Dérivé du latin tacere (« taire »), le nom réticence désigne proprement l'action de taire à dessein une chose qu'on pourrait ou qu'on devrait dire et, par métonymie, la chose omise. Par conséquent, est réticent celui qui se tait volontairement, qui ne veut pas dire tout ce qu'il sait, qui ne livre pas toute sa pensée en persistant dans son silence.
Un témoin réticent (= qui reste silencieux, qui ne dit pas tout ce qu'il a vu).
Il m'a parlé sans réticence (= sans faire d'omissions).
Au figuré : « La robe décolletée — audacieuse et néanmoins réticente — ouvre sur une guimpe de linon » (Laurent Tailhade, 1911).
Dès le milieu du XVIIIe siècle, lit-on dans le Dictionnaire historique de la langue française, réticence s'est employé « par métonymie encore » (?) pour désigner « l'attitude, le comportement de la personne qui se garde d'exprimer ouvertement sa pensée mais marque par sa réserve une désapprobation » : « J'hésitais à le rencontrer, puis jugeai que ma réticence était absurde » (André Gide), « Il approuva ce réquisitoire avec beaucoup de chaleur au début, mais bientôt avec des réticences » (Jules Romains). On ne s'étonnera donc pas d'apprendre que réticent a suivi la même évolution, au siècle suivant, en recevant le sens étendu (et critiqué) de « hésitant, récalcitrant, qui marque de la réserve » − peut-être aussi sous l'attraction du français rétif (« récalcitrant, indocile ») et de l'anglais reluctant : « Le docteur les [= les malades] sentait réticents, réfugiés au fond de leur maladie avec une sorte d'étonnement méfiant » (Albert Camus), « Son autorité, sa compétence [...] m'inspiraient une réticente estime » (Hervé Bazin) et, avec un nom de chose, « Sa voix était encore plus réticente que ses paroles » (Simone de Beauvoir). N'en déplaise aux puristes, ce glissement sémantique peut sembler naturel, puisqu'il s'agit dans tous les cas de l'expression d'une marque de réserve : orale et délibérée, dans le sens classique ; générale et parfois involontaire, dans le sens actuel (*). On gagnera toutefois à réserver les mots réticence et réticent à leur acception première et à dire dans les autres emplois :
Il est peu disposé à nous aider ou Il hésite à nous aider ou Il est réservé à l'idée de nous aider (de préférence à Il est réticent à nous aider).
Ils ont levé les dernières hésitations (de préférence à Ils ont levé les dernières réticences).
Exprimer des réserves (de préférence à exprimer des réticences, qui frise l'oxymore).
(*) Selon le Robert, cette extension de sens s'explique par « le caractère psychologique de la plupart des réticences » ; selon René Georgin, « quand on garde le silence devant une proposition, une demande, c'est généralement qu'on fait des réserves, qu'on n'est pas emballé, voire qu'on désapprouve » (Jeux de mots, 1957).
Remarque : En 2018, l'Académie s'est résolue à enregistrer dans la neuvième édition de son Dictionnaire les sens étendus de réticence et de réticent, précédés de la mention suivante : « Cet emploi souvent critiqué s’est installé dans l’usage et se rencontre chez de nombreux auteurs. »