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Retour de flamme

Retour de flamme

« Ces petits boutons rouges inflammés sont aussi connus sous le nom de folliculite. »
(paru sur madmoizelle.com, le 2 juillet 2017)

 

  FlècheCe que j'en pense


Doit-on dire inflammer ou enflammer ? inflammation ou enflammation ? Loin de moi l'intention d'attiser les braises d'un débat prompt à enflammer les esprits, mais enfin la question mérite d'être posée. Hanse y répond de façon catégorique : on dit « inflammation, et non enflammation, bien que le verbe soit enflammer ». À y regarder de près, cette bizarrerie de la langue n'a rien de surprenant pour qui sait que l'élément initial des verbes latins en in- a conservé sa forme originelle, en passant en français, dans quelques verbes de formation tardive et savante, mais s'est transformé en en- dans ceux de formation plus ancienne et populaire. Que l'on songe aux doublets empreindre et imprimer (du latin imprimere), employer et impliquer (implicare), enduire et induire (inducere), etc.

Emprunté du latin inflammare (« mettre le feu à ; exciter quelqu'un, une passion ; irriter une plaie, un organe »), enflammer (et ses variantes enflamber, enflambler, enflaber, enflamer...) est ainsi apparu le premier dans notre lexique (à la fin du Xe siècle), avec le sens transitif de « mettre en flammes » puis de « rendre d'un rouge flamboyant », avant d'être rejoint par son doublet savant inflammer (parfois orthographié inflamber), attesté aux XVe et XVIe siècles au sens de « s'allumer, s'enflammer ; communiquer la flamme » (selon le Dictionnaire du moyen français), de « enflammer ; exciter ; irriter » (selon le Dictionnaire de la langue française du seizième siècle d'Edmond Huguet) : « [Louis d'Orléans, tout feu tout flamme, avait] une verge faite pour inflamber toute femme de luxure » (Jean Petit, cité par Alfred Coville, 1410), « Il va faire inflammer feu sy merveilleux que les pilliers de marbre et aultres pierres vont commencer a bruler » (Jehan Bagnyon, vers 1470), « Inflammer quant à soy la charité d'Eglise militante » (Jean Bouchet, 1545), « La véhémence de ses esprits trop inflammés d'ambition inusitée » (Guillaume Budé, 1547). Le verbe figure encore dans le Dictionnaire de Furetière, publié en 1690 : « Inflammable. adj. Qui se peut inflammer. »

Aussi s'étonne-t-on de voir Bernard Pivot affirmer bien imprudemment, dans un tweet daté de mai 2012, que « le verbe inflammer n'existe pas ». Si ledit mot, carbonisé et remplacé par son aîné, est sorti d'usage depuis belle lurette, il a bel et bien existé, fût-ce le temps d'un feu de paille. À l'inverse, sur le front des substantifs associés, ce sont les formes en in- qui ont fini par s'imposer au détriment de celles en en-. Il en fut ainsi d'inflammation, calqué au XIVe siècle sur le latin inflammatio (« action d'incendier, incendie ; inflammation »), qui éclipsa la graphie enflammaison, attestée au XVIe siècle : « La raison du motif naturel d'une telle enflammaison » (Baïf), « L'enflamézon coulisse d'un long trait blanchissant » (Id.), « pure enflammaizon » (Rémy Belleau), « une enflammaison » (Guy Le Fèvre de La Boderie), « Les montaignes ardentes [du Soleil] qui de luy-mesme tirent l'origine de leur enflammaison » (Jacques Davy du Perron), « Enflammaison. Signifiait autrefois inflammation, incendie » (Louis-Nicolas Bescherelle), « Enflammaison. (Vieux langage.) Inflammation. Incendie » (Complément du Dictionnaire de l'Académie, 1839). On trouve toutefois trace, aux siècles suivants, de la forme enflammation, que ce soit dans des ouvrages de référence : « Il est bon de prévenir en même temps l'enflammation » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1777), « Il survient des enflammations dans la bouche » (Ibid.), « Cystite. Enflammation de la vessie » (Dictionnaire de Hocquart, 1837), « Enflammation. Inflammation » (Nouveau Glossaire genevois, 1852) ou sous quelques plumes réputées : « En cas d'enflammation de l'estomac et des entrailles » (Alexandre Dumas), « Une sourde enflammation gonflait la terre » (Giono). Coquilles d'impression ? Fautes franches ? Toujours est-il que l'on se gardera, de nos jours, de toute confusion entre les deux particules : enflammer, mais inflammation, inflammable, inflammatoire. Histoire d'éviter de se faire descendre en flammes.


Remarque : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le verbe latin inflammare dérive de flamma (« flamme, feu ») par préfixation en in- marquant non pas la privation, la négation (comme dans incassable, incroyable), mais l'aboutissement. L'antonyme du français inflammable est donc ininflammable (« qui ne peut prendre feu »), où le préfixe privatif in- précède l'élément in- (issu de la préposition latine in « dans, en, parmi, sur ») de l'adjectif inflammable.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Ces petits boutons enflammés.

 

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M
Bonjour M. Marc, quand tout s'enflamme avec une rapidité inouïe alors vraiment le seul mot qu,il reste à choisir est celui de ("conflagration"). Merci pour cet art. .Bye. Mich.
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C
Pendant longtemps, j'ai pensé que les produits marqués "inflammable" ne pouvaient justement pas être enflammés, sur la même construction que "incassable" avec le "in" privatif. Heureusement que je n'étais pas trop curieuse d'expériences durant mon adolescence, certaines particularités du français peuvent être dangereuses !
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