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Rappel à l'ordre

« Avant de vous confier un marché, confirme un directeur de production travaillant chez un sous-traitant automobile, le donneur d'ordre s'assure de votre fiabilité, c'est-à-dire de votre capacité à fournir des pièces de qualité à flux tendu. »
(Cyprien Boganda, sur humanite.fr, le 7 mai 2018)

 

  FlècheCe que j'en pense


Loin de moi l'intention de passer pour un donneur de leçons, mais il me semblait que les spécialistes de la langue établissaient d'ordinaire une distinction entre donneur d'ordre (avec ordre au singulier) − terme de finance qui désignait autrefois « celui par ordre duquel une lettre de change est tirée » (dixit Littré) et, de nos jours, le « client passant des ordres de Bourse à un intermédiaire agréé » (dixit le Dictionnaire de la Bourse d'Olivier Coispeau) − et donneur d'ordres (avec ordres au pluriel), employé en économie au sens de « entrepreneur principal, par rapport aux sous-traitants qu'il a choisis » (dixit l'Académie, qui ajoute en exemple : Le donneur d'ordres est le titulaire du marché). Telle est, en tout cas, la position du Larousse en ligne : « Donneur d'ordre, celui qui donne un ordre de Bourse » et « Donneur d'ordres, entreprise qui, dans le cadre de la sous-traitance, confie à une autre le soin d'exécuter pour elle des travaux dans des conditions dûment précisées ».

Mais voilà que le bel édifice montre des signes de faiblesse. Ne lit-on pas à l'article « couverture » dudit ouvrage : « Bourse. Caution représentant un ensemble de valeurs ou de sommes déposées par un donneur d'ordres entre les mains d'un intermédiaire à titre de garantie pour les opérations à terme qu'il conclut » ? à l'article « exécution » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Bourse. Achat ou vente d'office pour le compte d'un donneur d'ordres qui n'a pas remis dans les délais les titres à vendre et les fonds destinés à un achat » ? et à l'article « sous-traitance » du TLFi : « Mode de production qui, pour une entreprise, consiste à exécuter des produits semi-finis ou à traiter des opérations de marché dont le donneur d'ordre est une autre entreprise » ? La confusion est telle que les deux graphies se succèdent parfois au sein d'une même définition : « Donneur d'ordre : entreprise liée à une autre entreprise par un contrat de sous-traitance qui fait réaliser une partie de sa production par l'entreprise sous-traitante. La production est donc réalisée sous les propres directives du donneur d'ordres » (Objectif Bac 1re STMG Économie Droit).

Comme si cela ne suffisait pas, la Mission linguistique francophone vient ajouter au désordre en laissant entendre sur son site Internet que l'on aurait affaire − horresco referens ! − à un anglicisme : « À de très rares exceptions près, l'expression "donneur[s] d'ordre" est incorrecte en français, [dans la mesure où elle désigne en réalité] ceux qui passent commande (anglais order) et non ceux qui donnent des ordres. Le terme correct, préconisé [...] par le bon sens en lieu et place de ce méchant "donneur d'ordre(s)", est le bienveillant commanditaire ». Commanditaire, vraiment ? Voilà qui paraît malvenu quand on sait que l'intéressé désigne, d'après les dictionnaires usuels, un bailleur de fonds dans une société en commandite (*) et, par extension, toute personne qui finance une entreprise, un organisme, un projet (le mot, du reste, a été choisi par l'Office québécois de la langue française pour remplacer l'anglicisme sponsor). Vous l'aurez compris, le commanditaire est, jusqu'à nouvel ordre, celui qui apporte des fonds, pas nécessairement celui qui passe commande. Force est toutefois de reconnaître, là encore, que l'ambiguïté règne en maîtresse... jusque dans les colonnes pourtant bien ordonnées de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie. Qu'on en juge : « Maîtres anonymes, artistes dont le patronyme est inconnu. (On désigne souvent ces artistes par référence à une œuvre, à un lieu ou à un commanditaire.) » (à l'article « maître »), « Les diverses opérations de contrôle par lesquelles on s'assure qu'un ouvrage a été réalisé de façon conforme aux attentes formulées par le commanditaire » (à l'article « recette »). Avouez que, dans ces deux exemples, commanditaire semble bien plutôt désigner la personne physique ou morale qui passe commande (d'un bien, d'un service...) − acception couramment admise de nos jours dans le jargon des affaires, mais qui n'était manifestement pas inscrite à l'ordre du jour des séances de travail des académiciens lors de la rédaction de l'article concerné.

Dans le doute, un seul mot d'ordre : ne prendre aucun risque ! Aussi vaut-il mieux s'en tenir à la forme donneur d'ordres, dûment consignée dans une source que l'on veut encore croire... de premier ordre.


(*) « Société formée de deux sortes d'associés, les uns solidairement et indéfiniment tenus des dettes sociales (commandités ou gérants), les autres tenus dans les limites de leur apport (commanditaires) » (Petit Robert).

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Le donneur d'ordres s'assure de la fiabilité de ses sous-traitants.

 

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