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Prends garde à toi, moulu !

« Le jeune Georges Bizet frais moulu du Concours pour le Prix de Rome, et heureux lauréat, compose plusieurs partitions depuis Rome. »
(Lucas Irom, sur classiquenews.com, le 9 mai 2017)   
Georges Bizet, source Wikipedia.

 

  FlècheCe que j'en pense


Voilà qui est fort de café ! Car enfin, j'en étais resté pour ma part à la locution frais émoulu (de) pour qualifier une personne récemment anoblie (un gentilhomme frais émoulu) ou, plus couramment, quelqu'un tout nouvellement sorti d'un établissement d'enseignement, d'éducation et qui n'a donc pas eu le temps de perdre la formation qu'il y a reçue : « Un escolier, revenant frais esmoulu des escoles » (Étienne Pasquier, XVIe siècle), « Cette puissante et glorieuse armée de vieux soldats aguerris tous fraischement esmoulus » (Charles de Lorraine, duc de Mayenne, fin du XVIe siècle), « Monsieur est frais émoulu du collège » (Molière), « J'ai vu dans le clergé américain des garçons frais émoulus de leurs séminaires » (Julien Green), « Brian O'Shaughnessy, frais émoulu d'Eton, fait son entrée dans le grand hall » (Jean d'Ormesson), « Un jeune sous-lieutenant frais émoulu de Saint-Cyr » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

Rappelons à toutes fins utiles que ledit émoulu n'est autre que le participe passé de l'ancien verbe émoudre (« aiguiser sur une meule »), emprunté du latin emolere (« moudre entièrement »), lui-même formé de ex- intensif et de molere, à l'origine du français moudre. Employé comme adjectif, il s'entend au sens propre de « affûté, fraîchement aiguisé à la meule » (un sabre émoulu, combattre à fer émoulu) et, dans notre locution, au sens figuré de « sorti d'un lieu de formation (l'esprit encore affûté par l'enseignement reçu) ». Aussi se gardera-t-on de toute confusion entre les expressions phonétiquement proches frais émoulu et frais moulu (« fraîchement moulu ; qu’on vient de broyer, de réduire en poudre ») qui, bien que construites avec deux adjectifs de même racine, ont des sens bien distincts. Comparez : un bachelier frais émoulu (1) (sens figuré) et du poivre frais moulu (sens propre).

Mais là n'est pas le seul écueil que nous réserve ladite locution : son emploi au féminin n'en finit pas de diviser les fines lames de la langue. Si pour la majorité des spécialistes frais émoulu fait fraîche émoulue, selon un usage ancien qui veut que frais, bien qu'employé adverbialement au sens de « depuis peu », continue de s'accorder en nombre et en genre avec un nom féminin par attraction avec le participe-adjectif qui suit (2) − « Il est tout frais émoulu (elle est toute fraîche émoulue) de Polytechnique » (Hanse), « Une jeune agrégée fraîche émoulue de Normale sup' » (Larousse en ligne), « Des jeunes filles fraîches émoulues de Polytechnique » (Le Bescherelle pratique), « Fraîche émoulue du couvent » (TLFi), comme on écrit : une fleur fraîche éclose (ou, plus couramment, une fleur fraîchement éclose) −, Girodet s'obstine sans plus de détails à écrire la locution « toujours au masculin » (3), quand Alain Rey laisse prudemment le choix entre les deux graphies : « Elle est frais (ou fraîche) émoulue de Polytechnique » (200 drôles d'expressions que l'on utilise tous les jours sans vraiment les connaître). Mais c'est la position de Jean-Pierre Colignon dans son livre Ce français qu'on malmène qui donne le plus de grain à moudre : « Il ne faudra absolument pas déroger à l'invariabilité adverbiale dans une expression comme : de jeunes étudiantes frais émoulues de l'université car fraîches émoulues prêteraient irrésistiblement à rire ; mais la forme tout à fait correcte frais émoulues fera sans doute hésiter, et la sagesse, quand on hésite, peut être de s'abstenir. » Moulu de rire, vraiment, l'ancien correcteur du journal Le Monde ? Si je fais volontiers mienne sa conclusion, l'argument par lui avancé me paraît d'autant moins... émoulu que je ne vois pas bien en quoi la combinaison fraîches émoulues serait plus risible que frais émoulus : une oreille distraite ne risque-t-elle pas d'entendre dans les deux cas frais (fraîches) et moulu(e)s ?
Toujours est-il que Victor Hugo et sa « petite pensionnaire, fraîche émoulue du couvent » n'en finissent pas de broyer du noir...

(1) Cet exemple, emprunté à la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, laisse entendre que la locution frais émoulu peut s'employer sans complément.

(2) « Bien que [frais] soit adverbe, l'oreille a exigé, contre la grammaire, qu'il s'accordât avec son substantif en genre et en nombre », observait déjà Littré. Cet usage, que d'aucuns jugent encore hésitant, n'est pas particulier à frais ; grand, large et tout pris adverbialement offrent des cas semblables : des fenêtres grandes ouvertes, larges ouvertes ; des viandes toutes saisies.

(3) À l'instar de ces quelques exemples : « Thérèse Villermaulaz [...], frais émoulue de sa paisible Helvétie » (G. Lenotre), « Et comme le déjeûner d'une jeune scholarde frais-émoulue s'assaisonne d'un grain de pédanterie » (Romain Rolland), « Une troupe de jeunes Scandinaves toutes neuves, frais émoulues de leur Scandinavie » (Jacques Roubaud).

 

Remarque 1 : Grevisse note que, dans son acception figurée, émoulu s'avance à l'occasion sans frais : « Quant à moi, pauvre petit garçon émoulu de ma province » (Claudel).

Remarque 2 : On a également dit être frais émoulu d'une chose, d'une matière pour « l'avoir étudiée tout récemment ».

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Le jeune Georges Bizet, frais (ou fraîchement) émoulu de la Villa Médicis.

 

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Y
Honnêtement ça m'a bien amusée. Et, évidemment, en l'espèce, si on ne sent pas trop à l'aise, je ne saurais trop conseiller de trouver une autre expression dont le sens est similaire et qui évitera confusions et interrogations sur les accords.
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B
tarpin bien !
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