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Pris sur le... fait !

Pris sur le fait

« J'étais très intimidée, parce que Jean-Paul [Belmondo] était au fait de sa gloire. »
(propos de Cyrielle Clair, rapportés par Camille Obry sur le site de Télé-Loisirs, le 10 septembre 2021.)  



FlècheCe que j'en pense


C'est un fait : la prononciation nous joue parfois de vilains tours. Prenez le substantif masculin fait. Si son t est en général muet (hors liaison), nous disent les professionnels de la langue (*), l'usage tend (bé)bel et bien à le faire entendre, au singulier, devant une pause : en fait, au fait, de fait (mais pas tout à fait). Partant, on ne s'étonnera pas du risque de confusion phonétique entre les expressions être au fait de (« être informé, au courant de ») et être au faîte de (« être au point culminant, à l'apogée de »). Comparez : « Cicéron était tout prêt à gronder ces impertinents qui n'avaient pas le bon esprit d'être au fait de sa gloire » (Apis Romana, 1822) et « En 1881, Bismarck est au faîte de sa gloire et de son autorité » (Paul Valéry, 1938).

Mais au fait, quelle est l'origine du mot faîte ? L'animal serait la réfection (au XVIe siècle) par fausse étymologie (d'après le latin fastigium « toit à deux pentes ») de l'ancien français fest (au masculin), feste (au féminin, parfois au masculin), lui-même issu au XIIe siècle d'un hypothétique francique first. Autant dire que les spécialistes ne sont pas très sûrs de leur fait... Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c'est que faîte désigne proprement la partie la plus haute d'un arbre, d'une montagne, d'un mur, d'un édifice (spécialement la poutre supérieure d'une charpente) et, au figuré, le degré le plus élevé : « El est des dames la feste [= elle est au-dessus des autres dames (comme le faîte est au-dessus du reste de la charpente)] » (Partonopeus de Blois, avant 1188). De là l'emploi figuré du tour au faîte de : « Je m'estimerois [...] elevée au feste de toute felicité » (Amadis de Gaule, 1541), « Il pensoit estre roy paisible, monté au faiste de ses plus grands desirs  » (Jean de Serres, 1597), « Mon père m'a fait parvenir au faîte de la fortune » (Stendhal, 1836), « Nous sommes au faîte du bonheur de Paulina » (Pierre Jean Jouve, 1925).

À la décharge de notre journaliste, force est de reconnaître que la confusion entre les deux graphies atteint des sommets, de nos jours. Qu'on en juge : « À en croire [un chercheur], Shakespeare pourrait avoir été au faîte des effets indésirables de la cocaïne » (Le Point, 2015), « Le sous-préfet et la député [...] sont fort au faite de la situation » (La Voix du Nord, 2019), « [Ridley Scott] est alors au fait de la gloire, après le succès d'Alien » (Télé-Loisirs, 2020), « En 1956, Gina Lollobrigida est au fait de sa carrière » (Paris Match, 2021), etc. Est-il besoin de préciser que l'on se gardera d'imiter ces as des as de la langue française ?... C'est chose faite !

(*) Des nuances apparaissent toutefois entre les spécialistes. Comparez : « Contrairement à un usage trop répandu, le nom masculin fait, en dehors d'une liaison avec le mot suivant, doit toujours se prononcer [fɛ] et non [fɛt] » (Girodet) et « Au singulier, le mot se prononce le plus souvent [fɛt], en faisant entendre le t, surtout quand il est en position finale et accentuée » (Péchoin).

Remarque : On notera que faîte et ses dérivés (faîtage, faîtière...) s'écrivent, en orthographe traditionnelle, avec un accent circonflexe, lequel a été mis à l'index par les Rectifications de 1990. Cette décision est d'autant plus surprenante que ledit accent est censé être maintenu sur i et u « dans les mots où il apporte une distinction de sens utile ». N'est-ce pas précisément le cas entre faite (participe passé féminin du verbe faire) et faîte ?

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Jean-Paul Belmondo était au faîte de sa gloire.

 

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F
Bonjour Marc,<br /> C’est un fait, vous êtes au fait de l’actualité, tout en nous emmenant au faîte de notre connaissance de la langue française.<br /> (J’espère ne pas m’être trompée…)<br /> Merci.<br />
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