« Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. »
(vu sur le site albin-michel.fr, juin 2018)
Ce que j'en pense
Voilà une quatrième de couverture... à couper le souffle ! Car enfin, il n'est que trop clair que l'on a ici confondu le participe présent suffoquant (invariable), formé sur le radical du verbe suffoquer, et l'adjectif verbal suffocant (variable), qui s'écrit avec un c. Comparez : Il est sorti en suffoquant et Des fumées suffocantes. Le cas n'est pas isolé : que l'on songe aux formes graphiquement distinctes communicant et communiquant, convaincant et convainquant, provocant et provoquant, etc. ; il n'en réserve pas moins quelques surprises.
Force est, tout d'abord, de constater que l'adjectif s'est longtemps présenté sous les deux graphies : « Air gros, chaut et suffoquant », « Les nuys en esté sont a la fois plus chaudes et plus suffocans que li jours » (Évrart de Conti, XIVe siècle) ; « Au prilx d'yceulx, blafards, aguiséz, suffoquants » (Clotilde de Surville, XVe siècle). La forme avec qu est même la seule mentionnée dans le Dictionnaire de Furetière (1690) : « Les plus dangereuses maladies sont les suffoquantes », alors que le Dictionnaire de Trévoux (1771) laisse le choix : « Suffocant ou Suffoquant, ante. adjectif verbal » ; on la trouve encore dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1765) : « Une odeur de soufre suffoquante », chez Rousseau (1762) : « La réverbération suffoquante des rochers frappés du soleil », chez Zola (1873) : « Il y eut une reprise suffoquante du livarot », chez Hector Malot (1875) : « Une odeur suffoquante de fleurs fanées » et chez Roland Dorgelès (1971) : « Ces pavés empestaient le goudron et dégageaient une fumée suffoquante ».
Ensuite, Hanse fait observer à bon droit que les dictionnaires n'ont longtemps reconnu à l'adjectif suffocant que le sens actif de « qui cause une suffocation (et, figurément, une stupéfaction capable de couper la respiration) » − le sens correspondant à l'emploi intransitif de suffoquer, « qui respire difficilement (notamment sous l'effet de l'émotion) », étant traditionnellement réservé au participe présent. De là les contradictions parfois observées : « Elle était toute rouge, suffoquant de colère » (Larousse en ligne), « Il était là, suffoquant d'indignation » (Thomas), « Il s'appuyait aux murs, suffoquant de chagrin » (Zola), « − Ah ! ah ! que j'ai du goût (suffoquant de rire) » (Colette), « Jean-Paul, suffoquant de honte, est forcé de tout avouer » (Dominique Fernandez), mais « Jusqu'à ce [qu'il] restât suffocant de rage couché sur le plancher » (Raoul de Navery), « Rouge de colère, suffocante d'indignation, [elle] vient prendre sa place à table » (Séverine), « Le hideux Shylock, suffocant d'amour et de haine » (Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz), « – Ô mon roi bien-aimé, ô ma seule vie ! cria Elpénor suffocant de reconnaissance » (Jean Giraudoux), « Le jour où je me suis enfui, suffocant d'indignation et de douleur » (Henri Thomas), « Suffocante de colère, elle jeta le livre loin d'elle » (Henri Lopes), « Il est ailleurs, au-delà de la rage, envahi par une ivresse qui le laisse suffocant de plaisir » (Patrick Varetz) (*). Verlaine se vit ainsi reprocher, à tort, d'avoir écrit dans sa Chanson d'automne : « Tout suffocant / Et blême. » Quant à Régine Deforges, qui se fendit dans Noir Tango d'un « Sarah tremblait, incapable de parler, suffoquante, livide », Hanse lui objecterait sans doute que faire varier la forme du participe présent en lui donnant le sens étendu de l'adjectif ne saurait constituer une solution... convaincante.
Reste à connaître la position qu'adoptera l'Académie dans l'édition en cours de rédaction de son Dictionnaire. Mon petit doigt me souffle qu'elle risque de n'être guère accommodante...
(*) Aucune hésitation toutefois, mais cela va sans dire, dans : en suffoquant (de rage, de honte...).
Remarque : Voir également le billet Adjectif ou Participe présent ?.
Ce qu'il conviendrait de dire
Un premier roman suffocant.