur ses congénères ? La voici : avertir sur un danger ! J'en étais resté, pour ma part, à avertir d'un danger, avec la préposition de introduisant le péril sur lequel on attire l'attention : « Il accourt pour l'avertir de tous les périls » (Bossuet), « On regarde comme des ennemis ceux qui avertissent des nouveaux dangers » (Chateaubriand), « Comme s'il voulait nous avertir d'un grand danger » (Pierre Larousse), « Avertir d'un danger, d'une menace » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).
Eh bien, figurez-vous que cette tendance ne date pas d'hier ! En 1787, déjà, Jean-François Féraud, dans son Dictionnaire critique de la langue française, blâmait l'abbé Raynal d'avoir mis sur pour de : « "Les Sauvages ont la vue, l'odorat, l'ouïe, tous les sens d'une finesse, d'une subtilité, qui les avertit de loin sur leurs dangers ou sur leurs besoins." Ce régime n'est pas approuvé par l'usage. » Contre toute attente, le grammairien Jean-Charles Laveaux prit la défense du contrevenant : « De leurs dangers et de leurs besoins dirait autre chose Sur leurs dangers, c'est-à-dire sur les circonstances de leurs dangers ; sur leurs besoins, c'est-à-dire sur ce qui peut contribuer à satisfaire leurs besoins. Je connais en général la situation où je suis, et je n'en suis pas alarmé ; mais je n'en connais pas toutes les circonstances, toutes les chances, tous les dangers. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de m'avertir de ma situation ; mais il est bon de m'avertir sur ma situation, c'est-à-dire sur les circonstances, sur les dangers de ma situation. Je conviens que cela ne se dit pas ordinairement ; mais si cette expression rend une vue particulière de l'esprit que l'on ne peut rendre autrement en aussi peu de mots, pourquoi ne l'adopterait-on pas ? » (Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, 1818). Pas sûr que les tenants de sur aient conscience de pareilles finasseries... Et pourtant, la distinction que tente d'établir Laveaux n'est pas sans rappeler celle observée par Girodet et Hanse à propos du verbe s'informer. Comparez : Je me suis informé de la date du départ [= se mettre au courant] et Les sociétés de crédit s'informent sur leurs clients avant de leur consentir un prêt [= prendre des renseignements sur].
Renseignements pris, le tour avertir sur n'était pas aussi exceptionnel que Laveaux le laisse entendre. Jugez-en plutôt : « Vous conseillier et advertir sur les affaires de vous et de vostre royaume » (Remontrances au roi, 1413), « Ce mesme jour, après disner, furent assemblez en la Chambre de Parlement [...] pour visiter et advertir sur le fait desdictes ordonnances » (Clément de Fauquemberg, vers 1420 ; le sens est ici celui de délibérer), « Jaçoit ce que [= bien que] l'ayons par plusieurs fois adverty et fait advertir sur ce, quand les cas sont advenus, en luy priant [que...] » (édit du 10 mars 1431), « Et si quelqu'un s'advise de nous advertir sur ce poinct, qu'il ne faut pas rymer diphtongue avec voyelle » (Marie de Gournay, début du XVIIe siècle), « Je dois encore avertir sur l'autre point que [...] » (Consultations canoniques sur les sacrements, 1725), « Il faut qu'il songe [...] à se faire avertir sur ce point par gens de confiance » (Charles Auguste d'Allonville de Louville, avant 1731), « [Elle] l'avertit sur le point que [...] » (Nicolas Lenglet Du Fresnoy ?, 1741), « On doit avertir sur cela premierement que [...] » (Balthazar Gibert, 1741), « Jésus-Christ nous avertit sur ce sujet, qu'il est dangereux d'aimer les richesses » (Jean-Frédéric Ostervald, 1744), « Elle [notre conscience] nous éclaire et nous avertit sur la distinction du bien et du mal » (Puget de