Attestée (sous sa graphie avec trait d'union) depuis le début du XVIIe siècle (1) au sens premier de « qui se dit lui-même », la locution adjective soi-disant est composée du pronom personnel réfléchi soi (complément d'objet direct mis pour se selon un usage ancien) et du participe présent disant. Aussi se gardera-t-on de mettre un t à la fin de soi et de faire varier disant en genre ou en nombre (comme ce fut le cas dans la syntaxe du moyen âge).
Un tel, soi-disant héritier, etc. (= qui se déclare tel).
Une soi-disant cousine éloignée. Des soi-disant experts.
En toute logique, soi-disant ne devrait s'appliquer qu'aux êtres doués de la parole (capables de se dire) et aux qualités qu'ils s'attribuent eux-mêmes. Force est pourtant de constater que plus d'un bon auteur l'emploie sans ciller à propos de choses et même de défauts, là où les défenseurs de la tradition (Littré, l'Académie [depuis 1965 (2)], Martinon [3], Thomas, Girodet, pour ne citer qu'eux) exigent prétendu, présumé, supposé...
« Le soi-disant château du Seigneur » (Maximilien Misson, 1702).
« Dans le soi-disant état de simple nature » (Diderot, 1773).
« Un soi-disant contre-poison » (Hugo, 1833).
« La belle et soi-disant infâme Mme de Vaubadon » (Barbey d'Aurevilly, 1851 ; « Une femme qui se dit elle-même infâme ! » ironise Thomas).
« Le procès de Dimitrov et des autres soi-disant incendiaires du Reichstag » (André Malraux, 1967 ; « On se doute bien que ce ne sont pas les inculpés qui se disaient incendiaires », note Jean-Paul Colin).
« La soi-disant algue » (Erik Orsenna, 2009).
C'est qu'un glissement sémantique s'est produit au cours du XVIIe siècle (4) : le sens réfléchi originel (« qui se dit, se déclare, se proclame ») s'est chargé d'une valeur modalisatrice (« qui se dit à tort, qui se prétend », le locuteur exprimant une réserve sur l'information rapportée) et a été réinterprété avec un sens passif (« qui est dit à tort, prétendu »). Comparez :
Un soi-disant assassin = (sens réfléchi neutre) un individu qui déclare être un assassin, qui revendique un crime ; (sens réfléchi modalisateur) un innocent qui, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui, s'accuse d'un crime qu'il n'a pas commis ; (sens critiqué) un individu qui est présenté à tort comme étant un assassin.
Une soi-disant migraine = (emploi critiqué) ce qui passe pour une migraine, mais qui n'en est pas vraiment une.
Ce glissement de sens a, en outre, ouvert la voie à un changement de catégorie grammaticale − soi-disant, traditionnellement suivi d'un adjectif ou d'un nom analysable comme attribut du complément d'objet soi, ayant pu être compris devant l'adjectif (le participe ou le syntagme prépositionnel) comme un adverbe équivalant à prétendument, censément, à ce qu'on dit : « Ce livre soi-disant nouveau » (Nouveau Catechisme sur les affaires presentes des Jésuites, 1762), « D'autres animaux soi-disant du cap de Bonne espérance » (Philippe Guéneau de Montbeillard, 1775), « Ces sectes soi-disant universelles » (Volney, 1791), et de là, en emploi absolu : « Une quantité de gardes, que soi-disant on avoit fait monter pour lui » (Louis-Marie Prudhomme, 1789), « La guerre qu'on fit déclarer, soi-disant pour achever la Révolution » (Camille Desmoulins, 1793), « Je sais fort bien que sur moi l'on babille, Que soi-disant J'ai le ton trop plaisant » (Pierre-Jean de Béranger, 1812 [5]), « Elle écrit tambourg par un g, soi-disant parce que sa plume crache » (Balzac, 1841).
