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Qui plus est / Qui pis est / Qui mieux est

Le verbe être peut-il être conjugué à d'autres temps que l'indicatif présent dans le syntagme qui plus est, employé dans la langue soutenue ou littéraire pour renchérir sur une affirmation ? Non si l'on en croit la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, où ledit tour et ses semblables (qui pis est, qui mieux est [1]) sont présentés indistinctement comme des « locutions figées à valeur adverbiale » (2) équivalant à « en plus, de surcroît ». En d'autres termes, ces « espèce[s] de parenthèse » − souvent précédées de et ou de mais − « par l[es]quelle[s] celui qui parle ou qui écrit interrompt la phrase pour une intervention personnelle » (dixit Goosse) se sont grammaticalisées comme coordonnants et ne varient donc plus : « La Hollande était un pays comme les autres et, qui plus est, un pays nullement primitif » (Huysmans), « Il était libertin, insolent, présomptueux, et, qui pis est, il avait de très mauvais principes » (Philippe Néricault Destouches), « Il se souviendra longtemps de cette soirée... et qui mieux est, il en parlera » (Eugène Sue).

Force est pourtant de constater que l'imparfait (3), attesté de longue date à côté du présent dans des contextes au passé, est resté en usage chez quelques bons écrivains :

(avec plus) « Mais qui plus estoit, aultant qu'il y en venoit, aultant en mettoit à fin et à l'espée » (Jean Wauquelin, vers 1447), « [Il] les mena à servitude [...], et qui plus estoit, à deport et à renoncement » (Georges Chastelain, vers 1466), « Nous trouvasmes les desertz de plus en plus austeres, sauvages, aspres et roides, et qui plus estoit, l'accoustumance ne nous diminuoit l'ennuy, ains l'accroissoit » (Jean Thenaud, vers 1508), « Homme toutesfois qui non seulement n'avoit permission d'exploicter, mais qui plus estoit on n'y en admettoit aucun qui sceut lire et escrire » (Étienne Pasquier, 1596), « Et qui plus était, toutes pièces d'or se prenaient sans peser » (Adolphe Chéruel, 1855), « En plein désert on m'adjoignait un inconnu, et qui plus était un supérieur ! » (Pierre Benoit, 1919), « Qui plus était, Satan avait encore choisi le coin de Douarnenez pour ce rendez-vous » (Henri Queffélec, 1985) ;

(avec pis) « Et avecques ce, qui pis estoit, on perdoit tout le povair de son corps » (Journal d'un bourgeois de Paris, première moitié du XVe siècle), « [Ils] les mirent hors de corage et de tout bon espoir [...] ; mès, qui pis estoit, traitoient durement et très austèrement infinité d'hommes » (Georges Chastelain, vers 1464), « Et qui pis estoit, tous ses subjects avoient fait serment audict Duc de Bourgongne » (Philippe de Commynes, vers 1490), « À peine pouvions nous parler l'un à l'autre sans nous fascher ; voire qui pis estoit [...] sans nous jetter des œillades et regards de travers » (Jean de Léry, 1578), « On mettoit une grande difference entre les affranchis [...] et ceux qui n'avoient que le droit des Latins, ou, qui pis estoit, de ceux qu'on appeloit Deditices » (Scipion Dupleix, 1636), « Y voir tant de gens si différents de ce que j'étais, et qui pis était de ce que j'y avais été » (Saint-Simon, avant 1755), « Ces grands orateurs s'ennuyaient fort à s'écouter entre eux, et, qui pis était, la nation entière s'ennuyait à les entendre » (Tocqueville, avant 1859) ;

(avec mieux) « On lui avait, l'avant-veille, scalpé quatre de ses Indiens, à lui aussi, et qui mieux était, raflé cinquante têtes de bétail » (Pierre Benoit, 1936).

À la réflexion, les deux temps se défendent, pour peu que l'on rende son autonomie à chacun des éléments qui composent ces locutions et que l'on applique la concordance des temps : dans un contexte au passé, le choix du présent confère au point de vue du locuteur une dimension de vérité générale, quand l'imparfait le rend contemporain des faits considérés.

Mais il y a plus : la syntaxe même de ces tournures archaïques − où le relatif qui, sujet pris en valeur neutre au sens de ce qui (4), renvoie de façon peu habituelle à la phrase ou au syntagme qui généralement suit − ne semble pas aussi immuable que ce que l'on voudrait nous faire croire. « Qui mieux est et qui pis est sont concurrencés, dans la langue ordinaire, par ce qui est mieux, ce qui est pis (ou pire) », lit-on dans Le Bon Usage. C'est oublier que lesdites graphies ont également subi − et subissent encore à l'occasion − la concurrence, dans la langue littéraire, de ce qui (plus, pis, mieux) est. Non seulement les constructions avec ce et attribut antéposé au verbe − bien que moins fréquentes que celles sans ce − ont toujours existé (5), mais elles les ont même parfois précédées : « Ço [= cela, ce] que plus est » (Voyage de saint Brendan, vers 1112) n'est-il pas attesté avant « Et, qui plus est, quant serez mors, Vous promet du ciel les tresors » (Miracle de saint Lorens, vers 1380), « Et qui pis est, il advenrra que [...] » (Eustache Deschamps, vers 1389), « Et en conclusion, qui mieulx vault, comment il se rendra demain au soir devers elle » (Les Cent Nouvelles Nouvelles, vers 1462), « Et qui mieux est ladite pièce de linge ne coulera sur les parties voisines » (Jacques Guillemeau, avant 1613) ? Et que dire encore de ces autres exemples de modification syntaxique, relevés au hasard de mes recherches : « Qui bien plus est, ce n'estoient pas femmes » (Montaigne, 1588), « Il en usa à l'égard de Meunier [...], et, qui beaucoup plus est, à l'égard de Quinesset » (Alphonse Karr, 1885), « Qui beaucoup plus est, [...] je dois cela à mon art » (Alain-Fournier, 1905) ; « Avec impatience, avec colère, avec inquiétude, et, qui bien pis est, avec complaisance » (Émile Faguet, 1895), « Et ainsi, qui encore pis est, elle ne reconnaissait et ne voulait reconnaître, sur terre, que Dieu seulement » (Germain Lefèvre-Pontalis, 1903), etc. ?