Saint-Pierre, 1773), « Je veux l'avertir sur les préjugés d'érudition dont on se laisse prévenir en faveur de certains Académiciens » (Jean-Joseph Rive, 1790), « Je ne sais s'il est un seul homme assez aveugle, pour qu'il faille l'avertir sur la situation actuelle de la France » (Louis-Marie de Narbonne-Lara, 1792), « C'est en vain, dis-je, que les hommes étaient bien avertis sur la nature et la différence des deux philosophies » (Antoine de Rivarol, 1797), « Il l'avertit sur les devoirs de son pieux ministère » (Joseph Tempier, 1845), « Il les avertit sur la manière dont ils doivent procéder » (jurisprudence belge, 1846), « Nous sommes surabondamment avertis sur ce point comme sur bien d'autres » (Jules de Tardy, 1849), « Elle l'avertit sur l'obligation où elle est de servir le prochain » (Armand-Prosper Faugère, 1858), « Tenez-vous pour avertis sur ce point » (Jean-Alfred Fournier, 1873), « Il les avertissait sur leur emploi et non sur leur être » (Maurice Barrès, 1897) et encore « Maintenant que vous êtes avertis sur le mécanisme intérieur » (Léon Daudet, 1916), « Tu es averti sur bien des choses » (Jacques Chardonne, 1927) (1).
Sur, au demeurant, n'était pas la seule préposition pour laquelle notre verbe était susceptible de délaisser le traditionnel de. Louis-Nicolas Bescherelle, dans son Dictionnaire national (1845), relève ainsi des exemples avec par (« Dieu ne cesse de les avertir par ses prophètes, qu'il leur envoie coup sur coup », Bossuet), avec pour (« On vint l'avertir pour un sacrifice qu'il devait faire à Jupiter », Fénelon) − mais curieusement aucun avec sur !
De nos jours, la situation reste pour le moins confuse : la construction avertir sur, bien qu'inconnue de l'Académie, du Robert et du Larousse (2), fleurit sur la Toile (sous l'influence de attirer l'attention sur ?) et jusque sous la plume du (futur) ministre de l'Éducation nationale : « Avertir [les parents] sur les risques d'abus de la télévision et d'Internet » (L'École de la vie, 2014). On sait, il est vrai, à quel point un parent averti en vaut deux !
(1) J'en viens à me demander − mais rien n'est moins sûr − si certaines de ces constructions ne doivent pas être analysées comme des ellipses de avertir quelqu'un (de son avis, de son intention, de sa volonté) sur tel fait, sur tel évènement, dans la mesure où l'on a dit autrefois : « Nous advertir sur ce de sa volunté » (Charles Quint, 1549), « Vous advertir sur ce de mon intencion et resolucion » (Correspondance de Marie de Hongrie avec Charles Quint et Nicolas de Granvelle), « Qu'ilz veuilent par ensemble y délibérer et en advertir sur ce Sadicte Altèze de leur advis » (arrêté du 9 avril 1580, à Anvers).
(2) Contrairement à la construction alerter sur qui, elle, figure dans certains ouvrages de référence : « Alerter la population sur un risque de pollution », mais « Avertir d'un danger » (Larousse en ligne) ; « Nous les avons alertés des ou sur les dangers qu'ils couraient », mais « On les a avertis du danger » (Bescherelle pratique). Deux poids, deux mesures ?
Remarque 1 : Aucune hésitation, en revanche, devant un infinitif : c'est bien la préposition de qui est de rigueur. « Avertir quelqu'un de, suivi d'un infinitif, l'informer de ce qu'il doit ou devrait faire. Une lettre l'avertit de se présenter au commissariat. Avertissez-le d'éviter la route du bord de mer » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Vous voilà... averti !
Remarque 2 : Danger désignant ce qui constitue une menace, un péril possible, l'adjectif potentiel me semble superfétatoire (voir ce billet).
Remarque 3 : Voir également ce billet.
Ce qu'il conviendrait de dire
Il a averti du danger (selon l'Académie).