En résumé
Cela fait belle lurette que l'usage courant ainsi que celui de très nombreux écrivains ont cessé d'analyser les éléments constitutifs de soi-disant − forme archaïque du participe présent de se dire − pour les prendre en bloc au sens de « prétendu » ou de « prétendument ». Aussi ne peut-on plus considérer comme « une grosse faute » (selon la formule de Littré) l'application de soi-disant à une chose (voire à une personne qui ne prend pas le jugement à son compte). Cela dit, il est toujours possible, dans la langue surveillée, de réserver l'usage de l'adjectif invariable soi-disant aux humains et à leurs qualités, et de recourir de préférence à l'adjectif variable prétendu et à l'adverbe prétendument dans tous les autres cas. |
(1) En moyen français, soy disant est un groupe syntaxique libre et variable, qui se rencontre surtout dans la langue méticuleuse du droit : « Thomasset Brouart, soy disant nostre sergent » (Recueil des documents concernant le Poitou, 1377), « Lequel Guillaume, disant lui estre remenbrant des extorcions » (Registre criminel du Châtelet, vers 1390), « Des moinnes [...], soy disans escoliers à Paris » (Nicolas de Baye, avant 1410), « [Jehan Jouvenel et Gilet de Ressons], eulx disans et portans amis et affins de messire Jehan de Noyers » (Testaments enregistrés au Parlement de Paris, 1415). Il faut attendre le début du XVIIe siècle, semble-t-il, pour voir la construction se figer autour d'un trait d'union : « [Jesus-Christ] soy-disant fils de l'homme, né de la vierge Marie » (Guillaume de Requieu, 1602), « Un nommé Gangnon Flandrin, soy-disant messager de Tholoze » (Traictez des droicts et libertez de l'Eglise gallicane, 1609).
Il convient, soit dit en passant, de ne pas se fier aveuglément aux attestations données par les ouvrages de référence, les éditions citées ajoutant souvent un trait d'union là où l'édition originale n'en comporte pas. Ainsi lit-on dans le TLFi : « 1735-36. Marivaux, Paysan parvenu dans Romans, éd. M. Arland, p. 611 : Tels étaient les agréments, soi-disant innocents de cet ecclésiastique », en lieu et place de : « Tels étoient les agrémens, soit dit innocens, de cet ecclésiastique » (édition de 1734). Goosse ne croit pas davantage aux graphies soy-dis(s)ant prétendument attestées dans le Registre criminel du Châtelet (vers 1390) ou chez Georges Chastellain (vers 1470) : « Ce n'est pas au XVe siècle (comme le dit plus d'un dictionnaire) que naît notre locution, mais au XVIIe siècle quand il ne reste plus qu'un soi-disant cristallisé » (Les Avatars d'une relique, 1989).
(2) En 1935, on pouvait encore lire à l'article « empirique » de la huitième édition de son Dictionnaire : « Qui s'appuie sur une soi-disant expérience. »
(3) « Soi-disant renvoie mal aux choses, qui ne parlent pas ; et sans doute on dit bien en français qu'une chose se dit, au sens de est dite, mais non pas qu'elle se dit service, de sorte qu'un soi-disant service est fort discutable, et puisqu'on dispose en pareil cas de prétendu, le meilleur est de s'en tenir à ce mot » (Comment on parle en français, 1927). Cela n'a pas empêché notre grammairien d'écrire quelques pages plus haut : « On dit fort élégamment [...] je vous envoie des pêches de Montreuil ou soi-disant telles. »
(4) Disons entre 1632 (« Soy disant pour se disant », Antoine Oudin, Grammaire françoise) et 1680 (« Ces sorcières ou soi-disantes », Mme de Sévigné).
(5) Goosse note que cet exemple, cité sans réserve par Littré, rompt pourtant avec la valeur primitive, soi désignant ici tout autre chose que le sujet de la proposition (à savoir eux, les autres).
Remarque 1 : Plusieurs spécialistes (les Le Bidois, Hanse) supposent que les premières attestations de soi-disant appliqué à un substantif ne désignant pas un humain ont dû concerner des choses que l'on pouvait présenter comme personnifiées : une amitié soi-disant inaltérable, une théorie soi-disant irréfutable... Cette thèse, séduisante, n'est pas confirmée par les faits.
Remarque 2 : La construction soi-disant que, substituée à parce que, sous le prétexte que, relève du langage familier.
Remarque 3 : Dans les expressions soit dit en passant et soit dit entre nous, soit (avec un t final) correspond à l'auxiliaire être conjugué au subjonctif (= que cela soit dit...) : Soit dit en passant, je ne l'apprécie pas beaucoup.
Mieux vaut passer son chemin...