Avouez que l'on a connu locutions plus figées...

(1) Nettement plus rare est le tour qui moins est : « Mais c'était une masse informe et sans beauté ; sans vitesse qui moins est » (Guy Tomel, 1898).

(2) Ou, selon les sources, comme des « archaïsmes figés » (Pierre Le Goffic), des « tournures figées » (Marc Wilmet), des « propositions relatives figées » (Grevisse), des « expressions toutes faites » (Knud Togeby).

(3) Les autres temps sont rares ou inusités : « qui plus fut » (Olivier de La Marche, avant 1502), « qui pis fut » (Georges Chastelain, avant 1475 ; Jean de Serres, 1595 ; Agrippa d'Aubigné, 1626 ; Saint-Simon, avant 1755), « qui pis sera » (Jean Bégat, 1562).

(4) En ancien français, le relatif qui pouvait s'employer sans antécédent, au sens de « celui qui, ce qui, chose qui ». Cet archaïsme survit dans des emplois proverbiaux (Qui dort dîne. Qui vivra verra. Qui peut le plus peut le moins. Sauve qui peut. Embrassez qui vous voudrez...) ou littéraires (à l'instar des locutions qui plus est, qui pis est, qui mieux est, lesquelles signifient littéralement « ce qui est encore plus » − « où plus est évidemment substantif », précise Littré −, « ce qui est encore pis », « ce qui est encore mieux »).

(5) Qu'on en juge : « Les chevaulx sont vielz ferrez au talon, Ce qui pis est, sont de faim aveuglé » (Eustache Deschamps, fin du XIVe siècle), « Et ce qui plus estoit, c'estoit le dangier des principales personnes » (Georges Chastelain, vers 1464), « Mettre et susciter la guerre, la pillerie et le désordre partout (ce qui pis est) » (Louis XI, 1464), « Ce qui plus est, [ils] s'efforcent de rompre la pragmatique sanction et les libertez de l'Eglise de France » (François II de Bretagne, 1485), « Ce qui plus est, iceulx déprédeurs [...] despendirent le crucifix » (Jean Molinet, 1492), « [Il] avoit l'esprit fort bon [...], et ce qui plus est, un chacun l'estimoit » (François de Belleforest, vers 1570), « Ce nombre de sept [...] semble contenir en soy des secrets [...] admirables : et qui plus est estre le nœud et l'achevement de toutes choses » (César de Nostredame, 1614), « Et, ce qui plus est, cela seroit sans beaucoup de dépenses » (Louis Fouquet, 1656), « Vous qui faites tant de métiers à la fois, celui de conquérant, de politique, de législateur, et, ce qui pis est, le mien » (Voltaire, 1749), « Puissai-je mourir, ou, ce qui pis est, vivre chargé du mépris de tous les honnêtes gens » (Mirabeau, 1779), « [Voyez] comme ses habits sont faits, et, ce qui plus est, comme ses mains sont ensanglantées (Jacques-René Hébert, 1792), « Qui pis est, ce qui pis est » (Dictionnaire universel de Pierre-Claude-Victor Boiste, édition de 1819), « Le charbonnier est maître de se tuer aussi, ou, ce qui pis est, de jeter son argent par les fenêtres » (Balzac, 1833), « L'aîné, madame, est le comte de Castelmelhor, et, ce qui mieux est, il a l'honneur d'être votre filleul » (Paul Féval, 1844), « Le bon droit, ou plutôt, ce qui mieux est, la succession vous demeure » (Eugène Sue, 1845), « Je vous gênerais, et, ce qui pis est, vous me gêneriez » (Alexandre Dumas, 1846), « Nous avons le témoignage d'un contemporain, et, ce qui mieux vaut en pareil cas, d'un ennemi » (Anaïs de Raucou, 1847), « Pascal s'était trouvé sans défense [...] et, ce qui pis est, sans défiance » (Hector Malot, 1870), « Ce devait être un rêveur ou, ce qui pis est, un demi-rêveur » (Pierre Lasserre, 1925), « La foi est ainsi irréfutable, et, ce qui plus est et ce qui la distingue des catégories antérieures, se sait irréfutable » (Éric Weil, 1985).

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Remarque 1 : Les mêmes hésitations sont observées avec les locutions autant que faire se peut, peu (ou tant) s'en faut, etc.

Remarque 2 : On se gardera d'écrire, par confusion phonétique : qui plus (pis, mieux) ait.

 

Qui plus est / Qui pis est / Qui mieux est

 

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